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Comment Marine Le Pen veut s’appuyer sur la question européenne pour redevenir la première opposante à Emmanuel Macron
©Yann COATSALIOU / AFP

Ambitions retrouvées

La présidente du Front national Marine Le Pen a réuni une partie de ses alliés européens à Nice pour le 1er mai.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Marine Le Pen organisait le 1er mai son traditionnel rassemblement en hommage à Jeanne d'Arc. Mais alors que son père était bien à Paris, elle inaugurait un nouveau cadre, en célébrant la Pucelle à Nice. L'occasion pour la présidente du Front National d'inviter différents leaders populistes des autres pays européens, dans un contexte particulier. Les succès que rencontrent aujourd'hui ces partis eurosceptiques inquiètent beaucoup de commentateurs. Mais ne pourrait-il paradoxalement apporter plus d'unité à l'Europe, en la poussant à assumer une identité plus ethnico-culturelle, ou un modèle d'alliance entre Etats-nations ?

Edouard Husson : Tandis qu’Emmanuel Macron n’arrive pas à convaincre les Allemands de constituer des listes transnationales pour les prochaines élections européennes, Marine Le Pen s’empare assez habilement de l’idée et donne l’impression qu’il existe une union des souverainistes à l’échelle de l’Europe. Comme elle fédère les souverainistes, elle n’a pas à afficher des listes transnationales; il suffit de suggérer que tous ces partis siègeront dans le même groupe à Bruxelles. La réalité est bien entendu moins impressionnante: les deux poids lourds, Geert Wilders et Mateo Salvini, ne se sont pas déplacés. Mais c’est une question d’image. Marine Le Pen a retrouvé ses camarades européens à Nice, ville meurtrie par le terrible attentat de juillet 2016. Etre à Paris aujourd’hui lui aurait fait prendre le risque soit d’être une nouvelle fois à la merci des faits et gestes de son père, soit d’être rendue à l’insignifiance par les violences des casseurs. Quitter Paris, c’est aussi souligner le vide laissé par l’absence d’Emmanuel Macron, aux antipodes. Tout ceci n’est sans doute pas calculé dès le départ mais le résultat est là.

Quelle influence peut avoir ces formations qui appartiennent toutes à "ENL", Europe des Nations et Libertés, aux prochaines élections européennes ? De quelle ampleur devra être son succès pour peser vraiment lors du prochain mandat ?

On a un rassemblement fait de bric et de broc. On trouve des conservateurs et de l’extrême droite dure; des régionalistes et des nationalistes. Le caractère peu recommandable de certaines composantes du rassemblement se reflète dans le terme « hélleno-chrétien » utilisé par la présidente du Front National; elle n’ose pas dire « judéo-chrétien » là où se pointent le FPÖ postnazi ou le Vlaams Block compagnon de route de l’occupant durant la Seconde Guerre mondiale. Pour l’instant, les souverainistes, nationalistes et régionalistes de ces différents pays se réjouissent de leur convergence. Et ils ont bien un dénominateur commun, l’hostilité à l’immigration. Mais il faut anticiper et de demander ce qui se passerait le jour où des souverainistes des différents pays deviendraient majoritaires au Parlement Européen : les intérêts nationaux reprendraient le dessus. La perspective transnationale est une illusion, qu’elle concerne les souverainistes ou les européistes. L’Europe ne pourra pas sortir de cette contradiction: la démocratie ne peut pas être européenne car la démocratie s’enracine dans une langue et se déploie dans les frontières d’un Etat. Or l’Europe n’est pas un Etat et on y parle de nombreuses langues. Cela n’empêche pas de développer des coopérations étroites au plan européen mais le seul contrôle démocratique qui tienne se trouve, potentiellement, dans les parlements nationaux. Pas au Parlement Européen, qui restera, quelle que soit sa composition, aussi vulnérable aux manipulations des gouvernants que le Sénat de la République est impuissant face aux manigances de Palpatine dans Star Wars. 

Un succès européen d'ENL viendrait renforcer l'opposition entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Le risque n'est-il pas de polariser assez radicalement l'opposition sur les questions européennes ?

Effectivement, Marine Le Pen, derrière les apparences, a sans doute cela en tête: redonner corps à l’idée qu’elle est la première opposante à Emmanuel Macron.  Au moment où Mélenchon est peu audible face aux syndicats et aux manifestations, Marine Le Pen utilise le thème européen pour développer un discours d’opposition politique maximale. Il est très probable que Laurent Wauquiez sera en position de faiblesse,  puisqu’il ne sera pas assez européiste pour la gauche des Républicains et pas assez souverainiste pour ceux qui souhaitent l’union des droites dans son camp. Il risque d’être pris en étau entre Macron et Marine Le Pen. Cette dernière a sans doute un seul objectif, implicite, lors des élections européennes, réduire Wauquiez à l’insignifiance. Cela lui faciliterait la préparation de la présidentielle. Quant à la question de la polarisation et de l’ère de turbulence dans laquelle elle fait entrer l’Union Européenne, elle est évidente. Mais ce sont les partis de gouvernement qui sont entièrement responsables: à force de ne plus organiser entre eux de débat sur la forme que doit prendre l’Europe, à force de répéter, comme tous les néo-libéraux de Margaret Thatcher à Angela Merkel, « Il n’y a pas d’alternative », ils ont provoqué, ils provoquent un peu partout la montée électorale des populistes voire leur victoire quand une alliance se produit entre populistes et conservateurs. Les européistes récoltent ce qu’ils ont semé.

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