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Comment le tsunami politique de l’affaire Cahuzac a permis à la justice de se réinventer sur la question des délits financiers.
Comment le tsunami politique de l’affaire Cahuzac a permis à la justice de se réinventer sur la question des délits financiers.
©Eric FEFERBERG / AFP

Bonnes feuilles

Dominique Verdeilhan publie « L'audience est ouverte : Chroniques d'une justice défaillante » aux éditions du Rocher. A partir d'une vingtaine d'affaires, Dominique Verdeilhan nous fait revivre plusieurs procès qu'il a suivis et interroge l'institution : pourquoi l'affaire du « petit Grégory » symbolise-t-elle l'échec de la justice ? La justice a-t-elle tiré les leçons du fiasco qu'a représenté l'affaire « Outreau » ? Dominique Verdeilhan décode les bases de notre justice pénale. Extrait 2/2.

Dominique Verdeilhan

Dominique Verdeilhan

Chroniqueur judiciaire sur France 2 et France TV Info pendant plus de trente ans, Dominique Verdeilhan a couvert les grandes affaires judiciaires. Il est l'auteur aux éditions du Rocher Des magistrats sur le divan (2017).

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Selon un adage populaire, la fraude fiscale est considérée en France comme un sport national. L’important étant de ne pas se faire prendre. Comme c’est désormais fréquemment le cas, c’est suite à des révélations de la presse, de Médiapart dans le cas présent, que le parquet de Paris ouvre, le 8 janvier 2013, une enquête préliminaire du chef de blanchiment de fraude fiscale. Elle vise Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, afin de déterminer s’il a ou non un compte bancaire non déclaré en Suisse. L’intéressé est le premier à saluer cette initiative. « Cette démarche permettra, comme je l’ai toujours affirmé, de démontrer ma complète innocence des accusations dont je fais l’objet », affirme-t-il dans un communiqué.

Le 5 décembre, devant la représentation nationale, au Palais-Bourbon, Jérôme Cahuzac ne prête pas serment mais déclare : « Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger. Ni maintenant. Ni avant. » Un démenti solennel qui va peser lourd dans la suite de l’affaire. « On ne retiendra que cette minute où je démens. Toute ma vie ne se résume qu’à ça », confessera-t-il plus tard à son procès. Le 19 mars suivant, la justice passe à la vitesse supérieure. Compte tenu des éléments à charge rapportés par l’enquête, le procureur de la république François Molins ouvre une information judiciaire. Elle est confiée à 2 juges qui ne sont pas des débutants : Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire. Le même jour, le ministre, qui continue de clamer haut et fort son innocence, est forcé à la démission. C’est l’application de ce qui est appelé improprement la jurisprudence Balladur. En fait, instaurée sous son prédécesseur Pierre Bérégovoy, elle stipule, sans être écrite, que tout ministre compromis, sans forcément être mis en examen, dans une affaire judiciaire, doit quitter le gouvernement. Inaugurée par Bernard Tapie, Alain Carignon, Dominique Strauss- Kahn, Michel Roussin, Gérard Longuet dans un premier temps, Georges Tron, Éric Woerth, Bruno Le Roux, François Bayrou et Richard Ferrand plus récemment, ont été forcés de se l’appliquer.

En quelques jours, tout bascule dans la tête de l’ancien ministre. Un enregistrement de 4 minutes le met en difficulté. Un homme y évoque avec inquiétude son compte caché. Une expertise est diligentée afin de savoir s’il s’agit de la voix de l’ancien ministre, ce qu’il conteste sur le plateau du JT de France 2 début janvier.

Acculé, l’ancien président de la commission des Finances à l’Assemblée nationale décide de changer de stratégie et d’avocat. Il prend contact avec Me Jean Veil, qui a défendu Jacques Chirac et Dominique Strauss-Kahn. Les choses s’accélèrent. Son conseil, qui a de bons rapports avec l’un des 2 juges, obtient que Jérôme Cahuzac puisse être entendu rapidement. Dans le même temps, ce dernier écrit aux juges d’instruction : « Contrairement aux déclarations que j’ai été conduit à faire alors que j’étais membre du gouvernement, je suis titulaire d’un compte à l’étranger et souhaite vous fournir toutes les explications à ce sujet. » Le 2 avril, dans le bureau des 2 magistrats du pôle financier, Jérôme Cahuzac renouvelle ses aveux. La somme de 685 000 francs (104 430 €), fruit de ses activités de chirurgien capillaire et de consultant dans l’industrie pharmaceutique, a transité du compte suisse à un autre compte à Singapour. Cahuzac ressort du cabinet des juges mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, mais reste libre. Après avoir perdu la stratégie politique et médiatique des premiers jours, il marque un point sur le plan judiciaire. En prenant les devants, il évite la convocation manu militari, la garde à vue et un contrôle judiciaire. Le lendemain, le président François Hollande, qui prône depuis le début de son mandat une présidence irréprochable, exemplaire, est contraint de faire une déclaration à l’issue du conseil des ministres. « J’ai appris hier avec stupéfaction et colère les aveux de Jérôme Cahuzac devant les juges. Il a trompé les plus hautes autorités du pays […] C’est une faute impardonnable. C’est un outrage fait à la République. »

