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Conseil européen : euro-ambitieux ou euro-sceptiques, y-a-t-il encore quelqu’un capable de tenir un discours qui colle avec les rapports de force réels au sein de l’Union ?
©REUTERS / Yves Herman

Allez, courage

Un Conseil européen se tiendra les 14 et 15 décembre à Bruxelles, où devraient être notamment débattues des propositions de réformes de la zone euro. Mais étant donné les situations complexes au niveau national, quels sont les pays qui tiennent encore des discours "réalistes" ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

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Atlantico : Les dirigeants de l'Union européenne se réuniront ces 14 et 15 décembre à Bruxelles dans le cadre du Conseil européen dans un climat marqué notamment par les propositions de réforme de la zone euro faites par la Commission européenne le 6 décembre dernier, considérées comme "décalées" en comparaison de celles formulées par Emmanuel Macron. Au regard de ce qui apparaît comme une possibilité de blocage, et en considérant les structures de pouvoir actuelles de l'Union et de la zone euro, qui sont ceux, parmi les membres, qui produisent encore un discours réaliste en Europe ?

Yves Bertoncini : Ce Conseil européen va d’abord acter le passage à la 2ème phase des négociations du « Brexit », à l’issue d’une période pendant laquelle les 27 ont affiché leur unité vis-à-vis de Londres. La volonté d’appartenance réaffirmée à l’UE, portée par les 27 chefs d’Etat et de gouvernement, constitue par ailleurs une réalité politique marquante, qui peut servir de base à une consolidation et à une relance de la construction européenne. Cela suppose cependant que les 27 sortent de leurs crises de copropriétaires successives, sur l’organisation de la zone euro, la gestion des flux de réfugiés et de migrants, le respect de l’état de droit et bientôt la révision de leur budget commun…

Dans ce contexte, les propositions de la Commission Juncker pour la réforme de la zone euro peuvent être appréhendées comme le produit d’un équilibre entre le volontarisme affiché par Emmanuel Macron et les réticences de l’Allemagne et d’autres pays. La création d’un « Fonds Monétaire européen » est le principal projet de court terme, tandis que la mise en place d’un « budget pour la zone euro » ou d’un « Ministre des finances européen » est envisagée à l’horizon des élections européennes du printemps 2019. Il est d’autant plus difficile d’avancer vite pour la zone euro que beaucoup de changements ont été apportés ces cinq dernières années sous la pression de la crise (sauvetage des pays en difficulté, Banque centrale européenne hyperactive, union bancaire,…), changements qui doivent encore être « digérés » politiquement.

Plus fondamentalement, le déficit de confiance entre pays de la zone euro n’a pas été suffisamment réduit : le scepticisme quant à la capacité de la France à respecter son engagement de 3% maximum de déficit public en est une parfaite illustration. C’est aussi sur cette réalité politique-là qu’il faut agir – sans quoi des pays aussi divers que l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande ou la Slovaquie seront réticents envers les propositions d’amélioration de l’union économique et monétaire.

Rémi Bourgeot : La Commission a veillé, dans ses propositions, à ne pas trancher le fond des débats sur la zone euro. Là où elle est minutieuse néanmoins, c’est dans sa volonté d'inscrire toute avancée institutionnelle dans son giron, au détriment des constructions et débats inter-étatiques. Jean-Claude Juncker suggère par-ci par-là de supprimer le poste de Président du Conseil, alors que Donald Tusk cherche justement à développer une ligne plus réaliste et à répondre au besoin de légitimité démocratique et de réaffirmation des Etats. Jean-Claude Juncker a, par ailleurs, été violemment remis en cause en Allemagne au cours des dernières années, avant d’annoncer qu’il ne briguerait pas un second mandat. De plus, la sortie d’un contributeur de la taille du Royaume-Uni ébranle forcément l’administration bruxelloise. Pour une myriade de raisons, la Commission cherche ainsi à prendre position non pas tant sur le fond, étant données les divergences majeures entre Etats, notamment entre la France et l’Allemagne, mais à se positionner dans la machinerie institutionnelle.

