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Comment le basculement massif de la Chine dans la société de consommation va bouleverser le monde... voire pire
©Reuters

Chinatown

L'augmentation du consumérisme inquiète particulièrement les Américains, qui craignent de voir le mode de consommation chinois concurrencer le leur. Mais derrière cette consommation monstre se cache un pays encore en construction.

Deniz Ünal

Deniz Ünal

Deniz Ünal est économiste et rédactrice en chef de la collection Panorama du CEPII qui propose des analyses pédagogiques et des éclairages statistiques sur les questions d’économie internationale. Elle est aussi la coordinatrice des Profils du CEPII Visual Data, des pages interactives qui offrent une lecture structurée du commerce international à travers les indicateurs et bases de données développés par le CEPII. Ses domaines de recherche comprennent le commerce international de biens et de services, les accords de commerce régionaux, les comparaisons internationales de niveaux de prix et de coûts salariaux dans l'industrie, la Turquie et la Chine.

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Atlantico : La consommation chinoise serait passée de 650 milliards de dollars à 1400 milliards de dollars en seulement 10 ans (2000-2010). On connait l'impact qu'a la Chine sur le marché du luxe aujourd'hui, modifiant de façon très importante ce marché spécifique depuis quelques années. Mais le consumérisme chinois pourrait-il redéfinir toute la consommation mondiale ? En quoi la volonté de plaire au consommateur chinois pourrait modifier l'offre faite aux consommateurs du monde entier ? Vers quelles tendances ?

Deniz Ünal : Il y a en effet eu une augmentation notable des produits de consommation dans la demande chinoise dans les années 2010. Au Cepii, nous nous sommes penchés sur la question non pas du point de vue du consumérisme chinois et la redéfinition de la consommation mondiale, mais du point de vue du marché chinois de biens de consommation et de ses principaux fournisseurs. Quelque soit le goût des consommateurs chinois, le marché de biens de consommation en Chine est pour le moment très réduit par rapport à ceux des États-Unis et de l’Union européenne. Le Panorama du CEPII sur le décollage du marché des biens de consommation en Chine montre la place primordiale qu’occupent les produits de haut de gamme de prix dans les importations du pays. Loin d’imposer leurs propres goûts au monde entier, les chinois raffolent des produits occidentaux qu’ils ne peuvent pour le moment produire. Les automobiles de haut de gamme occupent la première place dans les importations de biens de consommation en Chine. L’Europe y est le principal fournisseur grâce aux exportations massives de l’Allemagne. La Chine construit de plus en plus de véhicules mais ces produits de bas de gamme de prix ne s’adressent pas à la même clientèle. Si les chinois viennent un jour à imposer leurs goûts au monde, ce ne sera pas d’abord dans les automobiles mais sans doute dans les produits électroniques.

Karl Gerth, de l'Université de San Diego a déclaré dans un entretien accordé au site Quartz que le "Rêve Chinois, c'est le Rêve Américain plus 10%". Qu'est-ce qui distingue le consommateur chinois du consommateur occidental aujourd'hui ?

La diffusion des cultures américaine et européenne a beaucoup compté dans l’adoption des modes de consommation occidentaux. Ce n’est pas encore le cas pour le mode de consommation chinois qui est plutôt dans une phase d’imitation du mode occidental. Pour les entreprises occidentales, le marché chinois de biens de consommation représente une formidable opportunité. Très ouvert sur les produits de haut de gamme destinés à des consommateurs à haut revenus, le marché chinois reste toutefois bien protégé sur le moyen gamme et bas de gamme de prix. La conquête de ces segments de marché sera l’enjeu principal des fournisseurs étrangers avec la constitution progressive de la classe moyenne en Chine.

De quelle façon peuvent réagir les sociétés occidentales face à ces phénomènes ?

Le vote en faveur du Brexit, l’élection de Donald Trump, la campagne des élections  présidentielles en France ont révélé de fortes réactions de rejet par rapport à des sociétés de consommation. Les citoyens ne veulent pas être réduits à des consommateurs. Il y a une aspiration à développer d'autres modes de vie, et sur ces points, la Chine et l'Inde peuvent peut-être amener une autre façon de voir. Mais cela dépasse largement le seul domaine économique.

La question se pose-t-elle différemment aux Etats-Unis et en Europe ?

Il me semble que c'est le cas. Les États-Unis sont à l’origine du modèle de consommation dominant et le passage vers un autre monde pourrait être encore plus difficile à accepter par eux.

Cette augmentation de la consommation dans l'économie mondiale est-elle en train de concurrencer les grandes zones de consommation de la planète au point de l'influencer ?

La Chine importe relativement peu de biens de consommation par rapport aux autres grands pôles du monde : ses importations de biens de consommation s’élèvent à 5% du commerce mondial (hors intra-européen) en 2014 (contre 22% pour les Etats-Unis et 18% l’UE) alors que leurs importations tous produits s’élèvent à 11% (contre 16% pour les Etats-Unis et l’UE).

Dans les biens d’équipement, autre stade de production de biens finals, la Chine a un poids plus important, mais toujours loin de ceux des deux autres pôles de l’économie mondiale : 9% contre 19% pour les États-Unis et 15% l’UE en 2014. Dans les produits semi-finis, son poids est relativement proche de ceux des deux autres (9% contre 12 à 14%). En revanche, elle a dépassé l'Union européenne dans les pièces et composants (14% contre 12%) et dans les importations de produits primaires elle occupe une place de choix avec 20% des importations mondiales (l’UE, 23% et les Etats-Unis, 12%). On pourra vraiment la qualifier la Chine de troisième moteur de l'économie mondiale quand elle atteindra les niveaux américains et européens dans biens finals.

Pour ce qui est des biens de consommation, il y a de la marge, mais ça vient : avec 4,7 % des importations mondiales, la Chine est désormais le 3ème pays importateur de biens de consommation après les États-Unis (21,9%) et le Japon (5,5%). L'Allemagne est à 3,8%. Quand on regarde l'évolution depuis les années 2000, on observe une augmentation de +3,7 points qui est focalisée sur les biens de haut de gamme.

Dans les importations de biens de consommation de haut de gamme, la Chine a rattrapé et dépassé le Japon avec 9% des importations mondiales en 2014, alors que son poids n’atteignait pas 1% au début des années 2000. La structure géographique de ses fournisseurs montre que plus de la moitié de ces importations sont en provenance de l'Union européenne.

62% des importations chinoises de biens de consommation sont du haut de gamme au milieu des années 2010, avec une augmentation de 30 points de pourcentage par rapport au début des années 2000. Il est possible que la part du haut de gamme plafonne avec les mesures anti-corruption prises en Chine. L'enjeu serait aujourd'hui d’entrer dans les autres gammes sur marché chinois avec une diversification des secteurs allant au-delà des automobiles. Par exemple, continuer à augmenter l’offre des produits pharmaceutiques européens ou celui des produits agricoles dans tous les gammes de prix.

La Chine est en transition vers un mode de développement basé sur sa propre demande intérieur et c’est à ses fournisseurs d'en profiter. Dans un contexte où la Chine prend la défense de la mondialisation contre la tendance protectionniste aux États-Unis, l'Europe pourrait prendre ses marques sur le marché chinois.

La Chine importe relativement peu de biens de consommation par rapport aux autres grands pôles du monde. La Chine représente que 5% du commerce mondial en la matière, alors que si on regarde de façon plus générale, elle est à 11%.

Pour plus de détail et pour retrouver tous les graphiques recopiés ici, vous pouvez consulter directement le Panorama du Cepii.

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