Bafouant la présomption d’innocence, le PS l’exclut. Au mois de juin, Cahuzac retourne à l’Assemblée nationale. Il n’est plus ministre, ni député. Il est auditionné par une commission d’enquête parlementaire. Costume gris, cravate noire, le visage fermé, tendu, il prête serment mais ne souhaite pas faire de déclaration préliminaire. Interrogé sur sa déclaration du 5 décembre, il justifie sa spirale du mensonge : « Je vous ai menti parce que j’avais menti au président de la République et au Premier ministre dans les heures qui précédaient. […] Je n’ai dit la vérité à personne, à commencer par mon avocat. » Mais conscient du risque qu’il prend, il refuse de répondre aux questions des députés qui empiètent sur l’instruction judiciaire. Tous se posent alors la même question qui perdurera jusqu’au procès : quand peut-on croire un homme qui a menti pendant plusieurs mois ? Une sorte de “Docteur Jekyll et Mister Hyde”. Une face publique en apparence irréprochable, brillant chirurgien, député et ministre de bonne réputation, pourfendeur de la fraude fiscale. Une face cachée de fraudeur, de Picsou à double fond, de menteur.

Le 17 juin 2015, les 2 juges signent l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel : 28 pages où il n’est question que de comptes bancaires en Suisse et à Singapour, d’ISF, de virements, d’importantes sommes d’argent, de rapatriement de fonds. On retient enfin que l’enquête a mis au jour « une volonté d’opacité renforcée » et un « montage sophistiqué ». Ce n’est pas le procès d’un mensonge mais d’une dissimulation.

Le mensonge perpétré par Jérôme Cahuzac ne peut pas faire l’objet de poursuites judiciaires. Il a été commis dans un cadre politique et médiatique. Rien de pénal donc, mais une faute morale évidente En revanche, un mensonge devant la commission d’enquête parlementaire peut engendrer une procédure, puisqu’il y a eu prestation de serment. Devant ses juges, un mis en examen peut choisir de mentir comme stratégie de défense. C’est son droit. En revanche, toute personne prêtant serment à la barre d’un tribunal peut être poursuivie pour faux témoignage.

Le 8 février 2016, Jérôme Cahuzac arrive au palais de justice de Paris. Mâchoire serrée, il tente de se frayer un chemin au milieu de la meute de journalistes. On sent qu’il doit se maîtriser – lui, l’ancien boxeur amateur qui entretient sa forme par le sport – pour ne pas refouler vigoureusement ceux qui s’approchent trop près de lui. Dans la salle des criées qui donne sur l’immense salle des pas perdus, il retrouve son ex-épouse Patricia, dermatologue, elle aussi mise en examen dans cette affaire. Durant l’instruction, elle est celle qui a donné le plus d’éléments aux juges. Ils s’embrassent furtivement. Ils sont dans la même galère. Tous deux doivent répondre des mêmes délits de fraude fiscale et de blanchiment, mais les enjeux sont différents pour les anciens époux. Lui est également poursuivi pour avoir minoré sa déclaration de patrimoine lors de son entrée au gouvernement en mai 2012. Il encourt 7 ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. À la question du président Peimane GhalehMarzban, il répond qu’il est désormais “retraité”. À 63 ans, l’homme incarne le mensonge et la trahison. Il est devenu le pestiféré de la politique. Tous ses amis lui tournent le dos. Non seulement la politique, c’est terminé, mais l’exercice de la médecine, son premier métier, lui est impossible. Toutes les portes des cabinets se sont fermées devant lui. Selon ses proches, il aurait songé à mettre fin à ses jours, las d’être la risée de la Nation et d’être insulté à chaque fois qu’il tente de reprendre une vie urbaine.

