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Coronavirus, guerre commerciale : comment les marchés tentent d'endiguer la panique virale
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Stock mondial d'obligations

Les marchés sont extrêmement sensibles aux tensions commerciales et aux conséquences du coronavirus sur l'économie chinoise. Les investisseurs boursiers ne semblent pas inquiets pourtant. Quels sont les indicateurs qui les rassurent ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Le stock mondial d'obligations traitants à taux négatifs dépasse des records et pourtant les portefeuilles investis dans la dette connaissent des performances rarement vues pour cette classe d'actifs.

Les rendements des obligations sont partout très bas : ceci va-t-il durer ? Que peut-il se passer si ceci continue ? Que peut-il se passer à terme ? 

Jean-Paul Betbeze : Au niveau de 1940 : c’est là que sont les rendements des bons du trésor américains à 10 ans. Autour de 1,6%, contre une moyenne historique à 4% et 16% en 1984, au plus haut de la phase d’inflation mondiale et surtout américaine. Depuis, avec la baisse de l’inflation, les rendements nominaux ont constamment baissé : la nécessité de se protéger de la hausse des prix a donc diminué. La première raison de la baisse des rendements des obligations est ainsi liée à la baisse de l’inflation, liée elle-même à l’efficacité croissante des politiques monétaires des grandes banques centrales, puis au ralentissement de l’économie mondiale. Les rendements des obligations américaines sont ainsi devenus très faibles : 1,6% soit au-dessous de l’inflation à 1,75% car, en plus, ils sont jugés les plus sûrs dans ces temps troublés.

Ces taux si peu élevés dans le cas américain, mais c’est vrai ailleurs dans les grandes économies, poussent à la dette : dette privée des ménages qui achètent leurs maisons – ce qui en fait monter les prix, dette privée des entreprises, surtout les grandes, qui rachètent leurs concurrents – ce qui fait monter la bourse, dette publique des états qui n’ont pas à se soucier de maîtriser leurs déficits. Donc partout la dette monte, donc les risques en cas de retournement ou de saut d’inflation ou de cascade de faillites. Mais rien ne vient, donc les taux baissent, alors que les risques montent. Le réveil, il y en a toujours un, sera donc douloureux.

Et d’où viennent alors les taux négatifs ? Qu'entrainent-ils ?

-0.13% : c’est actuellement le rendement du bon du trésor français à 10 ans, -0,38% c’est celui de l’Allemagne. Il y a donc en Europe, sans oublier la Japon (-0.01 % avec une dette publique égale à 2.4 fois le PIB) une « anomalie » qui ne s’explique pas par une peur et une crise extrême, mais par la politique monétaire qui rachète des tombereaux d’obligations publiques et privées, pour faire baisser artificiellement les taux et faire repartir la machine.

Les mêmes risques naissent qu’avec des taux bas, mais amplifiés. Entreprises et ménages se surendettent, les états surtout. A quoi bon se lancer, se disent-ils, dans des politiques budgétaires strictes, avec leurs coûts sociaux et politiques, si s’endetter ne coûte rien ? Attention ici, même sans parler de sursaut inflationniste, le jour où les banques centrales cesseront leurs achats d’obligations puis vendront : les taux monteront subitement et ceux qui avaient profité de la baisse des taux pour voir monter la valeur de leur patrimoine obligataire vont s’en défaire vite à tout prix. Donc attention aux taux négatifs : le réveil sera pire qu’avec les taux bas.

Les marchés sont extrêmement sensibles aux tensions commerciales. Le front sino-américain s'est encore dégradé avec la crise du coronavirus, mais les investisseurs boursiers ne semblent pas inquiets. Quels sont les indicateurs qui les rassurent?

Oui, il y a partout beaucoup de nervosité, parce que les taux sont anormaux. Les marchés sont donc plus sensibles que de coutume aux tensions commerciales, a fortiori militaires ou sanitaires. 

Ainsi, quand on apprend les tensions entre les États-Unis et l’Iran avec la mort du Général Soleimani le 2 janvier, le taux du dix ans américain chute en deux jours de 1,9 à 1,72% et, plus récemment, avec le début de l’épidémie de coronavirus, ce taux passe de 1,75% le 23 janvier à 1,51 le 31. Les rendements des obligations jugées les plus sûres baissent. On a peur : on cherche la protection, pas le rendement. Et pour les taux négatifs, c’est pareil : les plus négatifs sont supposés les plus sûrs, et ceux qui rapportent plus, ou coûtent moins, sont ceux d’états ou d’entreprises plus fragiles et plus endettés.

Dans les cas américain, puis européen, les inquiétudes sur le coronavirus se dissipent au vu des mesures prises par les autorités chinoises, de la baisse du prix du pétrole (crainte du ralentissement qui soutient les marges) et de l’assurance que les taux des banques centrales ne seront pas montés, au contraire. Puis viennent d’autres nouvelles positives sur l’emploi, l’activité, les profits passés des entreprises, et les bourses remontent. Mais c’est plus lent en Europe, et plus lent qu’en début d’année, avec l’idée que la remontée des profits sera plus lente. Le Dow Jones s’est bien repris, assez le DAX, pas encore le CAC. 

Ces instabilités poussent actuellement les investisseurs vers les emprunts d'état. C'est une valeur refuge ?

Tout dépend de l’état bien sûr : la Suisse n’est pas la Turquie ! Et tout dépend de l’inquiétude, de la psychologie, des stratégies et des autres possibilités de placement offertes. En fait, ces taux sont anormaux – mais pour combien de temps ? Et il faut penser à la résistance des emprunteurs quand viendra la remontée. Sauf si l’idée gagne que les États-Unis, après avoir prolongé leur cycle d’expansion, se dirigent vers une récession, avec des taux longs plus bas et des taux court qui, même dans ce pays, pourraient devenir négatifs ! Donc tout dépend des inquiétudes et de la durée des horizons des prévisions. Donc les taux américains, allemands ou français sont des refuges si les prévisions sont pessimistes.

Les stratégies d'achat d'obligations ne semblent plus sûres et récurrentes par leurs revenus. La valeur prime. Ces obligations sont-elles en passe de devenir des actions ? Cette situation peut-elle perdurer ? Et quelles mesures de politique monétaire les banques centrales devraient prendre ?

Attention : les obligations à taux bas ne doivent pas faire oublier la rentabilité des actions, entre 4 et 6%, par des politiques généreuses et annoncées de distribution de dividendes, plus des rachats  d’actions. Les grandes valeurs cotées n’utilisent pas la bourse pour se financer mais pour vanter leurs résultats, ce qui réduit leurs taux d’emprunt obligataire, source essentielle de financement et  non les banques, trop coûteuses. Même chères, les actions sont en fait devenues des obligations très rentables à comparer à des obligations peu rentables pour des investisseurs adverses au risque. 

Quel peut-être l'impact du coronavirus sur les marchés financiers ? 

Celui d’un retour à la raison : il calmera partout les ardeurs, fera peut-être consolider les bases sanitaires de la croissance chinoise et réduira l’intensité de la course USA-Chine. Et, en zone euro, les problèmes sont bien autres : faiblesse de la croissance de la zone, tensions internes, Brexit… Peut-être sera-ce une opportunité pour mieux les traiter, notamment les réformes à faire ici. Le coronavirus est un drame humain et social, mais il donne peut-être l’occasion de réfléchir et d’avoir le courage d’agir.

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