Comment McDo est devenu le meilleur ami des agriculteurs français<!-- --> | Atlantico.fr
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Les restaurants français de la chaîne McDo achètent 70% de leurs produits à des producteurs français.
Les restaurants français de la chaîne McDo achètent 70% de leurs produits à des producteurs français.
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Ami ou ennemi ?

Frites 100% françaises dès novembre 2013, burgers au camembert... McDo met régulièrement en avant ses attaches avec le monde agricole, dont il est l'un des principaux clients. Le "démontage" d'un McDonald's par des agriculteurs n'est-il plus qu'un mauvais souvenir ?

Bernard Malabirade,Yuna Chiffoleau et Willy Brette

Bernard Malabirade,Yuna Chiffoleau et Willy Brette

Bernard Malabirade est le secrétaire général de la FNB (Fédération nationale bovine).

Yuna Chiffoleau est chercheuse à l’INRA et chef de file du groupe Agriculture et alimentation du Réseau rural français.

Willy Brette est le vice-président achat, qualité et logistique de McDonald’s Europe du Sud (France, Espagne, Italie, Belgique, Hollande).

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Atlantico : Le souvenir d’un restaurant McDonald’s détruit par des agriculteurs fut l’une des images médiatiques les plus fortes de la décennie 1990 et a laissé dans l’imaginaire commun l’idée d’une opposition fondamentale entre l’agriculture française et le géant américain du fastfood. McDonald est-il toujours l’ennemi des agriculteurs français ?

Bernard Malabirade: En utilisant de très importantes quantités de produits issus de l’agriculture française, il est bien certain que McDonald’s n’en est pas l’ennemi. C’est notamment le cas pour la viande, les pommes de terre et les farines à destination du pain. On ne peut néanmoins pas dire pour autant qu’il s’agit de circuits courts, puisque McDonald’s s’adresse quand même essentiellement à de très grandes entreprises de production agricole.

Quoi qu’il en soit, il est positif que la firme veuille se rapprocher du monde de l’agriculture. Et quand une entreprise sert 1,2 million de repas par jour, il est bien évident que les agriculteurs français veulent travailler avec elle. McDonald’s prend aujourd’hui des pièces de viande sur 40% des bœufs français, c’est un volume unique en France, ce qui en fait un interlocuteur privilégié. Force est de constater que cette logique d’achats français est faite de manière intelligente et que McDonald’s est rarement pris à défaut sur la question de la qualité. Le débat sur le mode de consommation que fournit McDonald’s est une autre problématique qui soulève des questions complexes, mais au moins, ils sont irréprochables sur la qualité.

Willy Brette : Je crois sincèrement que McDonald’s est perçu comme un ami, bien que je sois probablement mal placé pour en juger. En tout cas, c’est la treizième année que nous participons au Salon International de l’Agriculture et les retours sont très bons. Nous voyons passer sur notre stand des agriculteurs, des éleveurs, et personne n’a essayé de le démolir. Il me semble que beaucoup d’agriculteurs cherchent à travailler avec nous, parce qu'ils cherchent de la fidélité et de la stabilité dans de grands volumes et pas des acheteurs qui avancent au coup au coup. Il me semble que c’est ce que nous essayons de faire.

Quelle est aujourd’hui la part des ingrédients vendus par McDonald’s qui proviennent de l’agriculture et de l’élevage français, et sont-ils également transformés en France ?

Willy Brette : Le chiffre « raccourci » sur lequel nous communiquons est de 70% de produits alimentaires vendus par McDonald’s qui sont issus de l’agriculture française. Nous ne prétendons pas faire 100%, car pour certain produits, ça n’aurait pas vraiment de sens. Nos ananas, par exemple, viennent du Costa Rica et cela n’empêche en rien la traçabilité et la sécurité. Pour le blé, et donc le pain, nous nous fournissons exclusivement en France, pour le bœuf nous sommes à peu près à 50% et pour les frites, nous venons de passer à 100% de pommes de terre françaises.

Evidemment, nous pourrions peut être faire plus. Mais dans le cas du bœuf, cela représente par exemple 27 000 tonnes et des achats très importants qui font fonctionner la filière bovine française. Si les frites sont produites en France, les potatoes le sont aux Pays-Bas et leur sauce est exclusivement produite à Avignon. La plupart des autres sauces sont produites à Dijon, certaines viennent d’Allemagne et d’Angleterre. Dans l’ensemble nous allons donc rarement chercher très loin.

Cette politique "locale" est-elle la même dans tous les pays ?

Willy Brette : Une fois encore, notre discours n’est pas de dire que nous sommes 100% made in France, mais que nous essayons de fournir de bons produits à nos client, notamment en nous fournissant en produits de qualité et au plus près de nos consommateurs. Il est certain que nous communiquons particulièrement sur cela en France, car c’est un grand pays agricole dont l’amour des produits et de la nourriture est profondément ancré dans notre Histoire.

Ce n’est cependant pas le seul pays dans lequel McDonald’s fait cela. Cela correspond en général aux pays de traditions agricoles comme l’Angleterre, les Pays-Bas, ou en partie l’Allemagne. Bien évidemment, nos différentes filières dans les pays voisins de la France nous permettent de fournir quand même tous les consommateurs en cas d’incident climatique ou d’une éventuelle épidémie sur la viande, par exemple.