C’est un faux départ. Le tribunal répond favorablement à la demande des avocats de la défense qui ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). L’ancien ministre a déjà fait l’objet d’un redressement fiscal d’un montant de 2,3 millions d’euros, dont 500 000 € de pénalités. Le poursuivre pénalement constitue, selon Me Jean Veil, une double peine et une double sanction. Après le rejet de cette QPC par le conseil constitutionnel qui considère que les poursuites pénales et fiscales sont possibles « dans les cas de fraudes les plus graves », le couple Cahuzac revient en septembre au tribunal.

Étonnant Jérôme Cahuzac qui, contre toute attente, révèle que l’argent qu’il a mis sur un compte caché en 1992 visait à financer les activités politiques de Michel Rocard. « J’espérais qu’il aurait un destin national. Je voulais me battre pour lui. Je ne lui ai jamais rien dit. » Difficile pour le tribunal de recouper cette “petite bombe”. L’ancien Premier ministre socialiste est décédé 2 mois plus tôt. « Serait-il toujours vivant que j’aurais dit la même chose », enchaîne le prévenu. L’interrogatoire serré mais courtois des magistrats ne permet pas au prévenu d’argumenter ses soudaines révélations. « Concrétisez votre parole. Ne dites pas “j’imagine”. Dites “je sais” », le supplie le président. Quand dit-il la vérité ? Pourquoi ne pas en avoir parlé lors de ces 9 auditions durant l’instruction ? Son avocat confiera plus tard qu’il a eu connaissance de cette annonce le matin même de l’audience. Les faits de financement illicite de parti politique qu’avance le prévenu sont désormais prescrits. Est-ce une stratégie de défense ? Il le nie. On ne le saura jamais. Une semaine plus tard, il revient sur son mensonge d’État. « As-tu oui ou non un compte ? Cette question, on ne me l’a pas posée. […] Donc je n’ai pas menti au président les yeux dans les yeux. »

Face au tribunal, Jérôme Cahuzac choisit la carte de la repentance. Il reconnaît avoir commis une faute impardonnable. Nous sommes loin de l’image de la valeur montante et irréprochable du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Les sanglots dans la voix, il répond au président du tribunal. « Souhaitez-vous que je m’accable davantage ? Je suppose que vous imaginez le supplice que je vis. Je comprends le mal que j’ai fait. Cela allait détruire ma vie et révéler une partie de moi. Ce n’est pas que moi, c’est aussi moi. Je n’ai pas fait ça. C’est une partie de moi qui l’a fait. Je savais que si ce compte était révélé tout se saurait, que cela révèlerait cette partie de moi-même dont j’aurais voulu qu’elle n’existe jamais. La vérité est accablante, je l’assume. »

En ce 14 septembre 2016, Jérôme Cahuzac se retrouve dans une situation quelque peu cocasse. Sur sa gauche ont pris place 2 procureurs. Il s’agit de la cheffe du parquet national financier, Éliane Houlette, et d’un de ses adjoints. Ce parquet spécialisé dans les affaires politico-financières est né en mars 2014, conséquence directe voulue par le président Hollande après la déflagration du scandale Cahuzac. Jean-Marie Toublanc attaque fort et dénonce les « 20 ans de dissimulation, 20 ans de revenus occultes, 20 ans de comptes cachés dans les paradis fiscaux, 20 ans de fraude fiscale et 20 ans d’inégalité scandaleuse entre Cahuzac et le reste de la France face à l’impôt ». « Les yeux des citoyens sont tournés vers la justice et attendent que vous répariez la blessure faite à la République. » « Chez M. Cahuzac, la vérité est un mirage. On croit la saisir mais elle disparaît dans les sables mouvants de sa conscience. Ils appartiennent aux plus gros fraudeurs que la justice pénale a eu à connaître ». Éliane Houlette enchaîne : « Vous êtes à terre et je ne compte pas en profiter. […] Nous ne saurons jamais si ce que vous dites est vrai […] C’est le procès de la trahison et non celui du mensonge. Vous avez terni l’image de la France. » La procureure nationale financier requiert 3 ans de prison ferme et 5 ans d’inéligibilité pour « un mensonge d’État », 2 ans sont requis contre Patricia Cahuzac pour les mêmes délits.

