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Comment rater une révolution (2/2)
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Lettre à mes amis tunisiens

Ben Ali parti, la Tunisie se reconstruit. Pour que le processus réussisse, il ne faudra pas aller trop loin dans l'épuration des cadres de l'ancien régime... et ne pas ostraciser les entrepreneurs déjà installés sur place.

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier est entrepreneur, actif en Ukraine depuis 2006, ancien élève du DEA d’études russes de Sciences Po, et marié à une femme d’origine ukrainienne.

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Comme je l'écrivais hier, il y a deux manières de faire capoter un élan révolutionnaire. La première est de ne pas aller assez loin.

L'autre grand risque d’échec, c’est justement d’aller trop loin, et de créer une situation d’instabilité et de chaos permanents qui appellent le retour à un régime autoritaire, avec le soutien d’une population soucieuse de rétablir l’ordre.

Une révolution a tendance à manger ses propres enfants

Toute révolution génère en son sein des radicaux,  qui se croient les seuls dépositaires de la vraie révolution. Incapables de rompre avec les exaltantes habitudes révolutionnaires, ils essaient de poursuivre et de diriger la révolution en s’appuyant sur le pouvoir de la rue et en contestant systématiquement la légitimité des autorités en place. A leurs yeux, on n’est jamais assez révolutionnaire, et tout le monde est suspect. On trouve toujours, chez tout le monde, des compromissions plus ou moins établies avec le régime précédent, ce qui n’est guère difficile lorsque l’on a fait tomber un régime autoritaire qui tissait sa toile partout depuis des décennies.

A ce titre, on ne peut que s’inquiéter de lire certains fils Twitter de jeunes Tunisiens, qui dénoncent régulièrement telle ou telle personnalité compromise, appellent à descendre dans la rue pour chasser les ministres dès qu’ils sont nommés - à commencer par l’un des leurs qui a le courage et la responsabilité de participer au processus de transition -, ou voient des conspirations partout (organisées par les ex-RCD, la CIA, la France, etc…).

L' "affaire" Orange Tunisie

De même, on peut s’inquiéter du traitement médiatique donné à cette soi-disant affaire d’Orange Tunisie, alors qu’elle ne repose que sur des suppositions, et aucun fait qui semble en quoi que ce soit condamnable. Une opération d’investissement classique telle qu’on en voit des centaines se dérouler chaque année. Quand le simple fait d’avoir été marié à une fille du Président déchu suffit à faire condamner par voie de presse un homme issu d’une famille d’authentiques entrepreneurs (les Mabrouk) dont la fortune a été patiemment construite depuis l’après guerre, soit bien avant Ben Ali, on est clairement dans la chasse aux sorcières. Et pendant ce temps là, chose étonnante, on ne parle plus des vrais brigands qui ont ostensiblement pillé la Tunisie depuis 20 ans sans créer quoi que ce soit. On préfère s’intéresser à une affaire qui ne repose pour le moment que sur des suspicions, et sur aucun fondement concret, sans doute parce qu’on peut ainsi se payer une grande société -Orange- et conforter ainsi sa vision conspirationniste du monde économique et politique.

Pour une révolution douce

La nouvelle démocratie tunisienne aura besoin d’élites politiques et économiques et de grands groupes étrangers qui viennent y investir (et non pas "exploiter" les Tunisiens, qu’il ne faut pas conforter dans cette vision, erronée, dilatoire et incapacitante, des relations économiques internationales). Tous ceux qui avaient des activités économiques en Tunisie le savent : il n’était pas possible de mener un projet sans avoir des relations avec la Présidence. Si le simple fait d’avoir eu ces relations suffit à l’avenir à vous clouer au pilori, médiatiquement, économiquement ou juridiquement, alors la Tunisie risque de se priver de nombreux hommes et femmes utiles au succès de la nouvelle Tunisie et à la consolidation des acquis de la révolution, comme la France en a fait la malheureuse expérience entre 1792 et 1794.

Face à cette tentation révolutionnaire permanente, le nouveau régime démocratique issu des urnes devra faire deux choses.

  • Mener puis finir l’épuration dès que possible, en traçant une limite claire entre les actions qui méritent que l’on soit définitivement exclu de la vie politique et/ou économique, et celles qui seront tout aussi définitivement "pardonnées".
  • Faire respecter l’autorité des nouvelles institutions démocratiques contre le pouvoir de la rue.

Heureusement, le talent des Carthaginois et le tempérament des Tunisiens, emprunts d’une douceur et d’une gentillesse légendaires, devraient mettre leur révolution sur de bons rails.

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