Comment les militants de la "Manif pour tous" vont changer en profondeur la vie politique française<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militans anti mariage gay.
Des militans anti mariage gay.
©Reuters

Bonnes feuilles

En l'espace de trois grandes manifestations, la contestation de la loi sur le mariage pour tous a mobilisé des millions de citoyens. Ce mouvement est en passe de modifier en profondeur la vie politique du pays. Extrait de "Et la France se réveilla" (1/2).

La dignité de la personne. Elle est au coeur de l’engagement des militants qui, après leur défaite, n’ont pas cessé le combat. « On peut aborder cette loi de tous les côtés, expliquent-ils, on arrive toujours à la conclusion qu’elle nie la réalité des personnes. Que c’est une loi idéologique, presque religieuse. Il me semble que cette religion, c’est le nihilisme désenchanté qui vient de la société de consommation, explique le prêtre et philosophe Guillaume de Tanouärn. L’Europe est fascinée par le néant. »

Pour ces militants, donc, la lutte ne s’arrêtera qu’avec le retrait de la loi Taubira. Après les grandes manifestations, ils sont devenus experts dans l’art de la guérilla militante et médiatique. Ils poursuivent aux quatre coins de la France les comités d’accueil. Ils continuent de veiller debout devant les bâtiments institutionnels, même depuis la libération de Nicolas Bernard-Buss. « Vous allez continuer comme ça pendant dix ans ? Vingt ans ? », a demandé Christiane Taubira, un peu irritée, à un manifestant de la place Vendôme.

Sur le Tour de France, ils n’ont raté aucune étape. Drapeaux, banderoles et calicots étaient toujours visibles. Les veillées ne se sont pas arrêtées avec les vacances. « Qu’allez-vous faire après la promulgation de la loi ? » avait-on demandé au mois de mai à Michel Janva : « Lutter jusqu’à ce qu’elle soit abrogée », nous avait-il répondu. Ce « on ne lâche rien », emprunté à Jean-Luc Mélenchon est, pour eux, une chose très sérieuse. Ils soutiennent les maires qui, comme Franck Remiller à Vienne ou Xavier Lemoine à Montfermeil refusent, au nom de leur conscience, de célébrer des mariages entre deux personnes de même sexe.

Ils écrivent à leurs élus pour leur demander s’ils comptent abroger la loi Taubira. Ils ne perdent aucune occasion de se regrouper et de ressortir les drapeaux. Avec eux, des intellectuels, des philosophes, des journalistes considèrent qu’il peut être légitime de s’opposer à une loi, même votée. Venu parler devant les Veilleurs de Versailles au début du mois de juillet, Michel De Jaeghere avait conclu un brillant exposé sur les origines de la loi dans la pensée grecque en ces termes : « S’opposer à la loi Taubira était un devoir. Exiger son abrogation en est un autre. L’une et l’autre attitudes relèvent en effet de la véritable obéissance aux lois : aux lois non écrites qui sont inscrites dans le coeur de l’homme, à la loi naturelle et à l’ordre du monde tels qu’ils sont connaissables par la droite raison. C’est en restant fidèles à ces lois, comme vous le faites ici ce soir, que vous continuerez à n’être ni esclaves ni sujets de personne, que vous continuerez d’être libres. »

La Manif pour tous est sur cette ligne. Très au-dessus de la cuisine électorale. Si elle n’a pas d’adhérents, elle peut compter sur des représentants dans chaque ville de France, des centaines de volontaires, des donateurs, des dizaines de milliers de sympathisants. « Aucun parti politique, explique Ludovine de la Rochère, n’est capable aujourd’hui d’organiser en six mois trois manifestions monstres, de recueillir plus de 700 000 signatures sur papier, de monter en quelques heures des petites manifestations aux quatre coins du pays. » « Quelqu’un qui pendant un an a donné 500 heures pour une oeuvre qui le dépasse se retrouve désoeuvré l’année suivante, affirme pour sa part Alberic Dumont. Il cherchera forcément à reprendre une activité militante. » Cette génération sait qu’il suffit maintenant d’un texto, d’un drapeau, d’un sifflet pour aller se faire entendre dans la rue. Ils y ont pris goût et pour certains, c’est une drogue dure.

