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Conseil européen : l’affaiblissement général de l’Union n’est pas perdu pour tout le monde et voilà à qui il profite
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Marasme

Qui est à même de profiter de l’affaissement du couple franco allemand ? Est ce que l’Europe devient juste un zombie ou des acteurs arrivent-ils encore à avancer leurs pions en silence ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que le Conseil européen s'ouvrira ce mercredi 17 octobre, dans un contexte d'affaiblissement du couple franco-allemand, quels peuvent être les effets de cette situation en termes d'enjeux de pouvoir ? Quels sont les pays, ou les institutions, qui pourraient profiter du vide provoqué par l'affaiblissement simultané d'Emmanuel Macron et d'Angela Merkel ? 

Edouard Husson : Un éditorialiste allemand, il y a trois ans, avait expliqué que Madame Merkel était en fait Chancelière de l’Europe et que le président français était, en quelque sorte, son vice-chancelier. A l’époque, le président français s’appelait François Hollande et la Chancelière apparaissait installée pour longtemps au pouvoir. Quand l’étoile de Madame Merkel a pâli, les partisans de l’Europe fédérale se sont réjouis. En fait, Emmanuel Macron était porteur d’une façon de faire assez ancienne, datant de Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, et consistant à penser que l’entente entre la France et l’Allemagne sur les grands dossiers était non seulement nécessaire mais suffisante pour  prendre des décisions en Europe. Ce n’est plus le cas et, même, Emmanuel Macron a tellement lié son sort à celui d’Angela Merkel, qu’il a entamé un déclin prématuré, qu’il ne pourra enrayer qu’en changeant complètement de vision de la relation franco-allemande - et donc, forcément, de politique intérieure. Cependant, la nature politique ayant horreur du vide, on voit bien que, le tandem Merkel-Macron étant essoufflé, s’affirment différentes forces, non coordonnées, mais qui pèsent sur le jeu européen. Il y a tout d’abord une Europe du Nord, peu bruyante mais très hostile au plan du président français pour l’Europe. En quelque sorte, Scandinavie et Pays-Bas ont le sentiment de devoir payer pour l’endettement de l’Europe du Sud, dans laquelle ils rangent la France. Il y a ensuite une Europe que je qualifierai d’”habsbourgeoise”: le groupe de Visegrad, l’Autriche et l’Italie, qui sont d’accord pour imposer une ligne dure sur l’immigration. Ils seront rejoints par l’Espagne, dès que celle-ci aura un gouvernement conservateur, à l’issue des prochaines élections. Et puis il y a les institutions européennes, qui profitent largement de l’affaiblissement franco-allemand: la Commission européenne, le Parlement européen  et la BCE. 

Que peuvent en être les conséquences concernant les dossiers actuels que sont le Brexit et la gestion du cas italien ? 

Le cas du Brexit est flagrant: les traités européens prévoient que c’est le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui doit mener la négociation. Mais comme les divisions sont profondes sur le sujet au sein d’ l’Union et comme, en particulier, la France et l’Allemagne ont été incapables d’élaborer une ligne commune, Madame Merkel étant plus opportuniste et plus conciliante vis-à-vis de Theresa May que Monsieur Macron, la Commission, et plus particulièrement Michel Barnier, s’est emparée du dossier. Au lieu d’être politique, la négociation est technocratique et donc laborieuse. En fait, la seule chose qui unit tous les pays sur le dossier, c’est le refus de devoir contribuer plus au budget européen et donc le souhait que la Commission tire le plus d’argent possible de la Grande-Bretagne. Dans le cas de l’Italie, sur l’euro, la Commission ne jouera aucun rôle au-delà du rappel aux règles budgétaires. Mais ce sont l’Eurogroup et la BCE qui vont profiter de la crise pour prendre encore plus d’influence. Et il est probable qu’il y aura unanimité par crainte de voir éclater la zone euro, autour de l’idée que l’Italie est “too big to fail”. En outre, on ne peut pas exclure une intrigue pour essayer de renverser le gouvernement Conte à l’occasion d’une telle crise: Angela Merkel et Emmanuel Macron ont des revanches à prendre sur Matteo Salvini. Mais il est plus que probable que les pays partisans des contrôles migratoires stricts bloqueront le renversement d’un gouvernement avec lequel ils sont en phase.

Quelles en sont les conséquences pour la France, et notamment sur les ambitions européennes d'Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron est confronté à différentes difficultés dans l’Union Européenne. Tout d’abord, quel que soit son volontarisme européen, l’Europe du Nord, l’Allemagne, le groupe de Visegrad, l’Autriche, l’Espagne soulignent que la croissance économique n’est pas encore au rendez-vous en France. Ah ces Français qui parlent beaucoup mais livrent peu de résultats, pensent-ils tous! Personne ne veut voir que la BCE a commencé à réduire son quantitative easing dans les semaines qui ont suivi l’élection d’Emmanuel Macron: cela suffit pour expliquer le ralentissement de la croissance en France, dont l’économie est plus sensible que d’autres aux fluctuations de l’euro. A ceci vient s’ajouter le fait que la plupart des gouvernements européens ont mal accepté le fait que le président français ne prenne pas le temps de venir leur montrer son plan européen et recueillir leurs avis et leur soutien. Non seulement Madame Merkel n’est plus “chancelière européenne” mais l’Union ne veut pas d’inspecteurs des finances à la française! Ce qu’elle attendait, c’était un président français pragmatique, homme d’action, traitant tout le monde avec égards, n’oubliant pas que chaque voix compte au Conseil européen. Au lieu de cela, le président français a instauré des rapports de force avec la Hongrie et l’Italie - leur permettant de peser plus - et il a donné le sentiment d’ignorer les Européens du Nord - les coalisant contre lui. 
Il est encore temps de changer, d’autant plus que le président français aurait une majorité s’il s’efforçait de peser pour que le Conseil exerce toutes ses prérogatives et ramène l’influence de la Commission et du Parlement à de plus justes proportions. Mais on en est loin. 
En effet, il faut insister sur le fait que le déclin de l’autorité de Madame Merkel ne signifie pas la disparition des capacités d’influence de l’Allemagne par l’intermédiaire de la Commission et du Parlement. Pensez au rôle que joue Martin Selmayr, secrétaire général de la Commission, qui en est le vrai président, dans l’ombre d’un Juncker qui connaît des sautes de concentration. Pensez aussi au Parlement européen, tant que le PPE et le groupe social-démocrate restent forts. Au lieu de se préoccuper de listes transnationales, Emmanuel Macron devrait profiter de la nouvelle donne pour se demander comment renforcer la présence française au Parlement européen à l’occasion des élections du printemps prochain. Au lieu de de cliver entre progressistes et conservateurs, un bras de fer qu’il est condamné à perdre, le président français devrait s’affirmer en rassembleur de la nation, considérer que tous les députés français serviront à renforcer l’influence du pays dans les institutions européennes. 
Dans tous les cas, on peut dire à la fois que le “plan de la Sorbonne” est mort; mais aussi qu’en changeant de méthode, en acceptant une Europe plus confédérale, le président de la République pourrait reprendre l’initiative. 

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