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Contagion : Les démocrates trumpisent leur communication
©Brendan Smialowski / AFP

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Ce mercredi, la Chambre des représentants a transmis au Sénat l'acte d'accusation contre Donald Trump. Le procès pour destitution du Président américain devrait ainsi débuter mardi prochain.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Mercredi 15 janvier, alors que les Démocrates lançaient véritablement leur procédure d'impeachment, Donald Trump annonçait avoir trouver un accord commercial avec la Chine. Ces deux moments historiques, se déroulant en même temps, les chaînes télévisées américaines se sont vus contraintes de coupe leur écran en deux. Les Démocrates avaient-ils fait un choix stratégique en transmettant l'acte d'accusation au Sénat le jour où Donald Trump annonçait un accord avec la Chine ?

Eric Branaa : Assurément. C’est vrai que les journalistes n’ont plus su où donner de la tête, et les observateurs non plus, il faut bien l’avouer. La volonté de Nancy Pelosi de retenir pendant un mois l’envoi des articles d’Impeachment a donc abouti à cette impression de chaos, et ce n’est pas un hasard. Le 15 janvier, on a assisté à un moment totalement irréaliste puisque, dans exactement le même temps, il y a eu deux événements d’importance majeure, et qui s’entrechoquaient puisqu’ils racontaient un narratif opposé l’un par rapport à l’autre : les deux protagonistes, très conscients non seulement de la présence médiatique mais également que leur intervention « cannibalisait » celle de l’autre camp, ont fait durer le plaisir : Nancy Pelosi a allongé son discours autant que possible et Donald Trump a remercié un à un tous les élus présent dans la salle, remerciements qui ont tout de même duré une demi-heure !

Au final, c’est bien les démocrates qui ont joué là à un jeu dangereux qui pourrait se retourner contre eux. Car le mieux est l’ennemi du bien, comme le dit l’adage, et il faut savoir faire baisser la tension à un moment donné pour obtenir l’adhésion du public. Le risque est bien entendu que les Américains considèrent que cette opposition menée à Donald Trump est trop systématique et qu’ils ne finissent par voter contre lui dans les urnes.

Se faire omniprésent sur les télévisions nationales alors que le Président signe un accord temps attendu n'était pas là user des mêmes ficelles de communication que le camps Républicains ? En se faisant plus omniprésents que Trump lui-même les Démocrates espèrent-ils capter l'attention et convaincre ? Cette stratégie peut-elle fonctionner ? 

C’est vrai que la stratégie de la communication à tout prix est une stratégie du camp républicain ou, plutôt, de Donald Trump lui-même. Il a beaucoup expliqué en 2015 que le plus important est d’être présent dans les médias, quoi que l’on puisse dire de vous. Cela s’est traduit par une campagne pleine de provocations mais qui a été vraiment très efficace : à chaque fois, il prenait la première place dans les premières pages de tous les journaux et était au centre des conversations, et donc du jeu. En saturant l’espace médiatique, il n’a plus laissé aucune place à ses adversaires, qui ont tous été défaits un par un. 

Les démocrates ont visiblement voulu retourner l’arme contre celui qui l’a brandie. Mais le résultat n’est peut-être pas celui qui était attendu, et certainement pas le même que celui atteint par Donald Trump en 2015. Car, par leur stratégie d’attaques tout azimut, les démocrates finissent par ne parler que de celui qui prétendent combattre et, ce faisant, en arrive même à étouffer leurs propres primaires. Les jeunes pousses du Parti ont souffert de ce manque d’exposition médiatique et ont fini par jeter l’éponge. Plus grave peut-être : les primaires ne permettent pas aux candidats de faire connaître leurs propositions. On en reste à un classement quasi-hippique, puisque tout ce qu’en relate les médias dans le peu d’espace qu’il leur reste est un classement entre les deux ou trois candidats de tête, au gré des sondages qui tombent. 

A ce jeu-là, Trump ne peut que gagner : ses propositions pourraient bien faire mouche et convaincre, parce qu’elles seront les seules audibles lorsqu’il entrera en scène pour la campagne générale, en septembre. On reparlera alors de frontière, de mur, et peut-être de rien d’autre. C’est lui qui imposera le tempo, parce que les démocrates auront négligé de la faire avant lui.

Toujours au moment de l'accord commercial, les Démocrates ont également publié des documents en provenance du cabinet de Rudy Giulani, lesquels pourraient nuire à la défense du Président. Si l'issue du procès en destitution de Donald Trump fait peu de doute, cette omniprésence, ces choix tactiques pourraient être gagnants pour les Démocrates en leur permettant de rafler la victoire aux Républicains ? Tout compte fait, le choix de lancer une procédure d'impeachment un an avant des élections présidentielles était-il si maladroit ? 

Les révélations autour de « l’affaire Ukrainienne » continuent à être nombreuses, en effet. Certains observateurs se jettent dessus comme s’il s’agissait de pain béni et font de longs commentaires par lesquels ils expliquent tout le mal qu’ils pensent de ce président. Mais on ne peut pas crier au loup indéfiniment. Pour la très grande majorité des Américains, l’affaire a déjà été instruite par la Chambre des représentants et on est maintenant dans un autre temps, celui du procès. En ajoutant de nouveaux éléments, les démocrates ou ceux qui les soutiennent, ne font que brouiller le message et ajoutent de la crédibilité à la défense de Donald Trump qui crie au complot, à la chasse aux sorcières. La capacité de tout un chacun à recevoir et traiter des informations est forcément limitée : le trop plein entraine un rejet. On retrouve la même lassitude que celle qui a été enregistrée avec l’affaire russe. L’accumulation des affaires contre Donald Trump décrédibilise l’ensemble des attaques menées contre lui. C’est une des raisons qui plaide en faveur de l’hypothèse que la procédure d’Impeachment, pas plus qu’une autre affaire, n’aura de poids dans le futur scrutin. Pas plus qu’une autre en tout cas. Une écrasante majorité d’Américains savent déjà pour qui ils vont voter alors qu’il reste encore 290 jours pour se décider !

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