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Selon un classement sur la compétitivité touristique du Forum Economique Mondial, la France serait passée de la 3e à la 7e place.
Selon un classement sur la compétitivité touristique du Forum Economique Mondial, la France serait passée de la 3e à la 7e place.
©Reuters

Les bronzés... en Corée ?!

Reléguée à la 7e place de la compétitivité touristique, la France, première destination au monde, doit chercher de nouvelles formes de tourisme sous-exploitées pourtant au goût des touristes étrangers.

Franck Michel

Franck Michel

Franck Michel est anthropologue, responsable de l’association Déroutes & Détours et de la revue en ligne L’Autre Voie (www.deroutes.com). Il partage sa vie entre la France et l’Indonésie. Récemment, il a publié Voyages pluriels (2011), La marche du monde (2012) et Éloge du voyage désorganisé (2012), aux éditions Livres du monde à Annecy.

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Atlantico : Selon un classement sur la compétitivité touristique du Forum Economique Mondial, la France serait passée de la 3e à la 7e place. Cela s’expliquerait par le fait que le tourisme ne soit plus considéré comme un secteur économique prioritaire. Comment expliquer cela ?

Franck Michel : Cette relégation est davantage un signal d’alarme qu’un véritable recul pour notre pays qui reste en tête, sur le plan mondial, en termes d’attractivité touristique. Il demeure que ce signal indique que les acteurs du tourisme en France devraient cesser de se reposer sur leurs lauriers et commencer plus sérieusement à réfléchir sur les innovations à envisager (le secteur ne peut plus entièrement reposer sur l’image figée du prestigieux patrimoine culturel national…).

Le défi aujourd’hui consiste non pas seulement à s’adapter à un marché mondial – poussé par les pays émergents et leurs clientèles respectives – mais plutôt à créer de nouveaux « produits », imaginer de nouvelles niches touristiques, (re)fondées sur la culture et l’histoire, mais aussi le ludique, l’interactif, en incluant par exemple les arts de la rue ou l’événementiel original en milieu urbain, les festivals en tout genre ou les reconversions des friches industrielles, les formes nouvelles d’agritourisme et les initiatives en monde rural, etc. La gastronomie, véritable patrimoine national (d’autant plus qu’il est désormais inscrit à l’Unesco), devrait s’afficher aussi moderne que traditionnelle, opter pour la créativité, tout comme ce qu’il est convenu d’appeler le « tourisme doux » (ou le slow travel) qu’il conviendrait d’encourager sous ses angles les plus novateurs…

Pour tout cela, il faut renouveler les acteurs et repenser des politiques qui jusque maintenant semblaient aller de soi. Pour ne pas rater le coche, seule une jeune génération, dynamique et prête à bouleverser les idées reçues, saura se montrer capable de relever ces défis qui s’imposent à notre pays. Car rappelons tout de même que les chiffres « globaux » restent très positifs pour ce secteur économique : ainsi, non seulement le cap du milliard de touristes dans le monde a été franchi en 2012, mais à l’échelle mondiale, l'industrie du voyage et du tourisme a connu une croissance de 3% en 2012, elle a pesé pour 9% dans le PIB mondial et et tout de même employé 260 millions de personnes, soit cinq millions de plus qu'en 2011 (source : Conseil mondial du voyage et du tourisme, WTTC). 2013 devrait confirmer cette tendance à la croissance, même si les principaux bénéficiaires de cette croissance ne se trouvent plus dans la vieille Europe mais ailleurs, en en Asie notamment (en 2012, la croissance de l’industrie touristique n’a pas atteint 1% en Europe alors qu’elle a été, par exemple de 10% en Corée du Sud) ; en outre, d’ici une décennie, la Chine devancera en principe les Etats-Unis pour le titre de la première économie du tourisme du monde. Ces indications prouvent simplement que la France, tout comme ses partenaires européens, doivent prendre la mesure de ces évolutions du marché et essayer de répondre par des choix qui ne misent pas uniquement sur la quantité mais d’abord sur la qualité de l’offre.

Le succès du tourisme dans notre pays nous a-t-il poussés à le considérer comme s’auto-entretenant ? Est-il victime de son succès ?

Sans doute… Il est vrai qu’en France, nombre de nos concitoyens (et d’acteurs et de décideurs dans le domaine du tourisme) ont un peu facilement tendance à penser que le tourisme est une « affaire » qui marche toute seule, ce qui n’est pas sans lien avec le sentiment d’une grande partie de la population que la France est et reste le plus beau pays du monde… Ce sentiment discutable, parfois mâtiné de suffisance – avec son lot de clichés qui ont la vie dure : France, pays des libertés, des droits de l’Homme, avec non seulement les meilleurs vins et fromages mais aussi les plus beaux paysages, musées, etc…– devient par ailleurs plus radical voire arrogant à mesure que le pays et ses habitants sombrent dans la crise économique.

Certes toujours première destination mondiale, l’Hexagone s’enorgueillit de ce constat oubliant cependant que la roue de l’histoire tourne tout comme celle des destinations touristiques à la mode. L’heure est au renouvellement d’une image donnée au monde mais aussi, avant tout, d’un effort à faire d’urgence en matière d’accueil des visiteurs étrangers… Donc, oui, la France est actuellement et en quelque sorte victime de son succès touristique (constant sinon durable, il est vrai), mais désormais, pour ne pas trop perdre de vitesse, il lui incombe de repenser son offre touristique en lui apportant à la fois de la créativité et un label de qualité tout en s’harmonisant au mieux dans le contexte de la mondialisation du voyage.

