Comment la guerre en Ukraine est venue rebattre les cartes de la campagne d’Eric Zemmour<!-- --> | Atlantico.fr
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Jules Torres publie « Zemmour, dans le secret de sa campagne » aux éditions Plon.
Jules Torres publie « Zemmour, dans le secret de sa campagne » aux éditions Plon.
©BERTRAND-GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Jules Torres publie « Zemmour, dans le secret de sa campagne » aux éditions Plon. Des grands meetings aux déjeuners confidentiels en passant par les loges des émissions télévisées ou l'état-major de la rue Jean-Goujon, Jules Torres nous entraîne dans le tourbillon de cette campagne qui n'a cessé d'alimenter l'élection. Ce livre dévoile l'homme derrière les caricatures. Extrait 1/2.

Jules Torres

Jules Torres

Jules Torres est journaliste à Valeurs actuelles. Il intervient régulièrement sur CNews et BFMTV. 

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24 février

Poutine annihile Bellamy

Il fait beau. L’hiver se termine. La bonnette bleue d’Europe 1 brille. Sonia Mabrouk se réjouit. Elle est certaine que son interview du matin va avoir l’effet d’une bombe. François-Xavier Bellamy arrive dans le studio, situé dans le 15e arrondissement de Paris. Le député européen doit annoncer une prise de position forte. Mais patatras… Dans la nuit, la Russie a décidé d’envahir l’Ukraine. Tous les autres sujets passent au second plan. Bellamy va parler mais son message n’aura aucune répercussion. Il le sait. « J’ai décidé d’accorder mon parrainage à Éric Zemmour, annonce pourtant ce cadre des Républicains, membre de l’équipe de campagne de Valérie Pécresse. C’est le candidat qui est le plus en retard dans la quête des parrainages aujourd’hui. » Il précise ensuite que son parrainage ne vaut pas soutien, dans la lignée du geste de David Lisnard envers Jean-Luc Mélenchon. Quelques jours plus tôt, le président de l’Association des maires des France et maire de Cannes a décidé de donner sa signature au candidat de la France insoumise. La veille, six sénateurs, dont Sébastien Meurant et Étienne Blanc, ont annoncé qu’ils apportaient leur parrainage à Éric Zemmour en invoquant la nécessité de combattre « un non-sens démocratique ». Sonia Mabrouk poursuit son travail de sape. À la question « Si Emmanuel fait face à Éric Zemmour au second tour, pour qui voterez-vous ? », l’ancien chef de file de LR aux européennes de 2019 répond sans hésitation : « Si demain il devait y avoir un duel entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour, je voterais pour Éric Zemmour. » La même ligne qu’Éric Ciotti. Mais contrairement au finaliste de la primaire de la droite, le séisme n’a pas eu lieu, au grand dam du candidat de Reconquête ! Il comprend toutefois que ces élus LR le rejoindront tous le soir du 10 avril. Encore faut-il y accéder… La guerre en Ukraine monopolise le débat. Philippe de Villiers comprend rapidement que la campagne s’arrête. Lors d’une réunion en petit comité, il alerte : « On est mal. La guerre en Ukraine va éclipser le grand remplacement. L’augmentation des prix de l’énergie va favoriser Marine Le Pen. » En fin de matinée, alors qu’il travaille à son bureau, Éric Zemmour se rend compte que la campagne s’arrête. Il se tourne vers plusieurs membres de son équipe et lance : « Je déteste Poutine. »

25 février

L’Ukraine rebat les cartes

Toute l’après-midi, Sarah Knafo a bûché sur le dis‑ cours, prenant soin de peser chaque mot et de vérifier chaque information dans une séquence prompte aux polémiques. L’heure est grave. La guerre est là. Attaqué depuis plusieurs jours par ses adversaires et les médias, Éric Zemmour doit clarifier sa position sur la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie. Le candidat attend toute la journée de vendredi, refusant de répondre à la presse, pour se prononcer sur le sujet afin d’éviter des reprises tronquées. Ce vendredi soir à Chambéry, devant 3 500 personnes réunis dans la salle du Phare, Zemmour prend le temps – trente minutes. Avant de se positionner concrètement sur le conflit, il prévient ses sympathisants que son meeting « sera empreint de davantage de gravité que les précédents » et adresse une pensée « aux victimes et à nos compatriotes qui sont encore sur place ». Le mot « paix » est prononcé une quarantaine de fois.

Éric Zemmour l’avoue : « Il y a quelque temps, nous étions nombreux à penser qu’aucun camp ne laisserait la situation s’envenimer jusqu’à la guerre. » Depuis la décision de la Russie d’envahir l’Ukraine, Éric Zemmour est pointé du doigt pour certaines de ses déclarations. « Je vous avoue que je n’y crois pas, mais je peux me tromper. Mais c’est vrai que je suis sceptique », disait-il le 20 février. Le lendemain, Vladimir Poutine déclarait reconnaître l’indépendance des zones séparatistes pro‑ russes. Il n’était pas le seul à penser ainsi, insiste-t-il :

« Notre gouvernement était sûr d’avoir convaincu les Russes de ne pas intervenir. »

Pour Éric Zemmour, les raisons de l’offensive sur le territoire ukrainien sont multiples. « L’expansion ininterrompue de l’OTAN à l’est est un motif d’inquiétude pour les Russes et ils sont prêts à se battre pour l’empêcher, affirme-t-il. Les États-Unis le savent très bien, eux qui poussent chaque fois plus loin les frontières de l’OTAN, et ils savaient aussi très bien qu’ils n’interviendraient pas pour aider les Ukrainiens ensuite. » Joe Biden a répété qu’il n’enverrait pas de troupes en Ukraine. Le président américain privilégie les sanctions économiques – qui ne touchent pas son pays, évidemment.

