Comment le dialogue social à la sauce hollandaise prend l'eau<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La crise a accélérer le calendrier des réformes sociales et chamboulé les plans gouvernementaux.
La crise a accélérer le calendrier des réformes sociales et chamboulé les plans gouvernementaux.
©Reuters

A chaque jour suffit sa peine...

A l'issu de la conférence sociale de juillet, le gouvernement avait établi le contenu des négociations avec les syndicats et les délais dans lesquels les accords auraient dû être trouvés. Mais l'urgence de la crise et l'impopularité grimpante du président ont chamboulé tous les plans gouvernementaux.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Elle était belle, la conférence sociale de juillet 2012, où le gouvernement avait, à grand spectacle, annoncé qu’enfin les partenaires sociaux seraient respectés, écoutés, qu’ils auraient le temps de négocier, qu’ils ne seraient pas maltraités par un Président hyperactif, toujours plus pressé d’en finir. Enfin, la concertation, le dialogue, l’écoute gouverneraient la France.

Bien entendu, il ne s’agissait pas d’adopter un système à l’allemande, où les partenaires sociaux décident eux-mêmes des thèmes qu’ils vont aborder et mènent entre eux les discussions, sans intervention possible de l’État. La méthode prévoyait un cadrage de l’ensemble des négociations par le gouvernement, calendrier compris.

À l’issue de la conférence, un document méticuleux avait défini les thèmes de négociation, et le calendrier. En particulier, les partenaires sociaux devaient se réunir dès début septembre, pour une durée de sept mois, afin de discuter de la sécurisation de l’emploi, à partir d’un document d’orientation produit par le gouvernement.

Le document a été publié à la mi-septembre comme prévu. Il fixe avec une grande précision, qui ressemble déjà à l’économie générale d’un accord, le contenu des négociations qui ne portent sur rien d’autre que la flexisécurité à la française : renforcement du droit à la formation et du dialogue social dans l’entreprise, en échange d’une simplification des plans sociaux et d’une mise en place assumée des accords dits de flexibilité.

Sept mois pour tout cela, ce n’était pas de trop, tant les thèmes sont nombreux, complexes, techniques. Le gouvernement revendiquait un dialogue social constructif, un respect des partenaires sociaux. Il fixait un calendrier déjà très court pour y parvenir.

Patatras ! François Hollande, alarmé par la chute de sa popularité et par l’accumulation de plans sociaux, demande dans son intervention télévisée une accélération du processus : l’accord doit être signé avant la fin décembre.

On comprend bien l’urgence qui le saisit : c’est celle de la crise et de la nécessité de gouverner. Quand les salariés menacés par des plans sociaux se rassemblent dans les rues, le gouvernement ne peut se limiter à leur répondre : "Attendez donc la fin des négociations !". Il faut réagir vite, et François Hollande n’expérimente pas autre chose que ce que Nicolas Sarkozy lui-même avait expérimenté : le temps du dialogue social n’est pas celui de l’urgence.

En même temps, fixer un délai de trois mois à cinq organisations syndicales de salariés et trois organisations patronales pour se mettre d’accord sur une palette de sujets complexes n’est pas raisonnable. Les dernières expériences en date, menées sous Nicolas Sarkozy, qui aimait lui aussi les délais de trois mois, ont toutes produit des résultats néfastes. L’accord sur la modernisation du marché du travail de janvier 2008 comportait des lacunes de rédaction qui ont exigé des renégociations en douce. L’accord sur la formation professionnelle de janvier 2009 était vide, à l’exception des points rédigés par le gouvernement.

Mais supposons, le Président n’a pas le choix. De deux maux, choisissons le moindre.

Le problème, c’est qu’Arnaud Montebourg trouve le processus encore trop lent. Il a annoncé le dépôt d’un projet de loi à discuter en urgence sur la reprise des entreprises en difficulté. L’intéressé, qui a parfaitement compris que le temps de la négociation ne lui permettrait pas de répondre aux urgences de sa mission, voit se profiler avec horreur le mur dans lequel le courant majoritaire du PS s’est promis de l’envoyer en le nommant à son poste. Après tout, Solférino vaut bien un plan social...

François Chérèque a promptement réagi : si Montebourg passe à l’acte, la CFDT quitte illico la table des négociations. En effet, les dispositions applicables aux entreprises en difficulté font partie de la feuille de route donnée aux partenaires sociaux il y a quinze jours, pour la négociation sur la sécurisation de l’emploi.

Ce volet est crucial pour les syndicats de salariés, puisqu’il les conduira probablement à lâcher des concessions au patronat. Impossible donc de se déséquilibrer la stratégie de négociation de la CFDT en la privant des sujets où elle comptait lâcher, en échange de contreparties arrachées de haute lutte ailleurs - la participation des salariés à la gouvernance de l’entreprise ou des droits accrus à la formation, par exemple.

Jean-Marc Ayrault aurait assuré à François Chérèque que le projet de loi ne serait pas déposé, et que Montebourg rentrerait dans sa niche. Il n’a guère le choix : la CFDT est le meilleur soutien du gouvernement dans cette affaire, elle n’hésite pas à mouiller la chemise auprès des autres syndicats pour leur faire avaler de méchantes pilules, et elle a toute la confiance du MEDEF. Un allié qu’on ne peut pas perdre.

On plaindra tous Jean-Marc Ayrault, qui apparaît non seulement comme le maillon faible de l’équipe, mais aussi comme l’exécuteur des basses oeuvres présidentielles et comme la variable d’ajustement de son propre gouvernement. D’un côté, il doit tenir la promesse de Gascon faite par François Hollande sur le respect des partenaires sociaux et sur l’importance du dialogue social. De l’autre, il doit faire semblant de se préoccuper du sort des manants dont les féodaux ferment l’usine.

Dur métier que celui de servir son prince, quand il vous donne le choix entre Charybde et Sylla !

En attendant, les partenaires sociaux se réunissent chaque jeudi pour traiter de la sécurisation de l’emploi. Si le gouvernement sortait le nez du guidon et s’interrogeait sur le destin de la France à plus de 3 mois (et un peu moins aux destins individuels de ses ministres pendant le même laps de temps), il prendrait garde au résultat de cette cogitation collective.

En effet, dans l’hypothèse où le texte en gestation prévoirait de possibles accords de flexibilité dans les entreprises, avec des semaines de 48 heures pendant 6 jours comme le permet la réglementation européenne, il lui reviendrait ensuite de légiférer, en urgence, pour donner valeur légale au compromis des partenaires sociaux. Et cela, il faudrait l’expliquer à l’opinion. Mais après tout, à chaque jour suffit sa peine.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !