Comment la France en est arrivée à préférer la défaite de Waterloo à la célébration de la victoire de Napoléon à Austerlitz<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Ce 18 juin, l'Europe commémore le bicentenaire de la défaite de Napoléon 1er à Waterloo.
Ce 18 juin, l'Europe commémore le bicentenaire de la défaite de Napoléon 1er à Waterloo.
©Reuters

18 juin 1815

Ce 18 juin, l'Europe commémore le bicentenaire de la défaite de Napoléon 1er à Waterloo. Des descendants d'officiers, des représentants européens et quelques souverains du vieux continent seront présents dans la "morne plaine", ainsi qu'une toute petite délégation française. Le reflet d'une curieuse interprétation de l'Histoire.

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

Voir la bio »

Atlantico : Malgré les polémiques entourant la commémoration du bicentenaire de la défaite de Napoléon à Waterloo, et notamment le refus d'une pièce d'euro la célébrant, la France enverra deux personnes sur place. On se souvient qu'en 2005, le bicentenaire de la bataille d'Austerlitz avait été boycotté par Jacques Chirac et les représentants français. On a l'impression que la défaite est plus célébrée que la victoire. Pourquoi cet étrange paradoxe dans la gestion de l'histoire napoléonienne?

Dimitri Casali : Aujourd'hui on sent que c'est l'Europe qui force la France à réagir à son histoire, à essayer d'empêcher ce refoulement chronique envers Napoléon qu'exercent les dirigeants politiques français depuis une dizaine d'année. En 2005, Jacques Chirac et Dominique de Villepin (soi-disant le chantre de l'épopée napoléonienne) ont refusé de célébrer le bicentenaire de la bataille d'Austerlitz, car ils ne voulaient pas heurter la communauté antillaise qui considère que Napoléon est avant tout un esclavagiste. A l'époque, une centaine de personnes avait manifesté sur l'esplanade des Invalides, et, face à eux, Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient capitulé. C'était un pur scandale quand on connaît l'importance de la mémoire napoléonienne, de sa figure pour les Français.

Napoléon est la figure tutélaire qui résume le mieux l'identité française. Or la France traverse aujourd'hui la plus grave crise identitaire de son histoire, comme l'a très bien dit Pierre Nora, et nous avons plus que jamais besoin de nos grands personnages, de nos grands héros qui doivent être donnés comme modèles à nos enfants. Napoléon a été l'incarnation de quatre valeurs qui sont absolument essentielles à l'identité française : la méritocratie, l'intégration, la volonté politique de réforme et l'honneur. Quatre valeurs que nos dirigeants politiques ont oubliées. Napoléon a incarné la méritocratie car il a construit tout son système sur le principe "aux meilleurs, les meilleures places" : un système basé sur le mérite. Pour lui, chaque fils de paysan pouvait avoir la prétention de devenir soit ministre, soit maréchal, soit cardinal. Il a fondé toutes les institutions en ce sens, que ce soit le système éducatif, le lycée, l'université, et même le bac que les jeunes passent aujourd'hui, et ce depuis 1808. Napoléon a également fondé le Conseil d'Etat, la Cour des comptes, le préfet et l'organisation interne des départements et effectué mille autres réformes indispensables … Pour ce qui est de l'intégration, il est fondamental d'expliquer que Napoléon était un petit immigré qui s'est parfaitement intégré à la culture française, qui a été bercé par Voltaire, Rousseau et par les Lumières, les mêmes références qu'on s'apprête à supprimer à la rentrée prochaine. Arrivé en France à 10 ans et demi, sans parler un traitre mot de français, il est devenu, grâce à la richesse de la culture française, plus français que les vieilles familles aristocratiques qu'il côtoyait à l'école de Brienne ou à l'école militaire de Paris. Il est l'incarnation de ces valeurs, sans oublier celle du respect de l'Etat. Quant à l'honneur et au patriotisme, ce sont des valeurs qui ont complètement disparu aujourd'hui. La Grande Armée et ses soldats étaient prêts à mourir pour leur patrie, aujourd'hui qui pourrait mourir pour la France, exceptée l'armée ? En-dehors de cette dernière, on peut se le demander. Napoléon incarne toutes les valeurs essentielles qui fondent l'identité française et qui ont fait notre grandeur et notre gloire pendant deux siècles. C'est en ce sens qu'il faut célébrer Napoléon. Aujourd'hui ce n'est pas la défaite de Waterloo que nous célébrons, c'est la France toujours victorieuse. En 2015, alors que nous sommes totalement abattus et déprimés, que nous sommes toujours classés parmi les pays les plus pessimistes au monde, que nous subissons la crise économique sans ardeur et sans volonté de se battre, la bataille napoléonienne ne se gagne plus sur les champs de bataille mais dans la guerre économique de la mondialisation. Il faut donc rallumer la flamme napoléonienne car elle montre que les Français ont des raisons d'être un grand peuple fier de son histoire. Il faut donc être fier de célébrer Napoléon en 2015, d'ailleurs, pour revenir à la bataille, on voit bien qu'on ne parle que de lui, pas de Wellington ni de Blücher. Effectivement, c'est la "chute de l'Aigle", mais c'est aussi une "défaite glorieuse", comme le dit Victor Hugo, c'est également l'occasion de commémorer un homme qui a incarné la grandeur à jamais perdue de la France

