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Convention citoyenne sur le climat : le droit, nouveau bras armé de la pensée magique environnementale
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Judiciarisation

Les membres de la Convention citoyenne pour le climat sont favorables à un référendum qui permettrait d'inscrire dans le droit le crime d'écocide. Quels sont les enjeux de la judiciarisation de la question écologique ? Le droit est-il en train de devenir un outil pour la torsion idéologique du réel ?

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico.fr : Les participants à  la convention citoyenne pour le climat se sont hier déclarés pour un référendum qui déciderait d'inscrire dans le droit le crime d'"écocide", une proposition qui interpelle par sa radicalité et les risques qu'elle pourrait engendrer.

Judiciariser à ce point la question écologique peut-il véritablement porter des fruits concrets ? 

Didier Maus : Transformer un délit en un crime, c’est-à-dire l’infraction la plus importante du Code pénal, constitue un symbole politique. Il s’agit d’affirmer que le crime contre l’écologie est aussi grave que le meurtre ou le viol. Il ne s’agit pas simplement de renforcer la définition juridique de l’infraction, mais d’affirmer son importance sociale.

La montée en puissance politique de l’écologie, commencée il y a déjà plusieurs dizaines d’année, implique un renforcement des règles juridiques la concernant. C’est, semble-t-il, au début des années 1970 que le droit de l’environnement, « ancêtre » du droit de l’écologie, est devenu une matière autonome susceptible de donner naissance à des ouvrages de synthèse. Cela fait, notamment suite, à la nomination en janvier 1971 de Robert Poujade comme Premier ministre français en charge de la protection de la nature et de l’environnement. La judiciarisation est, ici comme ailleurs, une arme à double tranchant. Elle solidifie le cadre juridique ; elle fait passer la protection de l’écologie dans le domaine de la répression.

En France, le code de l’environnement, publié en septembre 2000, rassemble tous les textes, anciens et contemporains, concernant l’environnement et l’écologie. À l’initiative du Président Jacques Chirac, la Charte de l’environnement de 2004 a été adoptée comme norme constitutionnelle en 2005 au même titre que la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. La judiciarisation a donc commencé bien avant les propositions de la Convention citoyenne.

La fréquence des demandes de renforcement du cadre juridiques conduit à se poser la question de l’efficacité du droit pour défendre et promouvoir l’écologie. Il ne fait aucun doute qu’il doit exister un  arsenal juridique, positif et négatif, pour que cette politique publique spécifique soit organisée et financée. Faut-il, pour autant, considérer que l’inscription de la biodiversité dans la Constitution est une garantie de l’action qui doit être menée en sa faveur ? Le doute est permis. On peut parfaitement avoir des décisions beaucoup plus efficaces sans révision de la Constitution. Lorsque le préambule de la Charte de l’environnement dispose que « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » il est aisé d’en déduire que, par exemple, la biodiversité en fait partie.

Il y a toujours eu en droit deux tendances : la première qui consiste à réinterpréter des textes existants ; la seconde qui insiste sur la novation et plaide pour des ajouts. L’expérience montre qu’il est préférable de faire appel à la première. Le défaut principal de la seconde réside dans l’instabilité qu’elle génère, y compris à cause des progrès scientifiques.

Ne risque-t-on pas à terme de voir ce genre de mesures être détournées pour devenir des outils de pression ou de guerre de l'information ?

Le monde idéal n’existe pas. L’action humaine, individuelle ou collective, s’inscrit dans les luttes qui organisent la vie politique, sociale ou économique, celles qui se développent à l’intérieur d’un pays comme celles qui concernent la confrontation entre les pays et les blocs géopolitiques. Entre les bons sentiments et les réalités, il y a nécessairement des oppositions. Préconiser, par exemple, une meilleure isolation des bâtiments, qu’ils soient publics ou privés,  relève d’une évidence. Elle oppose néanmoins, très rapidement, ses partisans (en particulier les entreprises de rénovation) et ses hésitants (pour ne pas dire ses adversaires), notamment dans le domaine de la protection du patrimoine. Isoler par l’extérieur modifie l’aspect du bâtiment ; isoler par l’intérieur s’avère parfois impossible et en général plus onéreux. Quel est le meilleur bilan carbone si, par exemple, de plus grandes restrictions de circulation conduisent à plus d’encombrements et plus de temps passé dans les véhicules ? L’exemple de la fermeture des berges rive droite à Paris est exemplaire. Les projections ne donnaient pas du tout le même résultat selon que la zone prise en compte se limitait à l’espace interdit à la circulation ou incluait les itinéraires de dérivation. Quant aux résultats réels, nul, a posteriori, ne s’y intéresse.

Tout le monde est d’accord sur la nécessité de consacrer plus de volonté à une écologie dynamique, mais les compromis et surtout l’étalement dans le temps sont indispensables. Les indispensables incitations financières doivent-elles prendre la forme de subventions ou de déductions fiscales ? Aucun critère neutre ne permet de trancher.

Le droit est-il en train de devenir un instrument dédié non pas à l'organisation sociale mais à la torsion idéologique du réel ?

Le droit est, par nature, un instrument de régulation de la vie collective. Il exprime, à un moment donné un accord sur des valeurs, qu’elles relèvent de la vie en commun, des activités économiques, de la solidarité sociale ou de notre avenir. Toute règle de droit exprime une vision idéologique. Lorsqu’au début du XXe siècle le droit du travail s’est séparé du droit civil, cela a été la concrétisation juridique de la montée en puissance du Mouvement ouvrier et des syndicats. Le consensus n’a jamais existé.

Aujourd’hui, l’évolution de la société conduit à accorder plus d’importance à l’écologie qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est un simple constat. Demain, dans quarante ou cinquante ans, d’autres priorités seront sur le devant la scène. Ce que vous appelez « la torsion idéologique du réel » est une constante de l’histoire.

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » nous a dit Pascal. Il avait raison et aura encore et toujours raison.

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