On dit souvent qu’il peut paraître impossible de défendre le pire des criminels. À Jean Veil revient la lourde tâche de plaider pour celui qui s’est condamné d’avance. L’avocat ne s’attarde pas sur le dossier mais plaide pour l’homme. « Mon client est déjà puni. Il est banni. Cette punition est extrêmement lourde.

Faut-il donner un gage à la vindicte publique en l’incarcérant ? » En désespoir de cause, Me Veil achève par un argument qui fait réagir la salle : « On n’a pas de place en prison. Je n’ai aucune envie que mes impôts y entretiennent Jérôme Cahuzac. »

Le 8 décembre, Jérôme Cahuzac retrouve sa place dans la salle d’audience pour entendre le jugement. Il fixe le plafond. Me Veil se tient à ses côtés. Comme pour le soutenir en cas de défaillance. Le tribunal ne croit pas à la version “Rocard”, « de nature à altérer la mémoire de l’ancien ministre ». « Aucun élément pour confirmer ou infirmer. » Exit la thèse du financement occulte. Le président Ghaled-Marzban lit le dispositif. Il s’agit de rendre publiques les charges qui ont retenu l’attention des 3 juges. « Ses fonctions n’ont constitué en rien un frein à la fraude. Il occupait une place stratégique au sein du gouvernement. Il incarnait la politique fiscale de la France. Sa faute pénale est d’une exceptionnelle gravité, destructrice du lien social et de la confiance des citoyens dans les institutions de l’État, et qui traduit une perte totale des repères. Seule l’ouverture d’une information judiciaire a été l’élément qui a amené à reconnaître, à faire face à ses responsabilités. Il s’est obstiné à les contester bien qu’il ait assumé ses responsabilités à l’audience. » Le tribunal suit les réquisitions du parquet. Il condamne l’ancien ministre à 3 ans de prison ferme et 5 ans d’inéligibilité. Sonné, ce dernier ne se lève pas quand le tribunal quitte l’audience. Il reste de longues minutes, prostré. Dans les minutes qui suivent, ses avocats annoncent leur intention de faire appel. Seule façon d’échapper à l’incarcération. Patricia Cahuzac écope d’une peine de 2 ans ferme. Une condamnation qu’elle accepte. Elle bénéficiera d’un aménagement de peine, évitant une mise en détention.

Le 12 février 2018, un an après le premier procès, Jérôme Cahuzac est rejugé. Faire appel, c’est parfois une loterie. C’est un risque à prendre. On a tendance à dire que les peines sont généralement plus légères en seconde instance. Quelques jours plus tôt, les juges de la même cour d’appel ont pourtant aggravé la condamnation pour fraude fiscale d’un autre ancien ministre de François Hollande. ThomasThévenoud, forcé de démissionner du gouvernement 9 jours après sa nomination en raison de sa “phobie administrative”, voit sa peine multipliée par 4 : 1 an de sursis et 3 ans d’inéligibilité.

La nouvelle audience se tient dans une salle plus petite du 1er étage du vieux palais de justice. Les journalistes sont aussi nombreux que la dernière fois. Contrairement à février 2017, Jérôme Cahuzac arrive accompagné de ses nouveaux avocats. S’il a conservé son ami, Me Jean-Alain Michel, il a remplacé Jean Veil par Éric Dupond-Moretti et son associé Antoine Vey. Aucun des deux n’est un spécialiste des affaires financières, mais tout le monde a compris que l’enjeu de ce procès n’est ni de mettre en cause l’instruction ni de nier l’évidence. Il s’agit de « sauver la peau du soldat Cahuzac ». Le visage est fermé, fatigué. Sa démarche est mécanique. Le geste est mal assuré, à tel point qu’il va prendre un gendarme par la taille pour continuer sa progression, avant de s’en excuser. Le président de la chambre correctionnelle d’appel, en revanche, est un coutumier de ce type de délits. Dominique Pauthe a présidé quelques années plus tôt le procès des emplois fictifs de la mairie de Paris avec un Jacques Chirac absent. « Pourquoi avoir fait appel ? » demande le magistrat dès l’ouverture des débats. « J’éprouve un sentiment assez banal. J’ai peur, comme tout le monde, d’aller en prison. Je ne souhaite pas que ma mère et mes enfants viennent me voir en prison », réplique l’ancien ministre. La voix est à peine audible, terne, triste. Le débit est lent. Pour une fois celui que l’on accuse d’être l’incarnation du mensonge joue la franchise. Sur le fond, il présente les mêmes arguments qu’en première instance, la cagnotte Rocard, l’engrenage de la fraude familiale qui a consisté à placer à l’étranger une grosse partie des honoraires quand il était chirurgien capillaire. Dans la forme, il est sur un registre plus humble, plus sobre. « Une fuite en avant qui finit en catastrophe […] Ma parole ne vaut plus rien […] Je ne suis pas innocent. Je suis coupable de ce que j’ai fait mais je ne suis peut-être pas coupable de tout ce dont on m’accuse. » Plus prévenu que ministre. Il répète souvent « j’assume ». « C’est un homme dévasté, plein de remords. Il est au bord du gouffre », déclare son ami Jean-Luc Barré.

