Comment la stagnation des revenus a favorisé la résurgence de la lutte des classes dans l’esprit de 64% des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il n'y a pas eu de progression de pouvoir d'achat pour plus de la moitié de la population en l'espace de 10 ans. Cela s'explique notamment par l'augmentation du coût du logement et donc du taux d'effort.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il n'y a pas eu de progression de pouvoir d'achat pour plus de la moitié de la population en l'espace de 10 ans. Cela s'explique notamment par l'augmentation du coût du logement et donc du taux d'effort.
©wikipédia

Faucille et marteau

Non seulement la stagnation des revenus pèse sur la consommation et donc sur la croissance mais elle favorise le sentiment d'appartenance sociale. Ainsi, 64% des Français considèrent que la lutte des classes est une réalité, soit 20 points de plus qu'en 1967.

Régis Bigot

Régis Bigot

Régis Bigot est directeur du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). 

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Atlantico : Dans une note récente (voir ici), le Centre d'observation de la société fait état de la stagnation, depuis 2008, du revenu médian pour une personne seule à 1 700 euros. Cette stagnation touche aussi bien les classes populaires que les classes moyennes. Comment expliquer ce phénomène ? 

Régis Bigot : La crise économique a touché la société dans son ensemble, mais il est vrai que ceux qui se trouvent dans une situation intermédiaire de distribution des richesses l'ont été particulièrement. C'est quelque chose qui est récurrent dans les crises économiques.

Ce qui est sans précédent en revanche, c'est que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n'y a pas eu de progression de pouvoir d'achat pour plus de la moitié de la population en l'espace de 10 ans. Cela s'explique notamment par l'augmentation du coût du logement et donc du taux d'effort (le prix du logement a été multiplié par deux en une vingtaine d'années), et cette situation affecte de surcroit les locataires qui sont de plus en plus pauvres, les locataires les plus riches ayant réussi à accéder à la propriété. Cela crée un choc dans l'opinion, une grande frustration qui confirme une impression lancinante selon laquelle l'ascenseur social ne fonctionne plus, voire qu'il y a un risque de déclassement social aujourd'hui.

Selon une étude publiée ce mercredi par France Stratégie (voir ici), 64% des Français pensent que la lutte des classes est une réalité, soit une progression de 20 point par rapport à 1967. Alors que la thématique de la lutte des classes semblait appartenir au passé, il semble que cette grille de lecture continue de structurer les perceptions des Français. Comment la lutte des classes se décline-t-elle aujourd'hui ?  

Le terme de lutte de classe est extrêmement connoté marxisme, 19e siècle : cette vision du monde n'a pas tellement de sens dans l'esprit des Français aujourd'hui. Ou alors on considère qu'il y a deux classes sociales, la première réunissant  95% de la population et l'autre les 5% restants dont les niveaux de vie sont très éloignés de l'ensemble de la population.

En réalité, les Français ne voient pas des classes et les distinctions cols bleus-cols blancs ne sont plus très opérantes. Par ailleurs, les différences de statuts professionnels sont de plus en plus floues : 20% de la population est cadre mais les trois quarts n'encadrent pas vraiment ; parmi les ouvriers, on distingue les qualifiés et les non qualifiées, qui n'ont pas du tout le même niveau de vie ; auparavant, les employés étaient dans la hiérarchie sociale supérieurs aux ouvriers, or, aujourd'hui, on trouve parmi les employés énormément de personnels peu qualifiés (caissiers, assistantes maternelles, agents de sécurité etc.).

En revanche, les sentiments d'injustice et d'inégalité sont extrêmement forts : 8 à 9 personnes sur 10 aujourd'hui en France considèrent que les inégalités augmentent, que les riches sont de plus en plus riches et que les pauvres sont de plus en plus pauvres. Ce ne sont plus tellement les statuts, les classes, les professions ni même les diplômes qui sont en jeu mais les divergences de niveaux de vie, les revenus perçus, le pouvoir d'achat, l'accès aux loisirs.

