Comment TikTok et consorts sont en train de s'installer comme moteurs de recherche à part entière<!-- --> | Atlantico.fr
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TikTok, Instagram et d'autres réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés comme des moteurs de recherche.
TikTok, Instagram et d'autres réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés comme des moteurs de recherche.
©Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Nouveaux outils

Les réseaux sociaux comme TikTok sont de plus en plus utilisés comme des alternatives aux moteurs de recherche traditionnels.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Une nouvelle UX semble se développer autour de TikTok, Instagram et autres réseaux sociaux, utilisés comme des moteurs de recherche. De quoi s’agit-il exactement ? A quel point est-ce répandu ? Et quels risques pour les GAFAM ? 

Julien Pillot : La nouvelle UX dont on parle consiste à substituer aux moteurs de recherche traditionnels de nouveaux canaux numériques, en l’occurrence les réseaux sociaux, lorsque l’on cherche une information à caractère local et social. Soyons concrets : quand vous cherchez une information concernant, par exemple, un restaurant dans une ville ou un quartier précis, l’usage dominant est de questionner votre moteur de recherche (Google, Bing, Yahoo…) pour obtenir l’information souhaitée (heures d’ouverture, avis d’utlisateurs, numéro de téléphone…). Notons d’ailleurs que les moteurs de recherche monétisent ces informations auprès des entreprises concernées, qui paient pour se référencer et éventuellement pour la redirection du trafic vers leurs sites.  

Les nouveaux usages qui émergent de façon assez significative consistent à questionner de façon prioritaire non plus les moteurs de recherche, mais les réseaux sociaux à base de photographies et de vidéos. Ces derniers sont perçus, à tort ou à raison, comme plus fiables pour obtenir une information de qualité sur… l’expérience vécue sur site. Rien de tel, il est vrai, que plusieurs vidéos et photos pour retranscrire un lieu, une émotion, une ambiance.  

On voit donc émerger de nouveaux réflexes que nous pourrions résumer comme suit. Si je dois trouver un endroit sympa pour un afterwork, un restaurant romantique pour un dîner aux chandelles, ou un bar offrant des cocktails étonnants, je vais chercher sur Instagram, TikTok ou Snapchat des conseils émanant de la communauté, images et vidéos à l’appui. Et ce n’est qu’après que je me rendrai, éventuellement, sur les moteurs de recherche pour aller chercher des informations complémentaires, notamment les horaires d’ouverture ou les meilleures façons de se rendre sur place.

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A quel point ce nouvel usage est-il répandu ? Et quels risques pour les GAFAM ? 

Un tel effet de substitution est tout sauf anodin, car ne nous y trompons pas : les enjeux économiques sous-jacents sont vertigineux. On parle, ni plus ni moins, de savoir quel(s) acteur(s) peut accaparer la manne de la « publicité locale ». Et sur ce service, les GAFAM apprennent à leurs dépens qu’ils ont une fragilité structurelle insoupçonnée. Là où plusieurs de leurs services sont protégés par des effets de réseau (i.e. l’utilité qu’un individu retire de l’utilisation dudit service dépend du nombre d’agents économiques utilisant le même service), ce n’est pas le cas de la recherche locale. Sur ce service, la valeur ne découle pas du nombre d’avis disponibles, mais de la pertinence des avis et de l’adéquation entre l’avis et le besoin exprimé par l’individu. Là encore, la vidéo – même si elle peut faire l’objet de financement auprès d’influenceurs ou de retouches – est perçue comme plus parlante que des avis rédigés par des tiers inconnus… et qui, en outre, peuvent également s'avérer être faux ! 

Il s’agit donc d’un problème économique, mais également stratégique, qui mérite qu’on s’y attarde. Car, il y a urgence pour les GAFAM. J’en veux pour preuve la petite bombe lâchée par Prabhakar Raghavan (Senior VP de Google Search) qui, en juillet dernier, à l’occasion de la conférence Brainstorm Tech organisée par Fortune, a admis que … près de 40% des 18-24 ans consultent prioritairement les réseaux sociaux pour trouver de l’information locale et sociale. De là à dire qu’il y a le feu… !  

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Comment s’est développée cette utilisation nouvelle ? Quelles fonctionnalités ont permis cette évolution ? Et pour quels bénéficiaires ? 

Il me semble que cette utilisation s’est développée assez naturellement, c’est-à-dire qu’elle émane des usagers des services concernés plutôt que d’une stratégie délibérée des entreprises concernées. Plusieurs éléments ont pu contribuer à l’émergence de cette pratique, mais je crois qu’on doit revenir à la base. Quand une alternative se fait jour, c’est souvent le résultat de solutions existantes qui s’avèrent déceptives et inadaptées. Il est fort probable que les jeunes générations ont commencé à se détourner des moteurs de recherche traditionnels pour obtenir de l’information locale quand ils se sont retrouvés noyés dans un flot d’informations rédigées par des individus qui ne partagent pas du tout les mêmes intérêts et ne recherchent pas les mêmes choses. S’ajoute à cela les effets d’une génération accoutumée, de façon presque native, au visuel et aux interactions sociales permises par les réseaux sociaux de type Instagram, Snap ou Tik Tok. La suite est une conséquence logique : je cherche auprès de ma communauté une information visuelle fiable, plus immersive, mais aussi plus en phase avec mes aspirations et perceptions générationnelles. 

On le voit donc : ce sont moins les technologies très poussées en matière d’intelligence artificielle, de géolocalisation poussée, voire de réalité augmentée (autant de technologies sur lesquelles les GAFAM disposent d’un avantage compétitif certain), que des technologies visuelles plus classiques (photos et vidéos courtes) qui sont en train d’opérer cet effet de substitution chez les jeunes générations. J’y vois l’expression, une nouvelle fois, que la technologie ne permet pas de fonder une bonne stratégie d’innovation, et encore moins un avantage concurrentiel décisif et durable, si elle oublie de se mettre au service d’un besoin – effectif ou latent – exprimé par la demande. Un tel tropisme autour de la technologie, au final, créé un aveuglement du côté des GAFAM, qui a conduit à l’émergence de ces nouveaux usages qui, pour l’heure, leur échappent… et qui sont d’ores et déjà monétisés par les nouveaux bénéficiaires.  

Au premier rang de ces bénéficiaires, nous trouvons bien naturellement les plateformes telles que TikTok ou Instagram qui monétisent très bien l’attention et les données des utilisateurs. Mais, nous trouvons aussi les influenceurs qui monétisent leur audience auprès de la plateforme et des établissements dont ils font la promotion de façon bien plus efficace et virale que bon nombre de sites d’informations locales. Enfin, les établissements eux-mêmes peuvent y trouver un double intérêt. D’une part, ils peuvent bénéficier d’une nouvelle exposition sur ces réseaux, s’ils en adoptent rapidement les codes. D’autre part, la concurrence nouvelle que ces plateformes exercent sur le marché de la publicité locale peuvent, éventuellement et sous certaines conditions, leur permettre de bénéficier de tarifs d’exposition et de redirection revus à la baisse.  

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