Sur la question de la création d’un budget de la zone euro, les positions d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel ne semblent pas compatibles en ce qui concerne le montant, que cette dernière veut très faible pour répondre à la levée de bouclier de l’électorat allemand. La Commission ne tranche pas cette question mais propose qu’il s’agisse en tout cas d’une ligne spécifique dans le budget de la Commission. De la même façon, le Mécanisme européen de stabilité ne serait plus une construction inter-étatique mais s’inscrirait pleinement dans le cadre institutionnel de l’UE en prenant au passage le nom de « Fonds monétaire européen ». Sur la création d’un poste de ministre des Finances et de l’Economie de la zone euro, là encore, celui-ci devra avant tout être un Commissaire européen qui prendrait de plus aux gouvernements la présidence de l’Eurogroupe.

Alors qu’on ne peut que prendre conscience du caractère généralisée de la crise politique qui touche l’Europe, au-delà des « accidents électoraux » qui se succèdent les uns après les autres, on assiste à une stratégie de déni. Le retour à une forme de réalisme ne peut que passer par un débat direct et franc entre gouvernements européens en mettant leurs divergences fondamentales sur la table. Les projets d’Emmanuel Macron sont rejetés en Allemagne parce qu’ils touchent aux tabous financiers de l’électorat allemand. Il ne s’agit pas d’une simple question de préférences lexicales. Alors que le débat institutionnel fait l’objet d’une focalisation absolue, les questions relatives au rééquilibrage économique entre pays européens sont reléguées alors qu’elles sont plus importantes en réalité et plus concrètes en ce qui concerne les conséquences sur les peuples européens. Les débats seraient certes difficiles mais utiles et donneraient des résultats, en visant une sortie de la stratégie économique de nivellement par le bas généralisé qui repose sur une vision fiscale du monde.

Christophe Bouillaud : Cela dépend de ce qu’on entend par réalisme ! Le réalisme, cela peut être la prise en compte la plus vigilante des contraintes de tous ordres qui pèsent sur l’intégration européenne. De ce fait, ceux qui sont les plus réalistes sont peut-être alors ceux qui n’ont pas beaucoup de projets à faire valoir, ou qui savent qu’en dehors de crises aiguës, l’Union européenne n’avance que de manière incrémentale. Comme nous sommes sur une sorte de palier de la longue crise européenne commencée en 2010 ? 2007 ? 2005 ?, il n’y pas grand-chose à attendre, d’autant plus qu’à très court terme trois grands pays de l’ouest européen, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont chacun dans une grande incertitude sur leur politique intérieure. Bref, de ce point de vue, les réalistes sont peut-être les Européens qui se taisent le plus.

D’un autre point de vue, le réalisme se serait de sortir enfin de cette longue crise européenne, et de proposer des solutions pérennes aux problèmes rencontrés. Emmanuel Macron a fait ses propositions, la Commission européenne a fait les siennes. Ces dernières pêchent tout de même par leur négligence sur l’aspect démocratique. Surtout, on peut interpréter ces propositions comme allant plutôt dans le sens de renforcer le dispositif actuel de cadrage des finances publiques dans une optique essentiellement ordo-libérale. On tend à raffiner et approfondir un ensemble de dispositifs qui restent dans le fond les mêmes depuis le Traité de Maastricht pour concilier une politique monétaire commune et des politiques budgétaires séparées. Dans le fond, tout cela ne serait pas si grave s’il y avait par ailleurs une nouvelle idée générale de la politique économique à mener en Europe. Or on peut tout de même avoir l’impression de se voir proposer par la Commission un peu plus ou un peu mieux en tout cas de la même chose. 

Par ailleurs, le véritable réalisme serait aussi de réfléchir sérieusement à certains échecs de long terme, comme par exemple le non-développement de l’Italie du sud. Depuis les années 1970, la Communauté économique européenne, puis l’Union européenne, interviennent au côté de l’Etat italien pour remédier au retard de développement du « Mezzogiorno ». Force est de constater que le résultat de toutes ces actions constitue un échec presque complet. L’écart nord/sud en Italie est revenu à son état de 1861. Plus généralement, il faudrait réfléchir, si j’ose dire, sur la force de la géographie et de l’histoire : comment compenser les effets centripètes sur l’activité économique de l’intégration européenne, bien visible sur les cartes européennes du PIB par régions ? Comment lutter contre la création d’un centre et de périphéries ? Que fait-on alors des périphéries ? Cela va bien au-delà de la seule gestion de la zone Euro, et cela va aussi au-delà du périmètre officiel de l’Union actuelle en ce que cela concerne aussi tous les pays des Balkans. Il faudrait avoir une stratégie globale pour organiser au mieux l’espace européen, or, pour l’instant, si l’UE possède une stratégie, c’est surtout celle qui avantage ses régions déjà riches, gagnantes de l’échange international.

En considérant les différents pays, entre une Allemagne figée dans ses négociations en vue d'une coalition, les élections italiennes, le référendum catalan, les désaccords avec les pays du groupe de ​Visegrád, ou encore la volonté de certains pays du nord de ne plus avancer en termes d'intégration, ne peut-on pas estimer que les nœuds de pouvoir actuels sont indémêlables ? Un discours "réaliste" européen est-il encore simplement possible ?

Rémi Bourgeot : Une approche réaliste, reposant sur la compréhension de la crise politique généralisée que connait l’Europe est possible et incontournable. La stratégie de déni actuelle vise à ne voir dans cette succession d’incidents politiques que des événements isolés alors que nous sommes confrontés à la remise en cause fondamentale d’un modèle de gouvernement. Partout en Europe s’est imposé une forme de vide politique et économique, que l’on a à tort associé au libéralisme, en substituant aux prérogatives économiques traditionnelles des Etats un modèle de « gouvernance » faisant fi des déterminants fondamentaux du développement économique et industriel. Les discussions infinies sur les règles fiscales ne sont pas seulement vaines ; elles font surtout l’impasse sur la question du modèle économique et des avancées technologiques. Toutes ces crises que vous évoquez, malgré leurs formes multiples et notamment identitaire, relèvent du rejet de la réduction ad nihilum de la vie politique européenne.

En Allemagne, les deux grands partis connaissent une érosion électorale brutale après douze années de « grande coalition » qui les a amenés à éviter les débats de fond, au détriment de l’Europe en ce qui concerne les politiques économiques de maximisation des excédents.

En Espagne, on voit un gouvernement central avec la compression salariale et les exportations low cost comme seul projet politique. Et l’on voit ce gouvernement suspendre les institutions d’une région qui, quoi que l’on pense de ses revendications sécessionistes, a su développer un modèle économique et social plus intéressant…

Christophe Bouillaud : Effectivement, sur de nombreux sujets, les difficultés et fractures s’accumulent. En même temps, au-delà des analyses politiques que l’actualité des crises nous amène à faire, il ne faut pas mettre de côté le fait que, globalement, même s’il existe toujours des entraves,  les « quatre libertés » qui sont au fondement de l’intégration européenne depuis 1957 sont toujours respectées. A ma connaissance, aucun pays de l’Union n’est entré dans la voie du protectionnisme. L’abandon de ce modèle libéral d’intégration européenne par les marchés des biens, des services, du capital et du travail, ne se trouve pas en pratique à l’ordre du jour, y compris d’ailleurs pour les gouvernements ou partis qu’on dit par commodité « eurosceptiques ». Le gouvernement polonais apparait par exemple pour le moins en marge par ses provocations qui annoncent un régime liberticide, mais, en même temps, l’économie polonaise est complètement intégrée à tous points de vue à l’ensemble européen, et ce même gouvernement est bien loin de s’engager dans une rupture de la Pologne avec le reste de l’économie européenne. On voit bien aussi  que le Royaume-Uni connait toutes les peines du monde pour définir son Brexit, en particulier sous ces quatre aspects des libertés définies par le Traité de Rome. En fait, ce qui bloque, ce qui fait l’actualité, ce sont avant tout des sujets géopolitiques, des thèmes identitaires, et enfin l’incapacité à juguler les phénomènes de passager clandestin liés à ces quatre grands marchés. Le cas le plus en vue actuellement est bien sûr celui de l’impossible harmonisation fiscale. Avec quelques pays qui jouent la carte du paradis fiscal pour vivre, parfois très bien (le Luxembourg, l’Irlande et Malte pour citer les principaux), l’UE est bloquée par ses propres règles de l’unanimité en matière fiscale. La récente liste de paradis fiscaux publiée par la Commission européenne l’a montré jusqu’à la caricature : la Tunisie y est qualifiée comme un paradis fiscal, et pas Malte. C’est vraiment ridicule, d’autant plus que, du point de vue géopolitique, l’Union européenne a par ailleurs toutes les raisons du monde de vouloir aider la Tunisie actuelle – ou alors, veut-on voir sous peu un bey djihadiste à Tunis ? Un minimum de cohérence entre les secteurs d’action publique de l’Union européenne ne ferait pas de mal non plus.

De ce point de vue des clivages internes, le second discours réaliste, celui d’un saut qualitatif, parait difficile à tenir, tout au moins à l’échelle de l’Union à 27. A en juger par les propositions de la Commission, il en est aussi de même au niveau de la zone Euro. De fait, un discours réaliste ne peut être entendu que si une crise met tout l’édifice en danger.

Yves Bertoncini : Laissez moi rappeler une évidence : l’Union européenne ne peut pas être forte si ses Etats membres sont affaiblis, car ils ont alors plus de difficultés à conclure les compromis nécessaires au niveau communautaire. Elle ira donc mieux lorsque l’Allemagne et l’Italie auront des gouvernements stables et lorsque la crise catalane aura été traitée, après les élections régionales du 21 décembre.

L’euroscepticisme des pays du groupe de Visegrad et la prudence de nombre de pays du nord de l’Europe traduisent eux des clivages entre Etats membres et entre peuples, et même parfois même des fractures qu’il faut veiller à ne pas agrandir. Le Ministre slovaque des Affaires européennes Ivan Korcok a plusieurs fois déclaré qu’Emmanuel Macron lui faisait penser à un alpiniste qui souhaitait « gravir l’Everest sans oxygène » et qui risquait de perdre en route une bonne partie de ses partenaires de cordée – dont les pays d’Europe centrale. Concentrons-nous sur la marche vers le premier « camp de base » ajoute-t-il, puis nous passerons à l’ascension vers le deuxième…

Il me semble que c’est l’esprit de la démarche de la Commission Juncker en matière de réforme de la zone euro, et que la « Realpolitik » commande d’agir de la même manière en matière de sécurité collective ou de gestion des flux migratoires. Il est très positif d’afficher une vision claire et ambitieuse pour la construction européenne, de lui redonner du sens dans ce monde tourmenté. Mais il faut ensuite avancer de manière progressive, en gardant à l’esprit la nécessité de parler à tous les Etats membres, sans céder à la facilité d’une « Europe à plusieurs vitesses » qui donnerait à beaucoup d’entre eux l’impression d’être laissés sur le bord du chemin.

Quelles seraient les conditions nécessaires à une avancée, et ce, quelle que soit le sens de celle-ci ?

Christophe Bouillaud : Malheureusement, l’expérience des dernières années montre qu’il faut que les dirigeants nationaux aient peur que tout s’écroule pour qu’ils arrivent à avancer en commun, ou pour qu’ils laissent faire une avancée par une instance  agissant en leur nom à tous. Est-ce que, sans la peur de l’écroulement de la zone Euro, en 2011-12, Mario Draghi aurait pu imposer la politique monétaire qu’il a finalement menée ? Parlerait-on aujourd’hui d’Union bancaire ? J’en doute un peu. Ce n’est que poussés par la nécessité, réelle ou perçue d’ailleurs, que les dirigeants nationaux acceptent de transiger. Ils l’ont toujours fait jusqu’ici parce qu’aucun d’entre eux n’a de réel projet alternatif pour son propre pays à l’intégration européenne. C’est bien ce qui manque d’ailleurs actuellement aux Conservateurs britanniques – ou du moins à certains d’entre eux. De ce fait, il est du coup très difficile de prévoir le domaine dans lequel il y aura une avancée. Cela dépend beaucoup en effet de la nature des crises à venir, perçues comme existentielles par les dirigeants nationaux. Ce mécanisme donne du coup un aspect très peu séduisant pour le public à l’intégration européenne. On colmate les fuites à mesure qu’elles apparaissent, et le navire continue à avancer.

Du coup, on avance en plus de guingois : beaucoup d’intégration dans les domaines où les dirigeants ont l’impression que tout va casser, et finalement peu là où cela ne parait pas si urgent que cela. Ainsi on parle depuis presque les années 1950 d’Europe sociale, et seulement, récemment d’Union bancaire. Or il semble bien que la seconde soit bien plus près d’aboutir que la première. Cela traduit juste le fait que jamais le « social » en tant que tel n’a constitué une urgence existentielle pour l’intégration européenne, alors que les crises des grandes banques ont paru l’être – peut-être à tort d’ailleurs. Cette manière d’avancer de guingois a empêché de faire un choix de priorités de long terme, qui auraient pu avoir l’effet de renforcer le sentiment d’appartenance des citoyens à l’Union européenne.

Yves Bertoncini : Il faut d’abord proposer plusieurs agendas positifs, en donnant la priorité aux défis qu’affrontent les 27 Etats membres, comme le changement climatique, la transition énergétique, la régulation financière, la gestion du marché unique etc. Les réformes de la zone euro et de l’espace Schengen ou les projets européens en matière de sécurité et de défense doivent être promus en parallèle, sans apparaître comme « l’alpha et l’omega » d’une relance de la construction européenne. Nous n’avons pas besoin d’une « Europe à plusieurs vitesses », mais d’une Europe qui avance à pleine vitesse, à plusieurs niveaux – d’une « Europe à géométrie variable » donc. Vu de Paris, « l’Europe à plusieurs vitesses » traduit une impatience, mais aussi une nostalgie : celle d’une Europe plus petite qui serait une France en plus grand. Beaucoup de nos partenaires la perçoivent ainsi en tous cas, y compris l’Allemagne – c’est donc une difficulté pour aller plus loin, et la France doit y être particulièrement attentive.

Plus généralement, de nouvelles avancées de la construction européenne demeurent possibles en raison d’un contexte géopolitique marqué par l’existence de nombreuses menaces et par l’affaiblissement de nos liens avec l’Amérique de Donald Trump : ce contexte géopolitique nous pousse à « prendre notre destin en main », comme l’a dit Angela Merkel, il constitue un 3ème moment clé pour l’unité des Européens.

La construction européenne a été lancée après la 2ème guerre mondiale, d’abord via la Communauté européenne du charbon et de l’acier, avant d’emprunter des voies marchandes avec le Traité de Rome. Elle a été approfondie après la fin de la guerre froide, avec notamment le lancement de l’union économique et monétaire par le Traité de Maastricht, qui a par ailleurs posé les bases de notre coopération en matière diplomatique, militaire, policière et judiciaire. Elle peut aujourd’hui connaître de nouvelles avancées, notamment si les Européens tiennent les promesses de Maastricht en matière de sécurité collective. Cela suppose que les Européens fassent davantage l’effort de regarder ensemble vers le monde, plutôt que vers leurs dissensions internes : c’est ainsi qu’ils distingueront plus facilement les intérêts et les valeurs qui les rassemblent et qu’ils retrouveront le chemin de leur unité.

Rémi Bourgeot : Les conditions nécessaires de toute avancée européenne reposent avant tout sur un renforcement des modèles démocratiques et un plus grand réalisme dans les relations interétatiques et les projets européens. Cela nécessite notamment de sortir du discours futuriste sur un parachèvement fédéral qui est pourtant de plus en plus improbable. On voit les institutions européennes se manifester sur tous les sujets mais seulement pour reconnaître le statu quo et tenter de se positionner dans les constructions administratives. L’enjeu de la réorientation de la coopération européenne consiste à concentrer les débats et négociations sur les questions plus concrètes de coordination des investissements, des politiques salariales et technologiques entre pays. De parler de politique réelle plutôt que de grandes avancées qui sont à la fois improbables et ne garantissent en rien une meilleure coopération européenne ni la sortie de la tendance à l’unilatéralisme des deux dernières décennies.

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