Seulement, de nombreux observateurs considèrent – comme le candidat Reconquête ! – que les sanctions économiques seront inefficaces. « Alors que nous sortons à peine de la crise sanitaire, le prix du gaz va exploser, le prix du baril d’essence va augmenter, le prix des céréales va s’envoler ! souligne-t-il. Dans votre assiette, dans votre entreprise, à la station essence, les conséquences peuvent être lourdes et terriblement concrètes. L’intérêt national, c’est de protéger la France et les Français ! » Les Chambériens sont visiblement du même avis. À la question « Croyons-nous que les sanctions économiques réussiront à arrêter les Russes ? » posée par Zemmour, les 3 500 personnes répondent de concert : « NON ». Pour le candidat, les sanctions vont nuire à la Russie, mais aussi à l’Europe.

Reprenant sa formule déjà utilisée au Mont-Saint-Michel, Zemmour considère que « la France a un devoir de puissance ». Pour lui, la France doit jouer un rôle majeur pour sortir de cette crise. Il propose notamment de signer un traité de paix signé par les Américains, les Européens et les Russes pour inscrire dans le marbre la fin de l’extension de l’OTAN à l’est de l’Europe et ainsi obtenir un cessez-le-feu. « Les Américains n’ont rien à faire en Ukraine, soulignait-il il y a quelques jours. Que diraient-ils si les Russes installaient des missiles au Mexique ou à Cuba ? » Qui dit puissance dit armée. Le candidat ne manque pas de distiller ses propositions sur le sujet de la défense. Il veut porter le budget militaire à 70 milliards d’euros par an dès 2030 pour moderniser l’armée, fournir de nouveaux bombardiers, équiper les troupes au sol et construire des navires.

En plus du « devoir de puissance », Éric Zemmour plaide pour un « devoir d’indépendance ». Il reproche à la France son positionnement par rapport à l’oncle Sam : « Si la France ne se démarque pas diplomatiquement des États-Unis, c’est la parole de la France qui n’aura plus aucune valeur. Car dans l’histoire, on ne négocie qu’entre seigneurs, jamais avec un vassal. » Pour Zemmour, la France ne doit être soumise à per‑ sonne, « ni aux États-Unis ni à la Russie ni à aucun autre pays du monde ». Puisque la France est une puissance nucléaire, qu’elle est membre du conseil de sécurité de l’ONU, « nous avons toute légitimité pour nous inter‑ poser et créer les conditions d’un dialogue équilibré », plaide-t-il. Zemmour invoque ensuite Henry Kissinger et Zbigniew Brzeziński, respectivement ancien secrétaire d’État des États-Unis et ancien conseiller à la Sécurité nationale. « Ils ont tous deux proposé depuis des années que l’Ukraine accepte un statut de neutralité et s’engage à ne jamais rentrer dans l’OTAN. Et pourtant, Kissinger était un républicain américain, en pleine guerre froide ! Et Brzeziński était un démocrate d’origine polonaise foncièrement antirusse. Les deux hommes pensaient tout de même que la paix sur le continent européen dépendait de cet engagement. »

Comme dans ses derniers discours, Éric Zemmour prend pour exemple Nicolas Sarkozy. Reçu à l’Élysée quelques jours auparavant, l’ancien président a affirmé que seule la diplomatie pouvait résoudre ce conflit. « Ce n’est pas en ostracisant la Russie, ce n’est pas en sanc‑ tionnant ses ressortissants, ce n’est pas en ignorant ses enjeux que nous y arriverons », avance Zemmour, avant de s’en prendre au président actuel. « Emmanuel Macron lui-même a tenté en recevant Vladimir Poutine en grande pompe à Versailles, au début de son mandat, mais il n’a pas pu construire une relation d’égal à égal, car il n’est pas allé au bout de la logique de l’indépendance française, en restant empêtré dans les logiques de l’OTAN et de la défense européenne. » Il demande au président de la République de « refuser tout à la fois l’hégémonie américaine et l’hégémonie russe ».

Pendant deux jours, les équipes du candidat se sont demandé s’il était judicieux de maintenir ce déplace‑ ment, alors que la plupart des candidats ont suspendu leur campagne. « Évidemment, l’événement est grave, et la guerre en Europe, ce n’est pas quelque chose d’anodin, a-t-il déclaré lors d’une visite dans une ferme de Marcellaz, en Haute-Savoie. Mais nous sommes en campagne présidentielle, c’est un rendez-vous démocratique, qui n’est pas non plus anodin. Il faut continuer à aller voir les Français. » Zemmour a toutefois annulé une déambulation prévue le lendemain sur un marché, compte tenu de la situation internationale. « On ne peut pas aller manger du saucisson et boire du pinard sur un marché alors que ça pète aux frontières de l’Europe », souffle un proche du candidat. Le samedi, vers midi, Éric Zemmour se rend sur le plateau des Glières, haut lieu de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Il rencontre Francis, gérant de l’Auberge des Glières, qui offre une vue imprenable sur toute la vallée. Zemmour déjeune avec des élus locaux et des acteurs économiques de la région. Il confie : « Parfois, le matin, je sors de la piscine et je pense à une formule que je pourrais utiliser lors de mon débat face à Macron. » Il se voit déjà au second tour. Il se voit déjà débattre avec Emmanuel Macron. Mais il craint plus que jamais que la guerre en Ukraine monopolise le reste de la campagne. « On va encore priver d’élection les Français » glisse-t-il. Il ne croit pas si bien dire…

Extrait du livre de Jules Torres,  « Zemmour, dans le secret de sa campagne », publié aux éditions Plon

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