L'argent joue donc un rôle considérable dans les perceptions d'autant qu'il y a une explosion des inégalités de revenus par le haut. En effet, si le niveau de vie des plus pauvres a cessé de s'écarter de la moyenne car la revalorisation du SMIC, les minima sociaux etc. ont permis aux personnes les plus précaires de ne plus être marginalisées comme elles l'étaient dans les années 1970, chez les plus riches, les revenus ont explosé. C'est cela qui nourrit ce sentiment de "lutte de classes" : les gens ont le sentiment d'une augmentation des inégalités parce que les plus riches s'enrichissent alors qu'eux ils stagnent. C'est aussi pour cela que le sentiment d'appartenir à la "classe moyenne" est fort. 

Dans quelle mesure cette stagnation des revenus redéfinit-elle les rapports sociaux ? Comment cela se traduit-il politiquement ? La stagnation des revenus n'est-elle finalement pas révélatrice d'une société conflictuelle, en proie à la lutte des classes ?

Ce que l'on peut dire, c'est qu'il n'y a plus de sentiment de classe "ouvrière" en France depuis longtemps. Au Credoc, nous demandons aux sondés s'ils pensent faire partie des catégories populaires, des privilégiés… La plupart d'entre-eux considèrent qu'ils font partie des classes moyennes, même s'ils ont des revenus bien supérieurs à la moyenne. De la même manière, ceux qui gagnent le SMIC répondront qu'ils ne sont pas les plus défavorisés mais font partie de la classe moyenne inférieure.

Le terme de classe moyenne est un peu piégeant. Il n'y a pas de compartimentation claire des catégories les unes par rapport aux autres. Il y a plutôt un continuum de situations diverses et variées. Dans les représentations sociales, on mettait les employés au-dessus des ouvriers. Or aujourd'hui un nombre important d'employés sont dans une situation plus précaire (vendeurs, caissiers) que les ouvriers, puisque cette catégorie comprend aussi les travailleurs qualifiés notamment. De même, s'il a pu y avoir 15 ou 20% de personnes qui travaillaient à leurs comptes (avec une forte proportion d'artisans) il y a quelques décennies, il y a aujourd'hui 92% de salariés en France, ce qui participe à une homogénéisation des modes de vie. Les transformations au cours des 50 dernières années ont changé le paysage social. Aujourd'hui, la nomenclature traditionnelle est de moins en moins pertinente.

Mais il est vrai qu'un ensemble de la population partage des problèmes très similaires comme ceux que nous évoquions (sentiment de déclassement etc). Et les personnes qui gagnent entre 1 200 et 2 500 euros, ce qui pourrait constituer la classe moyenne, représentent 50% de la population totale.

Ce qui est encore plus ressenti dans la population, c'est un sentiment de déclassement. Ce sentiment fait écho au ralentissement de la croissance économique qui n'est pas digéré par la population, il y a eu un deuil des trente glorieuses. Si un doublement du niveau de vie était possible en une quinzaine d'années alors, c'est impossible aujourd'hui avec nos niveaux de croissance. Et ce ralentissement, subi par la population est couplé d'une augmentation des charges contraintes, qui pourrait faire émerger ce sentiment de classe. 

Quelles sont les perspectives pour les revenus des Français ?

Difficile à dire pour le long terme. Les statisticiens les plus aguerris sont bons pour prévoir à 3 mois mais moins pour aller plus loin. Ce que l'on peut dire c'est que plusieurs indicateurs s'orientent vers le vert, et les ménages sont moins déprimés qu'avant. Et la consommation est un des moteurs principaux de notre croissance, qui détermine aussi le niveau d'investissement de la part des entreprises.

Le niveau de chômage sera primordial pour voir si une reprise (sa longueur et aussi son ampleur) s'annonce vraiment. Mais cette convergence des indicateurs est bien sûr aussi soumise à des éléments de contexte, comme les carnets de commande des entreprises chinoises.

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