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Comment vos propres souvenirs peuvent vous tromper au point de vous envoyer… en prison
©Reuters

Black Hole

Le cas de Gudjon Skarphéninsson, accusé de meurtre en Islande dans les années 1970, pourrait faire le lit d'un excellent polar local. Mais il est au contraire l'illustration des faiblesses et mêmes des vices que peuvent receler la mémoire. Un faux témoignage est vite advenu, et ce malgré soi.

Christophe Julia

Christophe Julia

Chrisophe Julia est psychologue clinicien diplômé de l'université de Paris 8 - IED. Il est spécialisé dans l'apprentissage de la gestion difficile des émotions (peur, colère, anxiété, perte de confiance…). Il est formé à l'hypnose éricksonienne à l'institut Milton Erickson d'Avignon, à la thérapie systémique et stratégique ou thérapie brève de Palo Alto à l'Institut Gregory Bateson de Liège.

Il est également Docteur en Sciences Economiques de l'Université de Montpellier.

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Atlantico : A la suite d'un meurtre commis en 1974 en Islande, un suspect du nom de Gudjon Skarphédinsson a été arrêté. Au terme de nombreux interrogatoires, ce dernier a fini par avouer sa culpabilité, allant jusqu'à décrire l'acte commis. Quarante ans plus tard, un docteur a fini par démontrer que Gudjon Skarphédinsson s'était en fait accusé à tort, sans même en avoir conscience. Comment la mémoire d'un individu peut-elle faillir ainsi, au point de déformer le passé vécu ?

Christophe Julia : Le problème que soulève cet exemple, c'est que la mémoire rentre dans un système. Ce système est circulaire et fait fonctionner ensemble imagination et perception. 

La mémoire, c'est donc la perception du vécu, la perception d'événements réels, mais aussi celles de choses vues comme des films, jeux-vidéos ou rêves. Ces souvenirs externes viennent aussi s'insérer dans la mémoire et, sous certaines conditions, peuvent se mêler à l'imagination. 

A partir de là, dans des conditions extrêmes, comme celles rencontrées par cet Islandais, avec de lourds interrogatoires qui coupent l'individu de son équilibre social, affectif et sexuel, et une situation psychologique instable, il peut y avoir des réactions radicales. Ces conditions lui font perdre son équilibre et affectent sa mémoire, il ne peut plus traiter l'information qu'il maîtrise sinon de façon confuse. Cette réaction est liée à l'utilisation dans l'interrogatoire d'un phénomène de suggestion. La conviction de l'interrogateur a un impact sur le suspect. C'est un conditionnement qui finit par faire croire au suspect qu'il est en fait le coupable.

Dans quelle mesure cet exemple révèle-t-il la faillibilité des interrogatoires dans le cadre d'une affaire judiciaire. Quels sont les facteurs les plus à même de perturber la reconstitution du passé dans ce type de situation ?

Les facteurs qui encouragent ce genre de réaction sont d'ordre psychologiques (l'homme est déjà en disposition de faiblesse et manque de confiance en soi), communicationnelles (qui perturbe la personne dans sa globalité). Si on l'interroge dans des conditions très affaiblies, alors qu'elle est affectée par l'isolement ou par une violence indirecte ou psychologique, il est possible que la personne en vienne à douter de la réalité. Elle se demande alors si ele n'a pas oublié la chose qu'elle avait vécue. 

La première phase est celle de cette suggestion, où l'on en vient à semer des idées. Elle est suivie par celle de l'éradication, où la mémoire est supprimée pour être remplacée par les idées semées lors de l'interrogatoire. A force, la personne, en mêlant à cela des coïncidences et des faits réels finit par croire qu'elle a réellement vécu ces événements qui ont été inséré dans sa mémoire.

Au regard du cas Skarphédinsson, que dire de la malléabilité de notre mémoire ? Où en est actuellement la recherche à ce sujet ?

La question de la façon dont une personne peut réagir à un interrogatoire a déjà été posée dans de nombreux travaux, notamment concernant la torture. Ce qui est intéressant, et qui rentre en compte dans le débat scientifique actuel, c'est que la malléabilité cérébrale est presque une preuve d'intelligence. C'est de la flexibilité. Si l'on veut avoir une façon d'interroger qui fonctionne, il faut une étude portée par un panel interdisciplinaire de chercheurs. Cela demande des moyens, du temps, et des règles du jeu à la loyale. Mais ce que montrent ces interrogatoires, qui sont donc des questionnements scientifiques, c'est que la justice qui représente le pouvoir intervient de façon bien souvent déséquilibrée, et forcément crée des conditions d'interrogation non-loyales. Et c'est alors qu'il y a une malléabilité. Ce qui fait l'approche scientifique, c'est la pluralité, l'impartialité, et la simplicité de l'opération.

Des reconstitutions de nos souvenirs peuvent-elles s'effectuer dans des situations plus banales ? Lesquelles ? Quels effets ce phénomène peut-il produire ?

Je pense que chez quelqu'un qui est équilibré, qui a un fonctionnement affectif, social et relationnel stable, il peut y avoir des erreurs de mémoire cognitive, mais elles sont généralement très anodines. On croit alors avoir fait quelque chose la veille quand on l'a fait quinze jours avant. Ou l'on se souvient d'un souvenir qui en fait était dans un film. Ce sont des petites choses, des petits bugs quotidiens. 

Ensuite, plus la personne est isolée, manque de confiance en soi, a des fragilités, subit des perturbations psychologiques ou psychiatriques, plus le phénomène prend de l'ampleur, et donc plus il y a un risque de voir ce genre de phénomène exceptionnel de modification de la mémoire se produire.

Le sujet vous intéresse ?

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