Marasme
Conseil européen : l’affaiblissement général de l’Union n’est pas perdu pour tout le monde et voilà à qui il profite
Qui est à même de profiter de l’affaissement du couple franco allemand ? Est ce que l’Europe devient juste un zombie ou des acteurs arrivent-ils encore à avancer leurs pions en silence ?
Edouard Husson
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Atlantico : Alors que le Conseil européen s'ouvrira ce mercredi 17 octobre, dans un contexte d'affaiblissement du couple franco-allemand, quels peuvent être les effets de cette situation en termes d'enjeux de pouvoir ? Quels sont les pays, ou les institutions, qui pourraient profiter du vide provoqué par l'affaiblissement simultané d'Emmanuel Macron et d'Angela Merkel ?
Edouard Husson : Un éditorialiste allemand, il y a trois ans, avait expliqué que Madame Merkel était en fait Chancelière de l’Europe et que le président français était, en quelque sorte, son vice-chancelier. A l’époque, le président français s’appelait François Hollande et la Chancelière apparaissait installée pour longtemps au pouvoir. Quand l’étoile de Madame Merkel a pâli, les partisans de l’Europe fédérale se sont réjouis. En fait, Emmanuel Macron était porteur d’une façon de faire assez ancienne, datant de Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, et consistant à penser que l’entente entre la France et l’Allemagne sur les grands dossiers était non seulement nécessaire mais suffisante pour prendre des décisions en Europe. Ce n’est plus le cas et, même, Emmanuel Macron a tellement lié son sort à celui d’Angela Merkel, qu’il a entamé un déclin prématuré, qu’il ne pourra enrayer qu’en changeant complètement de vision de la relation franco-allemande - et donc, forcément, de politique intérieure. Cependant, la nature politique ayant horreur du vide, on voit bien que, le tandem Merkel-Macron étant essoufflé, s’affirment différentes forces, non coordonnées, mais qui pèsent sur le jeu européen. Il y a tout d’abord une Europe du Nord, peu bruyante mais très hostile au plan du président français pour l’Europe. En quelque sorte, Scandinavie et Pays-Bas ont le sentiment de devoir payer pour l’endettement de l’Europe du Sud, dans laquelle ils rangent la France. Il y a ensuite une Europe que je qualifierai d’”habsbourgeoise”: le groupe de Visegrad, l’Autriche et l’Italie, qui sont d’accord pour imposer une ligne dure sur l’immigration. Ils seront rejoints par l’Espagne, dès que celle-ci aura un gouvernement conservateur, à l’issue des prochaines élections. Et puis il y a les institutions européennes, qui profitent largement de l’affaiblissement franco-allemand: la Commission européenne, le Parlement européen et la BCE.
Que peuvent en être les conséquences concernant les dossiers actuels que sont le Brexit et la gestion du cas italien ?
Le cas du Brexit est flagrant: les traités européens prévoient que c’est le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui doit mener la négociation. Mais comme les divisions sont profondes sur le sujet au sein d’ l’Union et comme, en particulier, la France et l’Allemagne ont été incapables d’élaborer une ligne commune, Madame Merkel étant plus opportuniste et plus conciliante vis-à-vis de Theresa May que Monsieur Macron, la Commission, et plus particulièrement Michel Barnier, s’est emparée du dossier. Au lieu d’être politique, la négociation est technocratique et donc laborieuse. En fait, la seule chose qui unit tous les pays sur le dossier, c’est le refus de devoir contribuer plus au budget européen et donc le souhait que la Commission tire le plus d’argent possible de la Grande-Bretagne. Dans le cas de l’Italie, sur l’euro, la Commission ne jouera aucun rôle au-delà du rappel aux règles budgétaires. Mais ce sont l’Eurogroup et la BCE qui vont profiter de la crise pour prendre encore plus d’influence. Et il est probable qu’il y aura unanimité par crainte de voir éclater la zone euro, autour de l’idée que l’Italie est “too big to fail”. En outre, on ne peut pas exclure une intrigue pour essayer de renverser le gouvernement Conte à l’occasion d’une telle crise: Angela Merkel et Emmanuel Macron ont des revanches à prendre sur Matteo Salvini. Mais il est plus que probable que les pays partisans des contrôles migratoires stricts bloqueront le renversement d’un gouvernement avec lequel ils sont en phase.
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