Il semblerait que les touristes chinois s’intéressent particulièrement à notre patrimoine arboricole et notre histoire communiste. Le tourisme d’un pays, et donc de la France, doit-il s’adapter à sa clientèle ou son caractère original est-il la condition de son succès ? Devons-nous en repenser les codes ?

Les codes et les habitudes concernant nos « produits » doivent bien évidemment évoluer sans pour autant valider des objectifs simplement économiques, et tristement utilitaristes. Cela dit, l’accueil des Chinois tout particulièrement (et des clientèles asiatiques en général) est notamment à revoir, à adapter… et surtout à améliorer. Pour ce faire, les Français, ceux d’abord investis dans l’industrie touristique et hôtelière mais également ceux représentant l’ensemble de la population répartie sur le territoire, seraient bien avisés de se mettre à l’écoute de l’Orient plutôt que de ressasser de vieux poncifs culturels et de perpétuer les clichés d’un autre temps… Nos voisins, italiens notamment, ne font pas mieux, mais ce n’est pas une raison de progresser dans la voie d’une meilleure rencontre interculturelle propice à une offre touristique plus innovante et alléchante !

La crise actuelle certes n’aide pas à cette indispensable ouverture d’esprit, et à cet appel à davantage de créativité, mais, « realpolitik oblige », les perspectives de bonnes affaires « à faire » pourraient contraindre nos concitoyens à lâcher du lest, à remiser (enfin !) un certain sentiment de supériorité, et par conséquent à envisager autrement l’avenir des rapports touristiques. Des rapports de business qui sont aussi et même avant tout des relations humaines… Quant au « tourisme arboricole »  – la vogue des cabanes lovées dans les arbres perdure… - il relève d’une niche intéressante mais plus conjoncturelle et toutefois très modeste que véritablement prometteuse, surtout pour des clients chinois qui ne vont jamais se rendre en France que pour admirer les beaux arbres de nos forêts. Ils viendront toujours davantage, qu’on le veuille ou non, pour arpenter les couloirs du Louvre… et les rayons des Galeries Lafayette sinon ceux de chez Hermès…

Enfin, que l’histoire communiste et/ou syndicale, si singulière à notre pays, puisse intéresser une certaine clientèle chinoise, pourquoi pas ? Mais l’essentiel est aujourd’hui de donner du sens aux visites touristiques, c’est-à-dire montrer notre histoire, riche et tumultueuse, dans sa complexité et non pas dans son folklore. Du même ordre, il importe de ne pas verser dans le passéisme, et donc de ne pas livrer une vision fantasmée mais « figée » de la France, bref sortir de l’image nostalgique – par exemple véhiculée par les films Les choristes ou La fabuleuse histoire d’Amélie Poulain, entre autres… - afin de privilégier des découvertes « dynamiques » et vivantes d’un pays qui bouge (même s’il a du mal !), et non pas donner la vision d’un pays-musée,  voué seulement à la haute couture et aux bons crus pour espérer sortir de la crise par le biais du tourisme, une vieille nation totalement repliée sur son territoire, ou pire sur ses terroirs… Là réside la menace de ne pas prendre le train en marche même si la France fait encore office de locomotive. Au risque aussi de voir le tourisme en France se contenter de faire marcher ce que j’ai appelé (dans mon livre Voyages pluriels) le « terroir-caisse ». Avec ses recettes faciles mais ses perspectives funestes. C’est là une politique à court terme, elle peut rapporter beaucoup, mais en temps de crise et de vaches maigres, elle peut aussi accélérer le déclin de tout un pays… Et dans ce cas, ce n’est plus seulement la fin des paysans que la France va devoir déplorer mais la fin de l’âge d’or du tourisme… Un scénario que personne ne souhaite voir advenir.

Quels sont les tourismes alternatifs que nous sous-estimons ?

Les tourismes alternatifs sont multiples et nous en avons évoqués quelques-uns ci-dessus : ceux issus du « tourisme lent », la marche par exemple connaît un bel essor, figurent parmi les plus recommandables. D’une certaine manière, en effet, notre tourisme se prend trop au sérieux, surtout lorsqu’il mise trop sur le prestige du seul patrimoine « officiel » : Versailles ou les châteaux de la Loire, c’est très bien et c’est du « lourd », mais cela ne suffit plus, surtout si le but est d’attirer de nouvelles clientèles, jeunes en particulier. De plus, des découvertes plus originales et des visites plus modestes restent toujours à imaginer, des voies moins « royales », à échelle plus humaine en quelque sorte, et moins prétentieuses...

Pour terminer, les spots méconnus ou « sous-exploités » sur un plan touristique sont nombreux en France, mais là aussi, l’important me semble-t-il serait de favoriser des « petits » sites, ruraux notamment, dont l’exploitation touristique serait à la fois originale et susceptible de bénéficier aux habitants du lieu directement concernés. Cela peut se « fabriquer » par le biais de la création culturelle, d’une autre mise en place et gestion des paysages, de l’émergence de nouveaux « produits », alliant aventure humaine et découverte sensible, allant du sport-nature à toutes les formes d’art. Et, de toute façon, les types du tourisme de demain restent largement à inventer. Les générations à venir, si elles parviennent à vivre en paix, se feront sans doute un plaisir de créer de nouvelles formes de tourisme, du ludique au numérique, qui forgeront l’identité d’un pays et d’une société en forte mutation. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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