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Comment les "données" sont devenues la nouvelle arme du pouvoir
©big data

Bonnes feuilles

D'où procède le pouvoir, cette mystérieuse faculté qui engendre la peur ou suscite l’adhésion ? Est-il inné, inscrit dans les gènes ? La dominance s’enracine-t-elle dans des mécanismes neurophysiologiques imprimés au plus profond du cerveau social ? Extrait de "Biologie du pouvoir" de Jean-Didier Vincent, aux éditions Odile Jacob (1/2).

Jean-Didier Vincent

Jean-Didier Vincent

Jean-Didier Vincent est neurobiologiste.

Membre de l'Académie de médecine et grand spécialiste du cerveau, il fut Directeur de l'Institut de neurobiologie Alfred Fessard du CNRS ainsi que professeur de physiologie à la Faculté de médecine de l'Université Paris XI.

Il a écrit notamment Le Sexe expliqué à ma fille (Seuil, 2010) et Bienvenue en Transhumanie (avec Geneviève Ferone, Grasset, 2011).

Biologie du pouvoir -  Jean-Didier Vincent

 

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À la différence du vieux monde, où l’absence de pouvoir organique entraîne la désuétude de l’homme, le monde nouveau est un monde numérique où l’homme est livré à de puissants instruments de pouvoir  : les algorithmes. C’est une invasion soudaine qui s’est produite dans nos vies ordinaires. Les algorithmes –  espions ou agents provocateurs, calculateurs ou instructeurs  – ont pris une signification bien plus large que dans les rêves transhumanistes . Selon Dominique Cardon, un algorithme est une série séquentielle finie d’instructions ou de règles appliquées à partir de gigantesques masses de données (les big data) qui permettent de classer des problèmes semblables pour obtenir un résultat. À très grande vitesse, il classe, hiérarchise, sélectionne nos préférences et intervient dans de nombreuses tâches. Nous fabriquons ces dispositifs, mais, en retour, ils nous construisent. Les technologies de l’intelligence sont au cœur de l’évolution de l’humanité et ont bouleversé nos façons de penser le monde. Celui-ci est devenu mesurable en tout.

La chair de notre corps dont notre psyché est tissée a laissé la place, sans que nous en prenions conscience, à un compendium de données numériques. Longtemps réservées aux décideurs, les statistiques servent d’instruments de pouvoir pour manipuler les électeurs et les consommateurs. Depuis 1980, on a assisté à une généralisation de la calculabilité. Les statistiques et leurs indices déversent une pluie permanente de chiffres sur des débats médiatiques qui laissent une place de plus en plus grande à une cohorte de bavards incontinents, au point souvent d’in‑ fléchir de façon dangereuse la politique des entreprises. Cela n’a pas empêché l’extension de la calculabilité dans la vie sociale ; les chiffres sont des signaux numériques dont l’inventaire devient fastidieux dans des  domaines dont le champ s’élargit avec la puissance des ordinateurs et la capitalisation des données, s’agissant de culture, de savoir, d’information, de la ville, des transports, de la finance, de sexe, mais encore et surtout de la santé publique. Ce que Georges Balandier a appelé « la Grande Transformation ».

L’accélération du processus de numérisation de nos sociétés, qui nourrit de gigantesques bases de données, rend intellectuellement palpable le pouvoir exercé par des données numériques facilement manipulables. Chaque jour, 33  milliards de pages indexées par Google ; plus de 350  millions de photos et 4,5  milliards de « like » sont distribués par Facebook ; 144  milliards d’e-mails sont échangés par 5 milliards d’internautes (D. Cardon) : un immense pouvoir qui rend dérisoires les armées des grands conquérants. Confrontée au magma de données brutes, la société des calculs doit développer des algorithmes donnant aux ordinateurs d’une puissance jusqu’ici inégalée des instructions mathématiques pour trier, traiter, agréger les informations. Venues de mondes différents, ceux du marketing, des marchés financiers ou de l’actuariat, de puissantes techniques statistiques prédictives se déploient à grande échelle en profitant de l’exceptionnelle augmentation des capacités de calcul des ordinateurs. Le pouvoir fabuleux de ces calculs conquérants et les enjeux économiques du nouveau monde ne sont pas anonymes. Celui-ci est dominé par les grandes plateformes du Web, les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Leur origine californienne contribue à leur prestige avec une part de complicité du public –  une fascination qui désarme les critiques. Loin des grands calculateurs, de la complicité agissante des algorithmes et des big data, il m’a paru intéressant de considérer les gens du nouveau monde soumis à l’emprise du numérique.

Extrait de "Biologie du pouvoir" de Jean-Didier Vincent, aux éditions Odile Jacob

Biologie du pouvoir - Jean-Didier Vincent

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