Concordat avec l’islam de France : une très fausse bonne idée<!-- --> | Atlantico.fr
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Mercredi dernier, sur France Inter, Edouard Philippe a prédit "qu'un jour la question d'une organisation spécifique de l'islam sera posée" et a indiqué que “l'idée de proposer une forme de concordat pour telle ou telle religion reviendra sur la table”.
Mercredi dernier, sur France Inter, Edouard Philippe a prédit "qu'un jour la question d'une organisation spécifique de l'islam sera posée" et a indiqué que “l'idée de proposer une forme de concordat pour telle ou telle religion reviendra sur la table”.
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Question

Edouard Philippe a prédit "qu'un jour la question d'une organisation spécifique de l'islam sera posée" et a indiqué que “l'idée de proposer une forme de concordat pour telle ou telle religion reviendra sur la table”.

Rémi Brague

Rémi Brague

Membre de l'Institut, professeur de philosophie à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilians-Universitat de Munich, Rémi Brague est l'auteur de nombreux essais dont Europe, la voie romaine (1992), la Sagesse du monde (1999), La Loi de Dieu (2005), Au moyen du Moyen Age (2008), le Propre de l'homme (2015) et Sur la religion (2018).

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Atlantico : Mercredi dernier, sur France Inter, Edouard Philippe a prédit "qu'un jour la question d'une organisation spécifique de l'islam sera posée" et a indiqué que “l'idée de proposer une forme de concordat pour telle ou telle religion reviendra sur la table”. En quoi cette possibilité d’instaurer un concordat pour l’islam serait-elle une mauvaise idée ?

Rémi Brague : Laissons de côté les raisons qui ont pu pousser Edouard Philippe à faire cette déclaration, pour n’en examiner que le contenu. La question d’une organisation de l’islam n’a rien de nouveau, elle est posée depuis longtemps, et pas seulement pour les musulmans de France. Cela fera un siècle l’an prochain, à vrai dire, depuis qu’Atatürk, en 1924, a supprimé le califat-croupion qui subsistait auprès des sultans de la Sublime Porte, à Istanbul. En principe, l’islam doit pouvoir définir lui-même ses croyances et ses pratiques, sans avoir besoin d’un magistère pour le lui expliquer. Il est censé le faire sur la base de l’« accord unanime » de la communauté (iğmā‛). Mais comment s’en assurer ? Dans la pratique, cet accord ne concerne guère que les « savants » (ulémas), les docteurs de la Loi, donc. Mais même les professeurs de al-Azhar, au Caire, ne sont pas d’accord entre eux sur tous les points. Et d’ailleurs, s’ils sont très respectés, ils ne disposent d’aucun pouvoir contraignant.

Est-ce que la difficulté du recours au concordat ne vient pas du fait de l’absence d’un clergé pour l’islam ?

Dire qu’il n’y a pas de clergé en islam est un peu vite dit. Certes, l’islam ne connaît rien de tel que le clergé catholique. En tout cas, l’islam sunnite, puisque l’islam shiite, de son côté, a développé toute une hiérarchie d’hommes de religion, avec des grades, des noms et des juridictions précis. Dans toute religion, il y a des « spécialistes », des gens qui donnent le ton. Dans l’islam français, ceux qui le font sont des imams discrets, fuyant les caméras et les micros, ou même de simples internautes, vedettes des réseaux sociaux. Ceux-ci préfèrent exercer une influence souterraine plutôt que de parader avec les politiques.

Les musulmans un peu connus sont très divisés et se bouffent le nez entre eux. A se présente comme le représentant de l’orthodoxie. Selon B, A est un incompétent qui ignore tout de l’islam. Selon C, B est un faux derche, qui adapte son discours à son public. Selon D, C est un béni oui-oui vendu aux Français. Selon E, D est incapable d’aligner deux mots en une phrase correcte, en quelque langue que ce soit. Selon F, E, chouchou des médias d’Etat, est universellement honni et méprisé par les musulmans, etc., etc. Avec qui va-t-on discuter et essayer de se mettre d’accord ?

En quoi les exemples historiques, notamment sur le concordat de 1801, démontrent que cette solution ne pourrait pas s’appliquer à l’islam ?

D’une manière générale, il n’y a pas de leçons du passé, et les exemples historiques ne montrent jamais que des probabilités. Mais attention : pour bien des musulmans, le Coran n’appartient pas au passé, il est la Parole d’Allah, aussi éternelle que Lui. Et l’exemple de Mahomet ne relève pas non plus du passé historique, mais reste d’une actualité permanente, car il est le « bel exemple » (Coran, XXXIII, 21). Or, sa biographie le montre violant des accords passés avec ses adversaires de la Mecque une fois en situation de force. La trêve de Hudaybiyya est restée proverbiale. Un musulman qui prend sa religion au sérieux pourrait-il se sentir tenu par des engagements pris envers des non-musulmans, qu’il perçoit comme les ennemis de Dieu ?

Le Concordat de 1801 a été voulu par Bonaparte. Il y a d’ailleurs ajouté des Articles organiques de son cru qui n’ont été ni négociés, ni même portés à la connaissance de l’Eglise. Ce concordat, en tout cas, traitait de puissance à puissance. Les deux côtés avaient une consistance reconnue.

Plus tard, de 1806 à 1808, il a traité avec les Juifs qui étaient présents sur le territoire français, au nombre de quelques dizaines de milliers. Leurs rabbins avaient accepté de répondre à une série de douze questions épineuses d’une façon qui pouvait satisfaire l’Empereur. Le principe fondamental permettant l’accord était dans le Talmud : « la loi civile du pays est loi <obligeant les Juifs> » (dīnā de-malkūtha dīnā). Le judaïsme ne cherche pas à donner force de loi pour les « nations » à des commandements qui sont justement faits pour les en distinguer.

Avec l’islam, le problème est plus difficile, puisque celui-ci se présente comme une civilisation clés en mains, qui donne des réponses, en principe, à toutes les questions, y compris que manger ? comment s’habiller ? comment se coiffer ?, etc. et qui les considère comme valant pour tout être humain.

Quelles pourraient être les solutions alternatives pour juguler les aspirations obscurantistes ? Un meilleur respect et une application plus spécifique de la laïcité sont-ils possibles ?

Il faudrait déjà que l’Etat applique ses propres lois, quelles qu’elles soient. Or, il arrive que les décrets d’application ne viennent pas, voire que des circulaires demandent carrément de ne pas verbaliser ceux qui contreviennent à des lois dûment votées et promulguées.

Je n’aime pas trop le mot « obscurantiste ». Mais je devine plus ou moins ce que vous voulez dire. En tout cas, l’obscurité ne se dissipe que par la clarté du savoir, non par des procédés politiques, aussi habiles et acceptables qu’ils soient. C’est peut-être pour cela que l’offensive islamiste se porte aussi décidément sur l’école.

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