Quels sont les risques pour l'agriculture française dans son ensemble, et pour chaque agriculteur, d'avoir un aussi gros client ?

Bernard Malabirade : Il est clair que les négociations avec McDonald’s ne sont jamais faciles, notamment au niveau du bœuf, qui est géré par la branche appelée McKey de l’entreprise. Elles ne pour autant jamais déconnectées de la noblesse du produit qu’est la viande. Il y a une considération sur le produit qui mérite d’être saluée et il faut espérer que cela ne changera pas. Toujours sur le bœuf, McDonald’s prend les morceaux destinés aux steaks hachés et non pas les pièces de viande à griller que prennent les autres. Cela montre que McDonald’s n’achète pas des animaux entiers dont l’entreprise tire de la viande hachée : elle n’achète que des morceaux et cela ne met donc pas les agriculteurs dans une position d’asservissement vis-à-vis d'elle.

Yuna Chiffoleau : De manière générale, et assez paradoxalement, un important volume n’est pas toujours la condition d’une plus grande dureté dans la négociation. En effet, que ce soit McDonald’s dans certaines opérations ou la grande distribution en général, quand des AOC ou des produits de ce genre sont achetés, ils le sont en tant que produits faire-valoir et ils ne considèrent donc pas toujours nécessaires de tirer les prix vers le bas.

De plus, il faut se rendre compte que même quand McDonald’s fait un hamburger au Charolais, la production de cette viande  reste tout de même très importante et McDonald’s n’en achète pas la totalité. Nos agriculteurs sont donc bien loin d’être entièrement dépendant du bon vouloir de McDonald’s. Le risque n’est donc pas structurel et l’initiative est plutôt bonne.

Ce qui est triste, c’est de voir qu’il n’y a que très peu de grandes chaines, qu’elles soient agroalimentaires ou de restauration, qui le font vraiment. Il est étrange de constater que c’est une entreprise américaine qui se sent obligé de le faire et non pas les entreprises françaises.

Il faut tout de même faire attention à ce que McDonald’s ne finisse pas par utiliser sa position pour imposer une politique de prix désastreuse pour nos agriculteurs, ce n’est en tout cas pas le cas pour l’instant. Cette façon d’acheter, qui je le répète devrait être plus généralisée, pourrait être une bonne base à la reconstruction du lien entre les Français et leur agriculture dont tout le monde parle depuis des années mais pour laquelle personne ne fait rien de concret.

Les agriculteurs français sont-ils vraiment ceux qui bénéficient de l’achat de produits français par McDonalds ou sont-ce les intermédiaires de transformation ?

Bernard Malabirade : S’il y a des intermédiaires, c’est qu’ils apportent un service comme le hachage, car le travail de l’éleveur ou de l’agriculteur n'est que de produite. Ensuite, il existe bien évidemment ce que l’on appelle le regroupement de l’offre, qui permet aux divers producteurs de s’organiser en groupes, en coopératives par exemple, afin de vendre directement à McDonald’s. D’ailleurs dans le cas de la viande, il y en a une partie qui est destinée à d’autres marchés européens.

L’Europe est aujourd’hui traumatisée par l’affaire de la viande de cheval. Cela peut-il remettre profondément en cause le marché des matières premières alimentaires et la façon dont est perçu le marché alimentaire par les consommateurs ?

Bernard Malabirade : Je crois que la prise de conscience porte essentiellement sur les plats préparés ; et cela fait déjà longtemps que le marché du frais a fait de gros efforts sur la traçabilité. Le traumatisme, qu’il faut modérer car la consommation ne s’effondre pas, porte surtout sur le circuit de cette matière première et cela nous révèle à quel point il est important de rapprocher les points de consommation et les points de production. Pour autant, et bien que la FNB se soit constituée partie civile, il s’agit essentiellement d’une fraude et non pas d’une remise en cause totale de l’agriculture ou de la consommation. 

Willy Brette : Je me permets avant tout de dire que dans cette crise alimentaire de très grande ampleur, les plus grands noms de l’agroalimentaire français sont cités mais pas le notre. Cela est simplement dû au fait que nous essayons de raccourcir au maximum le parcours de la viande entre le producteur de viande et nos restaurants. Il n’y a entre les deux qu’un abattoir et un hachoir ; alors que dans cette affaire, tout le monde se renvoie la balle entre fournisseurs et vendeurs car personne ne sait vraiment qui doit être incriminé.

Yuna Chiffoleau : J’espère sincèrement que cela va améliorer les choses, mais j’ai bien peur que comme dans le cas de la vache folle, tout recommence des que l’émotion sera retombée. C’est aussi la faute des médias qui ont finalement très peu parlé du retour d’une partie des farines animales dans l’alimentation des animaux, des poissons en l’occurrence. Ce sont donc les politiques qui doivent prendre le relais, notamment en éduquant les consommateurs dès leur plus jeune âge. En effet, les Français sont peu intéressés par l’origine de ce qu’ils mangent, à la différence d’autres peuples qui y accordent plus d’importance et lisent énormément sur la question. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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