Conférence sur la fin de vie : la dignité piratée <!-- --> | Atlantico.fr
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La Première ministre Elisabeth Borne prononce un discours pour le lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie, au Conseil économique, social et environnemental, le 9 décembre 2022.
La Première ministre Elisabeth Borne prononce un discours pour le lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie, au Conseil économique, social et environnemental, le 9 décembre 2022.
©Alain JOCARD / POOL / AFP

Convention citoyenne

La convention citoyenne sur la fin de vie a débuté ce vendredi 9 décembre. 185 Français tirés au sort vont débattre pendant neuf week-ends. Selon Elisabeth Borne, le sujet de la fin de vie mérite « un débat approfondi et apaisé » pour « trouver un équilibre entre la solidarité et le respect des choix individuels ».

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : La conférence citoyenne sur la fin de vie s’est ouverte ce vendredi. A quel point y-a-t-il eu une OPA réalisée sur la notion de dignité dans le débat public par les défenseurs de l’euthanasie ?

Bertrand Vergely :Pour comprendre ce qui est en train de se dérouler, un retour en arrière s’impose.

Pendant longtemps, la morale s’est fondée sur la transcendance. On appelait morale le respect de la transcendance.

Au XVIIIème siècle, quand les Lumières apparaissent, la transcendance change de sens. C’est l’Homme et non plus la transcendance qui devient transcendant. En avançant que l’Homme a une dignité et en appelant dignité le fait d’être sans prix, Emmanuel Kant est non seulement le témoin mais l’initiateur de ce changement. Est alors jugé moral le fait de respecter la transcendance de l’Homme quoi qu’il arrive. Afin d’appuyer cette idée, Kant donne l’exemple d’un homme qui, ayant envie de mettre fin à ses jours, y renonceen faisant passer la dignité de l’Homme avant ses désirs particuliers.

En 1980, quand l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) apparaît, la morale subit un nouveau changement. Est jugé moral, non plus le fait de respecter la transcendance humaine quoi qu’il arrive maisde mettre fin à la vie humaine afin d’abréger les souffrances. La dignité ne renvoie plus alors à la valeur intrinsèque de la vie humaine mais à des conditions de vie décentes. La décence a pris la place de la transcendance et de la dignité au sens moral.

Aujourd’hui, avec le débat qui s’amorce, nous assistons à un nouveau changement puisque la question n’est plus celle de la décence mais de la liberté de décider de sa vie et de sa mort.

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Lorsque Mireille Jospin décide de mettre fin à ses jours à l’âge de 90 ans alors qu’elle n’est nullement atteinte d’une maladie incurable, celle-ci illustre bien le changement qui est en train de s’opérer. On désiremettre fin à ses jours non pas pour faire cesser un état de dégradation mais avant même que celui-ci se produise.

Avec le décès de Jean-Luc Godard, ce n’est plus le désir d’anticiper la dégradation mais la lassitude qui est mise en avant. On veut pouvoir partir quand on veut parce qu’on en a assez. Pour dire les choses nettement, on veut pouvoir avoir le droit d’en avoir marre.

Au vu de ce rapide tour d’horizon, il ressort clairement que la dignité n’est plus du tout la préoccupation actuelle quand il s’agit de mettre fin à ses jours, la lassitude et la fatigue de vivre étant désormais ce qui domine.

Au milieu du 19ème siècle, Nietzsche constatait que l’homme occidental est en train de sombrer dans le nihilisme. Il sentait venir la fatigue de vivre soupirant « À quoi bon ». C’est bien ce qui est en train de se passer.

La question qui se pose aujourd’hui n’est pas celle de l’euthanasie au nom de la dignité mais de l’euthanasie au nom du nihilisme et de la fatigue de vivre. L’homme occidental n’aime plus la vie. Il réclame de pouvoir mettre fin à sa vie non pas par amour de la dignité mais par pur et simple désir d’en finir.

Comment le débat, dans la terminologie même qui a été utilisée, a-t-il été biaisé ?

Bertrand Vergely : Le débat qui est en train de s’amorcer est biaisé parce qu’il évolue dans une extrême confusion en raison de trois éléments qui se percutent entre eux : la souffrance, la liberté et le rôle de l’État.

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En théorie, le but du débat qui commence a comme objet de mettre fin à la souffrance en fin de vie. Un problème se pose toutefois. On ne voit pas l’intérêt d’un tel débat, la question de la souffrance en fin de vie étant réglée par la loi Clays-Léonetti qui prévoit la possibilité de la sédation profonde. Il y aurait des raisons de vouloir une loi pour faire face à la souffrance en fin de vie si rien n’existait à ce sujet. Mais tel n’est pas le cas. Donc, que l’on ne dise pas que la question qui va être débattue va avoir comme sens de mettre fin à la souffrance en fin de vie. Le vrai problème est ailleurs.

On pourrait être tenté de penser que la vraie question qui se pose est celle de la liberté. Mais, là encore prudence. Est-ce vraiment la liberté qui est en jeu ?

Nous vivons au 21ème siècle dans un monde avancé et démocratique, est-il dit. Dans ce monde, on devrait pouvoir avoir la liberté de décider si on veut vivre ou pas. On devrait pouvoir avoir le choix de sa mort. C’est vrai. Sauf que là encore, il y a un problème.

Rien n’interdit de se suicider. Chaque année onze mille personnes se suicident.Rien ne les en a empêché. Rien ne les en empêche. Aussi faut-il être lucide. Pour mettre fin à la souffrance, avec la sédation profonde nous avons tout ce qu’il faut. Pour mettre fin à la vie, avec le suicide nous avons là aussitout ce qu’il faut. Sur Internet, il suffit de taper « Comment se suicider » pour avoir toutes sortes de réponses possibles à cette question.

Si la souffrance n’est pas le vrai problème, si la liberté n’est pas non plus le vrai problème, il faut en tirer les conclusions : la question qui se pose est politique.

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Depuis longtemps déjà, l’opinion publiquefait pression pour que l’État qui se charge de tout se charge de la vie et de la mort. Souvenons-nous de Tocqueville à la fin de la Démocratie en Amérique. L’État démocratique qui va dominer le monde va être d’une prévenance telle qu’il va faire en sorte d’éviter la peine de vivre.

L’opinion rêve qu’il soit possible de se suicider en toute quiétude, l’État prenant tout en charge au nom de la lutte contre la souffrance en imposant dans les consciences qu’il s’agit là d’un geste aimable et admirable. Soyons encore plus précis : l’opinion rêve de faire advenir un nouveau monde dans lequel le suicide sera heureux et se suicider un acte aimable et admirable. Elle rêve d’un nihilisme heureux pris en chargepar la Sécurité Sociale.

Pour faire plaisir à cette opinion, le débat qui va s’amorcer est d’une grande habileté. Comme ce sont les citoyens qui vont décider, comme c’est le droit à la liberté de décider qui va guider ces mêmes citoyens, on pourra sans nihilisme apparent mettre en place le nouveau monde du nihilisme heureux. Tout se faisant dans la bienveillance, l’amour, la démocratie et la citoyenneté, sur fond de pouvoir soft on pourra faire advenir le suicide soft. Les mots utilisés sont à cet égard significatifs, le terme euthanasie étant appelé à disparaître afin d’être remplacé par celui nettement plus présentable d’ « aide active à mourir ».

On connaissait l’interruption volontaire de grossesse afin de ne plus prononcer le mot avortement. On va désormais connaître l’aide active à mourir afin de ne plus entendre parler de suicide. Cela va parfaitement coller avec un monde et une époque qui n’appelle plus un chat un chat mais un félidé domestique d’accompagnement.

Au vu des dérives constatées, notamment au Canada ou en Belgique, dans la pratique de l’euthanasie. Peut-on véritablement estimer que la question de l’euthanasie relève “du droit à mourir dans la dignité” ? 

Bertrand Vergely : La question du droit à mourir dans la dignité est bien évidemment dépassée, la question de fond étant politique.  Le pouvoir politique a parfaitement compris que le monde qui s’ouvre n’est plus ni religieux ni moral ni même concerné par les questions de dignité parce que seul le plaisir immédiat le concerne et le préoccupe. Dans ce contexte, avec l’apparition de la question de l’euthanasie des mineurs, on voit bien ce qui est en train de se profiler. Ce que l’avortement n’a pas réussi à éviter, un programme de liquidation  des « anormaux » va le faire.

Robert Badinter a recommandé à propos de l’euthanasie de ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Quand on fait une loi, on ne voit pas toujours tout ce qu’il y a derrière. Notre monde va faire une loi sur l’euthanasie qu’il va pudiquement baptiser du nom d’aide active à mourir. On n’a pas fini de voir tout ce qu’il va y avoir derrière une telle loi.

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