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Construire l’Europe par le droit : jusqu’où ?
©YVES HERMAN / POOL / AFP

Bras armé de l'UE

L’Europe est avant tout un état de droit. Le droit, élément constitutif de la construction européenne, doit-il être tout puissant ? Bruno Alomar questionne cette prééminence et en discerne les limites.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Dans l’Europe inachevée, W.Hallstein, premier Président de la Commission, rappelait ainsi l’essence juridique de la construction européenne : « Nous continuerons à reconnaître comme l’élément qui seul garantit une unité durable la puissance du droit, la majesté du droit, et à ériger l’édifice européen sur cette solide fondation. ». 

Disons-le tout net : oui, l’Europe est avant tout un état de droit. D’où la puissance, qui étonne ceux qui la connaissent mal, de la Cour de Justice (CJUE), son juge suprême. Tout est-il cependant dit avec cela ? Le droit, élément constitutif de la construction européenne, doit-il être tout puissant ? Il faut questionner cette prééminence et en discerner les limites. 
La première limite tient à la différence d’approche entre le Nord et le Sud. De filiation protestante, les pays du Nord s’accommodent de la puissance du droit. Les pays du Sud ont un rapport plus ambigu au droit, écho à la définition donnée par Tocqueville à l’Ancien Régime : « un droit dur, une pratique molle ». Plusieurs éléments atténuent certes la portée de ces différences :  le caractère syncrétique du droit européen, qui puise aux traditions de ses membres ; la place centrale de la directive, qui laisse une marge d’appréciation aux Etats. Il reste que la différence profonde de rapport au droit est une facture en Europe. L’affaiblissement du couple franco allemand y puise. Les Allemands, spartiates et romains d’aujourd’hui, pensent l’Europe comme un ensemble de règles, n’admettent pas que les Grecs les aient enfreintes, voudraient que les questions budgétaires soient traitées jusque devant le juge européen etc. Les français, pour lesquels la politique prime sur le droit, ne se retrouvent pas dans une construction juridicisée, dépolitisée, incapable de proposer une politique de change, une politique de la concurrence, une politique industrielle etc.
La seconde limite, qui découle de la première, tient à l’hubris dont est parfois saisi le droit européen. L’on touche ici à deux risques qui menacent le droit européen.
Le premier est celui de l’extra territorialité. Le droit européen, indifférent à la nationalité, a parfois des effets puissants (ex. le droit de la concurrence). Une étape supplémentaire, à laquelle les Etats-Unis cèdent parfois, consisterait en une application du droit européen au delà des frontières de l’Europe, une application extra territoriale. Un tel risque, rare, revient cependant de loin en loin. C’est à ce risque que devra répondre en septembre la CJUE dans une affaire portant sur le droit à l’oubli, problématique nouvelle de l’ère numérique dans laquelle nous sommes entrés. Au cas d’espèce la CJUE devra se prononcer pour savoir si la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peut ou non exiger des opérateurs qu’ils appliquent sur l’ensemble de la surface du globe nos règles relatives au droit à l’oubli, conférant à ce droit le caractère d’un droit « débordant ». En la matière, l’ambiguïté n’est pas de mise : si l’Europe s’est à bon droit inquiétée de certaines pratiques américaines, elle ne saurait y céder elle aussi. Au cas d’espèce, un autre risque se ferait jour, si d’autres régimes politiques n’ayant pas la même conception des libertés publiques cédaient à la même mode. Le droit à l’oubli doit donc s’exercer dans un cadre de stricte proportionnalité.
Le second tient à la dimension prétorienne du droit européen. La vision de Montesquieu du juge « bouche chargée de prononcer les paroles de la loi » ne tient pas : le juge, pour rendre justice, doit confronter le droit à la complexité des choses. Ce faisant il contribue à le créer. En France, le juge administratif a progressivement encadré la puissance publique de manière prétorienne. Tout est affaire de mesure. Sans dénoncer à l’excès un quelconque « gouvernement des juges », il faut reconnaître que le juge européen en fait parfois trop. Si les exemples sont nombreux, la façon dont la CEDH a fait une interprétation souvent pour le moins extensive de la Convention de sauvegarde des droits et libertés fondamentales, doit être soulignée, en particulier de ses articles 3 (traitements inhumains) et 8 (famille).
De tout ceci une conclusion émerge. Le droit européen est un outil si puissant, qu’il en devient, mécaniquement politique. Le législateur et le juge doivent l’utiliser à bon escient, et savoir en discerner les limites. 

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