Consciente de sa force, la présidente de LMPT ne compte pas en rester là. Elle a rencontré, à leur demande, un à un, les politiques : Xavier Bertrand, Guillaume Peltier, Jean-François Copé, Laurent Wauquiez. Elle a décliné bien des propositions de candidature. Elle est persuadée que la Manif pour tous doit vivre hors des partis, au-dessus des partis, pour continuer sa lutte contre les dérives que provoque la loi Taubira. Elle a donc lancé plusieurs chantiers.

Le premier concerne la PMA (on a d’abord pensé qu’elle serait repoussée aux calendes grecques compte tenu de la mobilisation contre la loi Taubira. Il semble cependant que les parlementaires socialistes songent à proposer une loi plus vite que prévu). La GPA et la théorie du genre pourraient, elles aussi, donner lieu à de nouvelles grandes manifestations. Déjà, la Manif pour tous a créé des comités de vigilance chargés de surveiller les éventuelles intrusions de la théorie du genre dans l’enseignement scolaire.

Le deuxième est judiciaire. Il consiste à défendre tous ceux qui ont été injustement attaqués pour leur opposition au projet. Les interpellations se comptent par centaines. Du maire de village qui refuse de célébrer des mariages gays au simple militant mis en garde à vue pour le port d’un sweat-shirt. De nombreuses procédures ont été lancées comme autant de petites bombes à retardement. Le travail harassant mené par les avocats chargés des gardes à vue fournit un impressionnant mémoire où les limites entre le maintien de l’ordre et les arrestations arbitraires sont pour le moins floues. Des magistrats s’en sont émus. Dominique Reynié, le président de la Fondation pour l’innovation politique, lui-même favorable à la loi Taubira, s’est inquiété de la renaissance du délit d’opinion, les commissaires ont exprimé leur ras-le-bol devant ces missions absurdes, les tribunaux déjà s’inquiètent de la multiplication de ces plaintes..

Le troisième est doctrinal. Il consiste à former les esprits aux dangers de la société libérale-libertaire. Une première université d’été devait se dérouler le 14 et 15 septembre pour quelques centaines de cadres du mouvement.

Enfin, le dernier combat est médiatique. LMPT veut être présente dans l’agora contemporaine pour tenter de convaincre les relais d’opinion des dangers réels que représentent, selon elle, la marchandisation des enfants, les études de genres et l’explosion de la famille traditionnelle37. Chez les anciens porte-paroles, les projets aussi foisonnent. Frigide Barjot, avec son mouvement L’avenir pour tous veut explicitement peser sur les municipales en exigeant des candidats qu’ils s’engagent sur la défense de l’union civile et la constitutionnalisation du mariage homme-femme. Elle a lancé cette nouvelle initiative autour de cent cinquante fidèles à la fin du mois du juin. « Cela ressemblait plus à un pot de départ », ont persiflé les mauvaises langues. Frigide Barjot est cependant devenue une personnalité médiatique de premier rang. Elle rêve de revanche. Nous la reverrons.

Tugdual Derville a lui aussi lancé son mouvement profond et multiforme de « l’écologie humaine », avec l’intention de montrer toute la cohérence qu’il peut y avoir entre les dérégulations économiques, morales et anthropologiques. Pour lui, le combat est métapolitique. Il sera gagné quand, dans tous les partis, la loi Taubira apparaîtra comme une absurdité.

Extrait de "Et la France se réveilla, Enquête sur la révolution des valeurs", Raphael Stainville & Vincent Trémolet, (Editions du Toucan), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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