Qu'est-ce que cet épisode révèle concernant les rapports compliqués qu'entretient la France avec son passé ?

On voit bien que la France, depuis une dizaine d'années mais aussi depuis les lois mémorielles de Christiane Taubira, l'accent a été mis sur une lecture culpabilisante de notre histoire. D'ailleurs, Louis XIV subit le même traitement que Napoléon 1er, il est critiqué à l'aune de nos valeurs contemporaines, compassionnelles notamment, et on lui met sur le dos le Code noir, comme on met sur celui de Napoléon le rétablissement de l'esclavage, tout en sachant qu'en 1802, on ne le répètera jamais assez, la planète entière pratiquait l'esclavage. Se battre la coulpe est anachronique, il s'agit d'une auto-flagellation ridicule imposée par les politiques et les groupes communautaires, par exemple le CRAN, lesquels ont réussi à faire détester tout ce que les Français aimaient, et à faire aimer tout ce qu'ils détestaient.

Peut-on dire qu'aujourd'hui que la France est enferrée dans une tendance à réécrire l’histoire ? Quels en sont les risques ?

Le scandale des nouveaux programmes d'histoire montre bien qu'il existe des buts idéologiques : vouloir rayer l'histoire doublement millénaire de la France, ses racines, son héritage, lesquels passent par sa culture et son histoire. C'est peut-être un scoop que je vous livre, mais Napoléon est totalement supprimé des programmes du primaire, il disparaît en CM2. On voit bien qu'il y a une volonté d'éradiquer tous les grands personnages qui ont fait la gloire de notre pays, ces personnages un peu trop conquérants, l'histoire militaire étant totalement oubliée à l'avantage de l'histoire économique et sociale. Tout cela au nom d'une vision uniquement marxisante de l'histoire. Les tenants des nouveaux programmes, à l'instar de Nicolas Offenstadt ou de Laurence Decock, ont une vision marxiste de l'histoire de France, ils font de la politique, et non pas de l'histoire. Cela rejoint les hommes politiques qui ont laissé faire cette déconstruction nationale.

Quelles répercussions cela peut-il avoir sur la place de la France en Europe ?

Encore une fois, nos dirigeants, par leur absence à Waterloo, notamment celle de Manuel Valls ou de Laurent Fabius, montrent qu'ils n'ont rien compris à l'amour que les Français ont pour leur histoire. Les Français ont leur histoire viscéralement attachée au corps. En négligeant de célébrer Napoléon, comme François Hollande avait négligé de célébrer Jeanne d'Arc en 2012, en affirmant qu'elle était pour lui un non-sujet, on voit que les politiques creusent le fossé entre les Français, au lieu de saisir l'opportunité de tous les réunir autour de leur histoire. Nous avons eu une grande histoire, on ne peut pas la gommer, on ne peut pas gommer Napoléon, malgré sa part d'ombre qui existe. Les Européens, eux, ont tout compris de Napoléon. En Belgique ou en Allemagne, quand on parle de Napoléon on évoque à la fois sa part d'ombre et sa part de lumière. Ils ont un regard objectif et équilibré entre le positif et le négatif, il est à la fois un tyran et un libérateur héritier de la Révolution, il est double. Et c'est en ce sens que nos dirigeants n'ont rien compris, ils auraient pu s'associer à cette célébration sans perdre la  face, et au moins utiliser la figure de Napoléon pour réconcilier tous les Français, ce peuple qui compte parmi les plus désunis d'Europe. En diffusant le Code Napoléon, en bannissant la féodalité hors d'Europe, Napoléon a réussi à mettre en germe cette idée de construction européenne, même si elle contenait l'idée d'une domination française. Cette unification par le droit et par la monnaie sont les prémices d'une idée de construction européenne qui a laissé des germes importants, ceux-ci se manifesteront en 1848 dans toutes les capitales européennes avec le Printemps des peuples pour réclamer la liberté diffusée par les armées napoléoniennes lors de leurs campagnes militaires. Napoléon est donc un des pères fondateurs de l'Europe.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !