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Congrès de la CGT : SOS aggiornamento idéologique
©Reuters

Le changement, c'est maintenant ?

Le congrès de la CGT s'ouvrira ce 13 mai dans un contexte d'affaiblissement du syndicat qui a pu être révélé par le mouvement des Gilets Jaunes.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : Le congrès de la CGT s'ouvrira ce 13 mai dans un contexte d'affaiblissement du syndicat qui a pu être révélé par le mouvement des Gilets Jaunes. Pourtant, ne pourrait on pas voir cet affaiblissement comme la conséquence d'une incapacité, pour la CGT, de réaliser un véritable aggiornamento idéologique ? 

Hubert Landier : Pour comprendre la situation actuelle de la CGT, il faut remonter à 1947. En 1947, nous sommes au début de la guerre froide. D’où la scission de la vieille CGT. Les communistes la prennent en main et ceux qui refusent leur domination s’en vont et créent la CGT-Force ouvrière. Les choses sont donc très claires et le resteront jusqu’à 1989. Le Parti communiste contrôle pratiquement la CGT, même s’ils y sont très minoritaires.

Tout se dérègle à partir de 1989 avec la chute du Mur de Berlin. Le secrétaire général de l’époque, Henri Krasucki, par ailleurs membre du bureau politique du PCF, envoie un proche sur place, c’est-à-dire à Berlin est, afin de se rendre compte de ce qui se passe. Il en revient et il annonce la couleur : « Henri, c’est foutu ! » Pour ceux qui y croyaient, le choc est plus que violent. C’est un monde qui s’effondre. A partir de là, plusieurs types de réactions.

Certains se rendent compte de ce que le communisme était effectivement une impasse et, tout en restant fidèles aux valeurs de justice et de solidarité qui les animaient, s’éloignent du communisme. Mais d’autres n’arrivent pas à faire leur deuil et à admettre ce qui s’est passé. Ils restent attachés à la vulgate marxiste-léniniste. Et ils sont nombreux à la CGT !

Quand il était secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault s’est efforcé de préserver celle-ci de la débâcle du Parti communiste. Mais il aura dû se montrer prudent. Et après son départ, qu’il a d’ailleurs complètement raté, l’on a assisté à un retour de feu. Les communistes sont sans doute aujourd’hui beaucoup moins influents à la CGT mais le Parti de gauche, puis la France insoumise, ont pris le relais. Ce sont eux qui ont contribué à l’élection de Philippe Martinez.

Si Marxisme et lutte des classes dominent encore la CGT, quels ont été, historiquement, les virages idéologiques ratés par la confédération ? 

Philippe Martinez, quelle que soient ses idées personnelles, doit tenir compte de ce conservatisme qui s’exprime à travers l’idée de lutte des classes, et qui s’exprime encore très fort à l’intérieur de la CGT. Il faut ajouter ici que le comportement du gouvernement et du patronat n’aura pas rendu service à ceux qui, au sein de la CGT, plaidaient pour une orientation vers une politique fondée sur la négociation. Donc, Philippe Martinez représente une sorte de retour en arrière par rapport à ce qu’avait tenté de faire Bernard Thibault.

Mais il faut bien voir que, contrairement aux apparences, il ne représente pas l’aile la plus radicale de la CGT. Certains militants qui lui reprochent de maintenir l’adhésion de la CGT à la Confédération européenne des syndicats et à la Confédération syndicale internationale et qui sont restés fidèles à la Fédération syndicale mondiale, la vieille internationale syndicale communiste, où l’on ne trouve plus guère aujourd’hui que les syndicats vénézuéliens, cubains et de Corée du nord ! Autrement dit, de l’extérieur, beaucoup reprochent à Philippe Martinez sa fidélité à la lutte des classes mais il faut bien voir qu’il y a à la CGT des gens qui lui reprochent au contraire de s’en être trop éloigné !

Au total, on peut dire que la CGT a perdu sa cohérence idéologique. Elle est traversée par différents courants et doit désormais respecter les règles de la démocratie interne avec tout ce qu’elle comporte d’incertain. Philippe Martinez, quelles que soient ses opinions personnelles, est obligé de faire attention. Ce que la préparation du congrès de Dijon aura révélé, c’est qu’il y a plus conservateur que lui à la CGT. Ceci étant dit, la perte d’influence de la centrale au cours de ces dernières années va peut-être conduire, dans les années à venir, à un renversement de tendance en faveur de ceux et celles qui, en interne, plaident en faveur d’un véritable dialogue social. Mais il faudra, pour cela, que le contexte y soit favorable en termes d’ouverture du patronat et du gouvernement à la négociation.

A l'aube de ce congrès, Philippe Martinez déclarait : "Les Gilets Jaunes sont le reflet de tous les déserts syndicaux de la CGT: petites entreprises, moyennes entreprises, les retraités, des précaires, des privés d’emploi et beaucoup de femmes. J’insisterai beaucoup sur cette question lors du congrès". Derrière cette prise de conscience, Comment la logique idéologique de la CGT a-t-elle pu conduire à une telle déconnexion ? 

La CGT est souvent demeurée influente là où elle l’était déjà. Mais elle a échoué à se développer dans les petites et très petites entreprises, dans les nouveaux secteurs d’activité et chez les jeunes. D’où le constat exprimé par Philippe Martinez. Pour regagner le terrain perdu, il faudrait qu’elle modifie son organisation, qui reste très lourde, procédurière et compartimentée. Il faudrait aussi qu’elle change son discours, son « look » et son rapport aux salariés.  Globalement, elle donne d’elle-même une image qui n’est pas celle que les salariés, notamment les jeunes, attendent d’un syndicat.

C’est un problème qui se pose à l’ensemble des organisations syndicales. Rappelons que la CFDT, malgré son image moderniste, a elle aussi perdu des adhérents, même si c’est beaucoup moins que la CGT. La réponse n’a rien d’évident. Comment mieux répondre aux attentes des salariés, dans toute leur diversité ? Comment passer d’une organisation très pyramidale et procédurière, largement fondée sur la routine, à une organisation en réseau ? Et la réponse à apporter à ces questions est d’autant moins évidente qu’une organisation syndicale est une structure très lourde, lente et peu réactive. Les militants le disent eux-mêmes « off the record » : le moindre changement suppose de longues discussions et suscite nécessairement de multiples oppositions, pas toujours idéologiques mais motivées par les intérêts de boutique de telle ou telle structure interne.

La capacité qu’ont montrée les Gilet jaunes à susciter une mobilisation forte et durable peut faire rêver certains dirigeants de la CGT. Mais en même temps, ils peuvent s’interroger : où cela va-t-il conduire les Gilets jaunes ? Ne sera-ce pas qu’un feu de paille, faute d’un minimum de structures ? Comment expérimenter de nouvelles formes d’action sans oublier l’acquis ? Il s’agit là d’un problème de « management du changement » identique à celui qui se pose aux entreprises qui se trouvent confrontées à une mutation des conditions économiques, commerciales et technologiques de leur activité. L’expérience montre qu’il y en a qui réussissent et d’autres non. C’est la même chose pour les syndicats en général et pour la CGT en particulier…

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