Comment notre ethnocentrisme nous a mené à sous-estimer l’homme de Néandertal durant des décennies<!-- --> | Atlantico.fr
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Les premières découvertes sur l'homme de Néandertal sont effectuées à la fin du XIXème siècle. Des restes osseux appartenant à cette espèce sont retrouvés dans la Grotte de Spy (Belgique) en 1886.
Les premières découvertes sur l'homme de Néandertal sont effectuées à la fin du XIXème siècle. Des restes osseux appartenant  à cette espèce sont retrouvés dans la Grotte de Spy (Belgique) en 1886.
©Reuters

Sur les traces de l'humanité

Depuis sa découverte au début du XXème siècle, nous avons dépeint l'homme de Néandertal comme un hominidé rustre, arriéré et bien inférieur aux homo sapiens que nous sommes. Pourtant, les découvertes menées depuis la fin du siècle dernier nous poussent à relativiser cette supposée supériorité.

Pour la communauté paléontologique, le mystère de l'homme de Néandertal reste entier. Cette espèce de genre Homo, famille dont les homo sapiens que nous sommes font également partie, s'est éteinte il y a environ 28 000 ans de cela sans que l'on y trouve d'explication. Si les découvertes des dernières décennies nous ont amené à reconsidérer l'homme de Néandertal comme une espèce à part, riche d'une intelligence et d'une culture propre, cela n'a pas toujours été ainsi. Au cours d'une interview accordée au site Vox, la paléontologue et écrivain Lydia Pyne a retracé comment nous avons sous-estimé Néandertal pour justifier notre règne, celui d'homo sapiens, jugé plus intelligent et évolué.

Plus proche du singe que de l’homme

Les premières découvertes sur l'homme de Néandertal sont effectuées à la fin du XIXème siècle. Des restes osseux appartenant  à cette espèce sont retrouvés dans la Grotte de Spy (Belgique) en 1886, avant que les paléontologues ne mettent la main sur la sépulture de l'Homme de La Chapelle-aux-Saints (Corrèze) en 1908, où le squelette entier d'un homme de Néandertal repose depuis des millénaires. Le paléontologue français Marcellin Boule est chargé de l'analyse du squelette. En 1911, après trois ans de travaux, le scientifique rend compte de ses résultats et dresse un premier portrait de cette espèce, qui deviendra la référence pendant plus de 50 ans.

Dans son étude, Marcellin Boule décrit un homme de Néandertal voûté, la colonne vertébrale courbée (comme chez les gorilles), la tête projetée en avant, et les membres inférieurs semi-fléchis. Le scientifique dépeint là un homme à l’allure bestiale et primitive, plus proche du singe que de l’être humain. Un préjugé renforcé par les dimensions impressionnantes des Néandertaliens, témoignant d’une force physique bien supérieure à celle des homos sapiens : 1mètre 60 pour 80 kilos. Il fallait bien contrebalancer cet avantage par quelque chose, en l’occurrence notre supposée intelligence supérieure.

Inexactitudes et ethnocentrisme

Et pourtant. Depuis la seconde partie du XXème siècle, les scientifiques ont fini par reconsidérer cette espèce qu’ils avaient si longtemps cru inférieure à celle d’homo sapiens. Ce changement de cap a été amorcé notamment par la ré-analyse du squelette observé par Marcellin Boule par les anatomistes William Strauss Johns et A.J. Cave, qui découvrent que la posture de l’homme qui en disait long selon le Français sur la bestialité de Néandertal indiquait en fait qu’il souffrait de différents maux, tels qu’une arthrite au niveau des vertèbres cervicales, une hanche gauche présentant une déformation et un genou abîmé, précise le site Hominidés. Des caractéristiques indiquant l’état de vieillesse avancé de l’homme en question. De là, les scientifiques ont accordé davantage d’importance à la manière dont vivaient ces Néandertaliens. On découvrira ensuite que l’homme de Néandertal était un être intelligent, doué de sociabilité, d’humour, d’émotions, d’habilité et de réflexion. Pour anecdote, ils transportaient même sur eux le parfait petit kit pour pouvoir allumer un feu. Malin, non ?

(Suite en page 2)

Alors qu’est ce qui nous a poussé, en dehors de l’analyse inexacte de Marcellin Boule, à nous fourvoyer autant sur le sort de Néandertal ? Pour Lydia Pyne, interrogée par Vox, la réponse est évidente : “Il s’agit d’un préjugé inhérent qui découle de notre envie, à nous les humains, d’être uniques. Nous nous rassurons en nous disant que par le biais de notre langage, notre culture, ou notre habilité à marcher sur deux jambes, nous sommes l’archétype d’une évolution réussie. […] Il est typiquement humain de se sentir très confiant quant au fait que notre évolution s’est nécessairement faite aux dépens de Néandertal”. Un ethnocentrisme caractéristique de l’être humain qui nous aurait poussé à glorifier notre espèce pour justifier la disparition de celle de l’homme de Néandertal. “Pour les scientifiques, il devait y avoir une raison pour que les Néandertaliens aient disparu. Il y avait alors une sorte de lecture morale en vigueur : nous avions réussi et pas eux, grâce à notre ingéniosité, nos outils, notre culture, notre quelque chose qui fait que nous sommes exceptionnellement humains, ajoute-t-elle. Je remarque que dans le discours narratif de notre histoire, nous avons le besoin irrépressible de créer un ‘autre’. C’est un outil très puissant, dans le discours narratif humain, pour le meilleur et pour le pire, qu’on utilise encore aujourd’hui”. De quoi amener à réfléchir sur la manière parfois manichéenne dont on présente le monde et les différentes populations, ethnies et cultures que l’on y trouve.

Sommes-nous les mulâtres de Néandertal et homo sapiens ?

Mais revenons à nos moutons, une dernière fois. À la suite de ces reconsidérations, la communauté scientifique se déchire sur la place de l’homme de Néandertal dans l’évolution de l’être humain, dont l’homme moderne que nous représentons est le stade le plus évolué. L’homo sapiens est-il une espèce évoluée du Néandertalien, ou bien sont-ce là deux espèces distinctes ? Aujourd’hui encore, la question continue de faire débat, bien que la théorie de deux espèces distinctes l’emporte plus majoritairement. Quoi qu’il en soit, ces deux familles d’êtres humains qui se trouvaient sur Terre au même moment, auraient fini par se côtoyer durant quelque 10 000 ans en Europe, et sûrement… par copuler.

Un brassage génétique aurait eu lieu, et les gènes des homo sapiens, plus nombreux, auraient fini par prendre le dessus sur ceux hérités de Néandertal. De quoi expliquer leur disparition progressive. Serions-nous des bâtards, rejetons d’un croisement entre deux espèces ? Il s’agit en tout cas d’une théorie, parmi les nombreuses existantes : changement climatique, alimentation trop peu variée, consanguinité, conflit armé avec les homo sapiens, épidémie… Celles-ci sont détaillées dans la vidéo ci-dessous : 

Le mystère autour de l’homme de Néandertal reste pour l’instant à l’image de la réputation bestiale dont il a hérité : tenace.

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