« Votre plus grande contribution à la lutte contre la fraude fiscale aura été votre procès », lance Jean-Christophe Muller qui, au nom du parquet général, requiert la confirmation de la peine. « Je ne demande pas la lune. Je suggère même d’aggraver la peine, mais je vous supplie de ne pas l’envoyer en prison », insiste Me Dupond-Moretti.

Le 15 mai, Jérôme Cahuzac arrive au palais le regard fuyant. Il sait que, dans quelques minutes, les juges peuvent l’envoyer en détention. Immédiatement en cas de mandat de dépôt, ou dans quelques semaines. L’arrêt de la cour d’appel parle d’une « volonté persistante de se mettre hors la loi ». Mais les magistrats font rimer “dissimulé” avec “assumé”. Une heure plus tard, c’est un autre homme qui sort de la salle d’audience. Il est souriant. Soulagé. Certes, il est condamné à une peine en apparence plus lourde, 4 ans dont 2 fermes, ainsi qu’à une amende de 300 000 € et à 5 ans d’inéligibilité. Mais la perspective de l’incarcération s’éloigne. La peine est identique à celle de son ex-épouse en première instance, donc aménageable. Les magistrats ont suivi la proposition de l’avocat pénaliste. « Ce n’est pas une victoire de la défense mais c’est une réelle victoire de la justice parce que cette décision est équilibrée », lance-t-il face aux caméras.

Malgré l’opposition constante du parquet, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bastia a donné son feu vert, en avril 2019, pour que Jérôme Cahuzac purge sa peine en portant un bracelet électronique, qui lui sera retiré en septembre 2020. Dans le même temps, l’ancien chirurgien, qui s’est installé en Corse, a repris une activité de médecin généraliste à l’hôpital de Bonifacio (Corse-du-Sud). Sauf incident, il aura fini de purger sa peine ferme en 2021.

Le tsunami politique provoqué par l’affaire Cahuzac n’a pas seulement débouché sur ces 2 procès. Elle a donné naissance à plusieurs nouveautés pour lutter contre la fraude fiscale :

- La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cette instance est chargée de passer au peigne fin les déclarations de patrimoine de près de 10 000 personnes. Cela concerne les parlementaires, les dirigeants d’entreprises publiques en passant par les élus, les membres de cabinet et les collaborateurs du président de la République. Tout doit être déclaré : immobilier, valeurs mobilières importantes, véhicules y compris vélos, à l’image de ce qu’avait fait Christine Taubira, ministre de la Justice. Sur le site de cette autorité, on peut consulter les déclarations mais avec interdiction de les publier sous peine d’amende. En cas de manquement grave, la HATVP a pour mission de saisir la justice. Yamina Benguigui, secrétaire d’État à la coopération, et Thomas Thévenoud au Commerce extérieur ont été les premiers dénoncés.

- Le parquet national financier (PNF) à l’origine de poursuites qui ont visé aussi bien des banques – comme une filiale suisse de la HSBC – que des hommes politiques, comme Claude Guéant, Serge Dassault, François Fillon ou Patrick Balkany.

- La loi du 15 septembre 2017 qui rend obligatoire la peine complémentaire d’inéligibilité, portée de 5 à 10 ans « afin d’écarter des fonctions électives les personnes qui […] ne remplissent plus les conditions de moralité essentielles à l’exercice d’un mandat public ».

- L’Agence anticorruption (AFA) chargée de contrôler les pratiques des entreprises.

- Enfin, à l’image du name and shame qui se pratique dans les pays anglo-saxons, le parlement a, en 2018, autorisé la publication du nom d’une personne morale condamnée pour fraude fiscale.

A lire aussi : Affaire Outreau : le procès de la justice

Extrait du livre de Dominique Verdeilhan, « L'audience est ouverte : Chroniques d'une justice défaillante », publié aux éditions du Rocher.

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