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Comment le basculement des sociétés occidentales de l’ère industrielle à l’ère des services a conduit au renforcement des inégalités
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SOS usines en voie de disparition

Voilà près de 40 ans que les économies occidentales se sont métamorphosées, passant de l'ère industrielle à celle des services. Une transformation qui a eu des effets notamment sur les salaires, entraînant leur baisse et aggravant les inégalités.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Une note économique publiée par la Michigan Ross School of Business met en avant le fait que le passage d'une économie manufacturière à une économie de services au cours des 30 dernières années serait en partie à l'origine de l'accroissement des inégalités sociales au cours de cette même période aux Etats-Unis. Comment expliquer ce lien de causalité ? Observe-t-on ce même phénomène en France ? 

Sarah GuillouLes salaires dans les secteurs manufacturiers se sont écartés des salaires des services dans les pays développés. Cela tient à la croissance de la productivité, à l’accroissement du contenu technologique dans la valeur ajoutée manufacturière et à l’externalisation/délocalisation des emplois peu qualifiés. Les salaires sont donc en moyenne plus élevés dans les secteurs manufacturiers qu’ils ne le sont dans le secteur des services. Au même moment, l’accroissement du contenu technologique a réduit le contenu en emplois de la valeur manufacturière. La contribution des secteurs manufacturiers à l’emploi total s’est donc considérablement réduite dans tous les pays développés. En France, l’emploi manufacturier ne représente plus que 10% des emplois marchands. Mécaniquement, si la part des emplois avec des salaires élevés se réduit, cela peut induire un accroissement des inégalités de salaires. Mais cette compréhension des inégalités à travers la dynamique de la spécialisation productive a des limites. La principale est que les services sont eux-mêmes très hétérogènes et certains types de services mobilisent du personnel très qualifié bien rémunéré. Une spécialisation dans les services financiers comme le Royaume-Uni ou le Luxembourg procure des niveaux de salaires élevés et les inégalités naissent de l’écart entre ces secteurs de services et les autres secteurs. L’opposition manufacturier-services ne m’apparaît pas pertinente.

Par quels processus sommes-nous passés d'une économie manufacturière à une économie de services ? Outre l'accroissement des inégalités, quels autres changements cela induit-il ?

Ce qu’on appelle la désindustrialisation a trois causes bien identifiées. Tout d’abord la technologie ou les gains de productivité qui ont diminué le contenu en emploi de la valeur ajoutée manufacturière. La robotisation va conforter voire accélérer ce processus. Ensuite, la globalisation a mis en concurrence les emplois peu ou moyennement qualifiés et a entraîné le déplacement des emplois de fabrication vers les pays à bas coûts. Enfin, la fragmentation des processus de production et les opportunités de la globalisation ont conduit à l’externalisation des fonctions de services autrefois intégrées au secteur manufacturier ; une partie des emplois autrefois manufacturiers sont aujourd’hui enregistrés en services.

Cela entraîne plusieurs interrogations. La première est de savoir si la dynamique des emplois de services qualifiés permet d’absorber la croissance de la population active. La crainte est que pour une dizaine d’emplois ouvriers perdus, on n’y substitue que quelques emplois de concepteurs et consultants. La seconde est la question des transferts de technologie et de la maîtrise des savoir-faire. La troisième, qui est liée à la seconde, est la question de savoir si les services aux industries hautement qualifiés ne sont pas conditionnés à la maîtrise nécessaire de la fabrication. Le cas du contrat récent obtenu par la DCNS illustre ces enjeux. Le cas du Royaume-Uni montre, lui, qu’une croissance en emplois est possible tout en pariant sur une spécialisation non manufacturière. Le débat reste ouvert.

L'une des grandes différences entre les emplois de services et les emplois manufacturiers réside dans le salaire. Qu'est-ce qui explique que les employés soient mieux payés dans le secteur manufacturier que dans les services ?

De nombreux services mobilisent des emplois peu ou pas qualifiés, qu’il s’agisse de la distribution, du transport ou des services à la personne. Les services exigeant des personnels plus qualifiés restent minoritaires dans l’emploi. Par ailleurs, comme on l’a dit plus haut, les salariés du manufacturier qui ont échappé au déplacement géographique des centres de fabrication sont, eux, le plus souvent des salariés qualifiés. Au final, en moyenne, les salaires sont donc plus élevés dans le manufacturier que dans les services. Mais la montée des services qualifiés pourrait modifier cette différence dans les prochaines années.

Quels sont les dangers pour une société/une économie à être entièrement tournée vers les services ? Cela ne devrait-il pas inciter nos économies à se réindustrialiser ?

Les interrogations énoncées plus haut peuvent générer des inquiétudes sur la maîtrise des sources de la valeur. Il faut cependant garder à l’esprit que celle-ci réside dans le capital humain qui lui-même se développe et s’enrichit dans un environnement institutionnel et d’infrastructures propices.

Il existe un mythe autour de la fabrication qui est très proche du mythe de l’autosuffisance alimentaire. Il se nourrit de la crainte de la dépendance à l’égard de la production d’autrui. Mais le lien de dépendance est bijectif. Le fabricant a toujours besoin d’un client. Puis, la liberté est plutôt du côté de celui qui a les moyens et non du côté de celui qui fabrique, surtout s’il fabrique avec la technologie et les normes institutionnelles de celui qui paie. Il s’agit moins de se réindustrialiser que de conforter les avantages comparatifs autour de l’économie de la connaissance, des technologies du futur qui seront en forte demande demain (santé, environnement), de l’environnement institutionnel et des infrastructures. Ces mythes ont la vie dure et le danger est qu’ils alimentent une position de repli qui n’a pas d’avenir. Une position réaliste est d’accepter le rapport de dépendance tout en respectant les exigences des préférences collectives en matière de sécurité et de qualité.

La ré-industrialisation n’est pas le bon combat économique. Comme le souligne Jean Tirole, "l’économie du XXIème siècle sera celle de la connaissance et des services".

La note met également en lumière le rôle joué par la finance à partir des années 1990 dans l'accroissement des inégalités à travers la restructuration d'entreprise. Quel lien existe-t-il entre la dispersion des emplois entre un nombre important d'acteurs et les inégalités ?

La note cherche en effet à relier la concentration des emplois au sein d’un petit groupe d’entreprises et les inégalités de salaires. La taille des entreprises et la logique des conglomérats peuvent répondre à une logique financière de création de valeur boursière, mais ce n’est pas toujours le cas. La pression des actionnaires peut aussi conduire l’entreprise à se défaire des segments moins productifs de son activité et donc à réduire sa taille et ses emplois. C’est une chose de dire que la logique financière, qui gouverne les entreprises cotées, les conduit à réduire à la portion congrue l’emploi productif dans les pays développés. Cela en est une autre d’associer la concentration des emplois et la domination de grandes entités économiques hiérarchisées et bureaucratiques à une croissance des inégalités de salaires. Ces "méga" structures seraient ainsi plus propices à générer et entretenir des écarts de salaires. Or, derrière ces très très grandes entreprises, on retrouve les deux moteurs du capitalisme contemporain que sont la technologie et la globalisation. Le premier, la technologie, justifie des tailles d’efficience élevées pour supporter les investissements en R&D. Le second, la globalisation, favorise l’exploitation des rendements d’échelle croissants par les grandes entreprises. Des innovations managériales incitant à plus d’horizontalité dans ces entreprises pourraient permettre de réduire les inégalités de salaires.

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