« Construire un changement de même nature que celui de 1958 » : concrètement, à quoi pourrait ressembler la droite Wauquiez ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Laurent Wauquiez renonce à briguer la présidence des Républicains. Il reste mobilisé pour le projet présidentiel de la droite pour 2027.
Laurent Wauquiez renonce à briguer la présidence des Républicains. Il reste mobilisé pour le projet présidentiel de la droite pour 2027.
©Alain JOCARD / AFP

Objectif 2027

Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé ce dimanche qu’il ne briguerait pas la présidence de LR à l’automne. Mais fait part des grandes lignes de ce que devrait, selon lui, être le fil directeur d’une refondation de la droite française.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le président de la région Auvergne Rhône Alpes a annoncé ce dimanche qu’il ne briguerait pas la présidence de LR à l’automne. Mais fait part des grandes lignes de ce que devrait selon lui être le fil directeur d’une refondation de la droite française. Selon lui, "il s’agit, ni plus ni moins, que de construire un changement de même nature que celui de 1958, car le blocage du pays est de même gravité.” A quoi ressemblait politiquement, économiquement et institutionnellement la situation en 1958 ?

Christophe Boutin : Il semble difficile, même si Laurent Wauquiez le souhaite, de comparer 1958 à 2022. D’abord parce que l’ingouvernabilité qu’il pose comme une évidence pour 2022 n’en est pas une encore : il faut attendre de voir comment le nouveau Parlement, et notamment la nouvelle Assemblée nationale, vont travailler sur les textes proposés par le gouvernement, et si, effectivement, il y aura des blocages. Attendre aussi de voir comment les mécanismes prévus en 1958 pour surmonter de tels blocages vont fonctionner s’ils sont mis en œuvre. Mais poser l’ingouvernabilité comme certaine, et ce alors même que LR peut peser sur le jeu politique en votant ou non tel ou tel texte ou amendement, semble à tout le moins excessif.

Mais la vraie différence entre 1958 et 2022 vient de ce que la crise d’alors était bien inférieure à celle que nous connaissons, et les capacités d’y remédier nettement plus grandes. Économiquement par exemple, la France de 1958 continuait dans la logique qui avait été la sienne à la Libération, celle de la reconstruction, de la planification, une logique de grands projets que continuera le général De Gaulle arrivé au pouvoir. C’est l’époque du – vrai – plein emploi, et il n’y a économiquement pas cette sensation de déclin que nous connaissons aujourd’hui. Sur la scène internationale ensuite, la France de 1958 reste l’un des principaux pays du monde. Elle est certes fragilisée par cette décolonisation qui la frappe de plein fouet, avec la guerre d’Algérie qui succède à celle d’Indochine, mais elle pèse de manière indépendante sur un certain nombre de grands choix.

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En 2022, ce qui frappe par comparaison c’est la perte d’indépendance. La France s’engage toujours plus dans la voie de la souveraineté de l’Union européenne, à laquelle elle délègue donc toujours plus de compétences. Son pouvoir politique est aussi muselé par le juridique, national quand il s’agit des décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, mais aussi supranational avec la Cour de justice de l’Union européenne ou la Cour européenne des droits de l’homme. À chaque nouvel instrument signé, à chaque nouvelle décision, c’est un peu de la souveraineté française qui disparaît, et si un homme politique mort en 1958 revenait en 2022, il serait stupéfait de constater à quel point d’asservissement le pouvoir politique français a été conduit. Si la souveraineté est bien de pouvoir décider librement, la France ne saurait être dite souveraine en 2022, quand elle l’était en 1958.

D’où d’ailleurs la – relative – facilité de reconstruction gaullienne, le Général n’étant pas entravé dans ses choix par les diktats de telle institution ou juridiction supranationale. Il suffisait – vaste tâche déjà, mais purement institutionnelle - de rééquilibrer un régime parlementaire qui dérivait vers le régime d’assemblée, pour restaurer un pouvoir à même de surmonter les crises. Par ailleurs, au-delà des divisions politiques, il n’y avait aucun doute sur ce qu’était l’identité française, la France étant résumée par De Gaulle d’une formule, citée par Alain Peyrefitte, comme : « un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne ». Pas de communautarisme alors, une immigration de travail sans regroupement familial et sans l’appui de jurisprudences visant à gommer toute distinction entre le national et l’étranger pour accorder à tous ceux présents sur un même territoire les mêmes droits… Non, décidément, 1958 n’est pas 2022, et sortir de la crise en 2022 demandera de bien autres efforts.

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Sensiblement à celui prôné par Emmanuel Macron en 2017 dans Révolution, mais autour cette fois du mot refondation. « La solution viendra d’une rupture avec ce qu’est devenue la politique » déclare en effet le président de région et ancien ministre, qui se refuse à désespérer car « il y a un génie français depuis du Bellay jusqu’à Houellebecq qui sait que la fin de l’histoire n’est jamais écrite, que tout reste toujours possible » - ce qui tend à démontrer qu’il a peu lu Houellebecq, reconnaissons-le.

Pour le reste, dans ce texte, Laurent Wauquiez veut nous expliquer « qu’aujourd'hui reprendre les mêmes chemins qu’il y a cinq ans [soit ici pour lui prendre la tête de LR] ne peut être le bon choix » car il faut « consacrer toute son énergie à cette refondation à laquelle aspire notre pays. Une telle exigence ne supporte aucune dispersion. Il faut s’y donner totalement ». Cela impose donc de « prendre de la distance avec le combat politicien » car « l’alternative que nous devons construire doit dépasser les questions d’appareils, travailler avec des personnalités aux parcours différents, frotter sa cervelle avec tous ceux qui voudront aller chercher ce sursaut, d’où qu’ils viennent. Il faut aller chercher des idées neuves, avoir le temps de se préparer. Il faut être créatif, tout revoir, « et dans la tempête et le bruit, la clarté reparaît grandie », trouver ce souffle impétueux qu’aimait Victor Hugo. »

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« Nous allons tout remettre à plat, tout rebâtir pour retrouver la confiance dans notre avenir, pour renouer avec la fierté d’appartenir à la France, pour redonner des ailes à notre destin, pour renouer avec le panache » conclut Laurent Wauquiez – encore une fois dans un style qui n’est pas éloigné de celui d’Emmanuel Macron en 2017, et sans apporter d’ailleurs plus que son illustre prédécesseur de précisions sur les moyens qui seraient mis en œuvre pour cela.

Qu’est-ce que le texte de Laurent Wauquiez nous apprend de ce que serait une droite "Wauquiez" ? Y a-t-il des éléments de son histoire personnelle et politique qui nous offrent des pistes de cette nouvelle droite ? 

 Comme beaucoup de politiques, Laurent Wauquiez semble capable de lucidité dans les constats, et, à la différence de nombre de ses pairs, n’hésite plus à les rendre publics. « Après trois défaites consécutives à l'élection présidentielle – écrit-il -, la droite a perdu ce lien historique qui l’a toujours unie aux Français à travers les époques, les mouvements et les hommes. […] Ces défaites viennent de loin. La droite, depuis trop longtemps, n’a eu ni clarté dans les convictions ni courage dans l’action : incapacité à reprendre en main l’insécurité ou l’immigration, pusillanimité dans la lutte contre l’assistanat, errance dans les choix européens et timidité à se saisir des défis de demain comme l’école ou l’environnement. » Dont acte. Même lucidité ensuite quand il estime que les Français sont las « que d’autres décident à sa place : les minorités agissantes face auxquelles on recule, les décisions de justice qui ont plus de poids que les lois, les autorités administratives indépendantes qui tranchent à la place des élus ou encore les instances européennes devant lesquelles, contrairement à l’Allemagne, nous nous soumettons sans défendre nos intérêts ».

On épargnera à Laurent Wauquiez une lecture rétrospective de ses choix – de ses choix concrets, et donc de ses votes en tant qu’élu, ou de ses décisions en tant que ministre, et non de ses seules déclarations – dans les différents domaines évoqués. À tout pêcheur miséricorde dit-on, même s’il semble difficile de prétendre faire d’Emmanuel Macron, dans notre histoire politique des dernières décennies, le seul « tenant des élites qui pense que conduire un pays peut se faire sans entendre les aspirations populaires ». Mais une fois fait le constat que propose notre auteur ? De rester finalement dans le même cadre.

Car ce que veulent les Français est assez bien diagnostiqué : « une reconnaissance de ceux qui travaillent, un système de solidarité juste, un pays fier de lui-même et dans lequel les règles sont respectées avec la fermeté nécessaire contre ceux qui les enfreignent, l’arrêt de l’immigration de masse, la possibilité d’un avenir meilleur pour nos enfants, à la fois dans leur destin personnel et dans la préservation de notre environnement. » Dont acte ici encore – on remarquera en passant que c’est sensiblement le discours de Nicolas Sarkozy en… mon Dieu, en 2007, déjà, comme le temps passe ! - , mais il semble que, sur un certain nombre de ces points, des propositions ont été faites par d’autres… Et si Laurent Wauquiez veut vraiment « dépasser les questions d’appareils, travailler avec des personnalités aux parcours différents, frotter sa cervelle avec tous ceux qui voudront aller chercher ce sursaut, d’où qu’ils viennent », il semble difficile d’écarter avec le terme « extrémisme », et en les accusant uniquement de « flatter les colères », des forces situées à la droite de LR.

En fait, pour le président de région, « la droite » - résumée ici à LR – n’a rien compris ni rien fait depuis des décennies, au pouvoir ou dans l’opposition, mais redécouvre le fil à couper le beurre – ce que l’on appelle le « choc avec le réel » - et entend bâtir seule un nouveau programme qui lui ouvrirait grandes les portes du pouvoir en 2027. Avouons une curieuse impression de « déjà vu »…

Peut-il opérer le changement qu’il souhaite pour la droite et pour le pays sans passer par la présidence du parti ? LR pourrait-il réellement faire partie de ce changement ? 

En ce qui concerne la tête du parti, Laurent Wauquiez est tiraillé entre plusieurs éléments : la direction d’un parti, devenu alors écurie présidentielle, peut être encore effectivement un plus - même si on peut maintenant fabriquer de nos jours un candidat, sinon un président, en quelques mois. Mais on peut être candidat désigné sans avoir la direction du parti, et en prendre la tête trop loin de l’échéance électorale, si cela peut vous imposer sur la scène nationale, peut aussi être contre-productif, par exemple si votre parti doit assumer, d’une manière ou d’une autre, sa part de mesures impopulaires.

Mais sur la question plus globale du « changement », Laurent Wauquiez semble en fait incapable de repenser la notion de « droite ». Pour lui, en 2022 comme depuis la belle époque de François Mitterrand, la droite, la vraie droite, la seule droite, c’est la « droite de gouvernement », incarnée aujourd’hui par LR. Il oublie ainsi facilement les personnalités s’affirmant comme étant « de droite » et collaborant avec Emmanuel Macron, dont bien sûr Édouard Philippe et Horizons, alors pourtant que certains des membres de son parti n’en sont guère éloignés sur le plan idéologique. Mais, surtout, il continue à placer dans le camp des « extrêmes » un RN qui, quoi que l’on puisse penser de ses origines, semblerait aujourd’hui plus à sa place comme composante de « la droite ».

Il est vrai qu’il n’a pas grand choix pour sa stratégie : il faut que la France soit « ingouvernable », et que la faute en soit, d’une part, aux macroniens – et donc aux ralliés de droite –, et d’autre part aux extrêmes – et notamment à ce RN qu’il craint, Marine Le Pen étant la seule personnalité « extrémiste » citée -, pour espérer voir s’ouvrir une fenêtre de tir à LR en 2027.

La contrepartie de ce choix est la quasi-impossibilité de présenter LR comme autre chose qu’un parti de notables dont la légitimité viendrait de leur connaissance des réseaux du pouvoir, opposés ainsi à ces extrêmes « dont on sent bien que leur incapacité à gouverner et leur posture de dénonciation permanente feraient courir de grands risques ». Mais il n’est pas certain que cette vision corresponde à la politique que va mener le parti devenu le principal rival de LR, le RN : pour l’instant en effet, pas plus de « dénonciation permanente » que de blocages systématiques. Laurent Wauquiez a raison : les cinq années à venir vont s’avérer essentielles dans la recomposition du paysage politique français.

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