Communautarisme et islamisme : certains choix collectifs sont probablement irréversibles<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis des années, la France s'est enfermée dans le piège du communautarisme, voire du tribalisme
Depuis des années, la France s'est enfermée dans le piège du communautarisme, voire du tribalisme
©BAY ISMOYO / AFP

Piège

Le racisme anti-blanc n'est pas la seule grille de lecture pour expliquer le drame de Crépol : depuis des années, la France s'est enfermée dans le piège du communautarisme, voire du tribalisme

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans l'attaque tragique du bal de Crépol au cours duquel le jeune Thomas est mort, le racisme anti-blanc n'est pas la seule grille de lecture pour expliquer ce drame. La France paraît de plus en plus divisée et enfermée dans le piège du communautarisme, voire du tribalisme. Comment s'est-elle laissée enfermer dans ce piège ?

Vincent Tournier : Si le drame de Crépol était un fait unique, on pourrait probablement faire l’économie d’une réflexion plus générale. Malheureusement, comme il s’agit d’un schéma qui se répète, il faut envisager une lecture plus sociologique, voire anthropologique. Au fond, ce que nous voyons à l’œuvre dans ce genre de faits divers, c’est selon toute vraisemblance une culture de type « holiste », c’est-à-dire une culture dans laquelle le groupe a plus d’importance que l’individu, contrairement à la culture individualiste où l’individu est la valeur première. Dans une culture holiste, la priorité est donnée à la réputation et à l’honneur. L’individu n’existe pas en tant que tel : il est d’abord le représentant d’un groupe pour lequel il doit être à la hauteur. Ce type de culture va généralement de pair avec la valorisation de la violence, ainsi qu’avec une relégation des femmes et un mépris pour l’homosexualité, ce qui est logique car la féminité et l’homosexualité sont perçues comme antinomiques avec les valeurs guerrières.
Pour diverses raisons, cette culture holiste prospère en France depuis longtemps. Comme elle n’a pas été prise au sérieux, rien n’a été fait pour la réduire. On a peut-être trop cru que la culture individualiste, très développée en France, allait finir par tout emporter. Mais ce n’est pas le cas. Il est même possible que les poches de cultures holistes se renforcent par refus de la culture individualiste.

Pour ces individus, la communauté a pris la place de la nation ?

On peut effectivement présumer que, pour ce genre d’individus, la nation française ne représente pas grand-chose. Mais à leur décharge, la mise en retrait de la nation est un processus assez général en France. Le président Mitterrand disait que le nationalisme c’est la guerre, et le président Macron a opposé les « nationalistes » aux « progressistes ». Être nationaliste serait donc un signe de bêtise et d’arriération, ce qui est étonnant quand on se souvient que la Révolution française puis la République ont fait de la nation l’expression même du progrès et de la vertu civique. C’est dire si les valeurs actuelles ont été chamboulées.

La nation est devenue un gros mot : à quel moment en fait-on l’éloge aux élèves durant leur scolarité ? Le problème est que la dévalorisation de la nation a commencé dès les années 1970-1980, au moment où la France recevait d’importants flux migratoires, souvent en provenance d’anciennes colonies. A l’époque, il n’était déjà plus question pour l’école de faire des « petits Français ». On a même considéré que les appartenances plurinationales étaient une bonne chose, ce qui a facilité le contrôle par les Etats d’origine de leurs ressortissants. A cela s’est ajouté le prosélytisme d’associations islamistes qui, bénéficiant d’une grande liberté, ont pu colporter à loisirs l’idée que l’appartenance à une communauté religieuse était bien plus importante que l’appartenance à une nation, surtout si la nation en question est une ancienne puissance coloniale, laïque de surcroît. Donc, si le communautarisme est officiellement condamné dans tous les discours, force est de constater que les conditions objectives dans la France d’aujourd’hui jouent assez largement en sa faveur.

Pourquoi est-il si difficile pour les musulmans d'exprimer un avis individuel en dehors de la communauté contrairement aux citoyens des sociétés occidentales ?

Comme souvent, il faut certainement tenir compte de plusieurs facteurs : les valeurs, les intérêts et la peur. Cela dit, cette difficulté d’expression n’est pas seulement individuelle, elle est surtout collective. On voit bien, en effet, qu’il y a aujourd’hui un problème de visibilité de la population musulman de France lorsqu’il s’agit de défendre les grandes causes républicaines telles que la condamnation de l’islamisme ou de l’antisémitisme, sans parler des causes féministes et gays. Les seules causes qui semblent mobiliser les musulmans, en dehors de la cause palestinienne, sont la défense du voile sous toutes ses formes : le voile à l’école, le burkini dans les piscines, la burqa dans la rue, le hijab dans le foot. S’il ne fait aucun doute que beaucoup de musulmans ne se reconnaissent pas dans ce genre de combats et aspirent à soutenir une version sécularisée de leur religion, on doit constater que cette partie de la communauté musulmane apparaît très peu dans les radars. C’est regrettable parce que, tel était le cas, cela rassurerait certainement l’opinion publique et permettrait de régler nombre de difficultés.

Quels sont les leviers dont dispose le pays pour sortir de ce piège tribal ? Le pouvoir politique a-t-il les clés pour répondre à cette crise ? La solution doit-elle venir des citoyens ?

Inverser la vapeur paraît difficile. Il y a des choix collectifs qui sont probablement irréversibles. L’Etat ayant renoncé à ses principaux leviers de régulation, on voit mal comment on pourrait modifier les logiques de fragmentation qui sont à l’œuvre. Il y a aujourd’hui trop de monde et trop d’institutions qui s’opposent aux réformes considérées comme sécuritaires ou xénophobes. La loi contre le séparatisme, pourtant bien minimaliste, avait suscité de vives réactions, et l’actuel projet de loi sur l’immigration, lui aussi assez timide, risque fort d’accoucher d’une souris.


Bref, on voit mal comment on pourrait revenir en arrière. Il faut donc faire le deuil de l’ancienne société française, celle que les anciennes générations ont connue, qui avait certes des défauts mais qui était nettement plus pacifiée et policée que celle d’aujourd’hui. Faute de mieux, il revient aux individus de s’adapter à ce nouvel environnement. C’est déjà ce qui se passe. Les gens intègrent la sécurité lors de leur déplacement et la sécurité privée se développe. Un décret de mars 2017, en vigueur depuis le 1er janvier 2018, a autorisé certains vigiles à avoir un armement, ce qui montre que l’Etat prend acte de son incapacité à exercer la sécurité du quotidien. A Crépol, les organisateurs du bal avaient prévu d’avoir des vigiles, mais ce n’était pas suffisant. A l’avenir, il faudra sans doute en mettre davantage, et la législation risque d’évaluer encore pour faciliter leur armement. 

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