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Comment la baguette de pain est devenue le nouvel aliment à la mode en Afrique (au grand dam des paysans locaux)
©REUTERS/Jonathan Ernst (

A la française

La baguette, aliment phare de la gastronomie française, séduit de plus en plus d'Africains. Et c'est logique, quand on sait que le recours au pain dans l'alimentation est plus courant, du fait d'importation massive de blé, et des transformations culturelles et économiques du marché alimentaire en Afrique.

Philippe Hugon

Philippe Hugon

Philippe Hugon est directeur de recherche à l'IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), en charge de l'Afrique. Professeur émérite, agrégé de Sciences économiques à l'université Paris X, il vient de publier son dernier livre Afriques - Entre puissance et vulnérabilité (Armand Collin, août 2016). 

 

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Atlantico : La baguette est devenue depuis quelques années la nouvelle tendance alimentaire en Afrique Subsaharienne. Notre fétiche pain national vient de plus en plus concurrencer le riz comme aliment de base. La Brioche Dorée, Carrefour ou Paul en sont les principaux bénéficiaires, mais le mouvement se prolonge avec l’établissement d’indépendants locaux. A l'origine de cette tendance, il y a l’import massif de blé, en hausse de près de 50% depuis 2010. Quelle est l’influence réelle de la politique agricole et agroalimentaire des pays de l’OCDE sur le marché africain aujourd’hui ?

Philippe Hugon : C’est un sujet complexe, car il n’en va pas de la même façon selon les pays et les régions. Ce qu’il faut observer en un premier temps, c’est que le blé, comme le riz par ailleurs, est un aliment de plus en plus consommé en Afrique. Et que pour ce qui est du blé, il s’agit de farine et très souvent de pain. Cette consommation s’explique très logiquement dans les pays africains pétroliers, comme en Afrique Centrale, en Algérie évidemment, et aussi au Nigeria et en Angola. Ces pays ont centré leur développement sur un secteur pétrolier qui génère suffisamment d’argent pour se passer à court-terme de politique de développement agricole et avoir recours à de l’import. Il faut ensuite distinguer entre population urbaine et rurale : les populations urbaines consomment des produits importés, et donc souvent des pains à base de blé. Cette distribution s’effectue en effet soit par des marchés soit par des grandes surfaces. Ceci étant, ce n’est pas le cas général de l’Afrique : si en effet la consommation en pain de l’Afrique urbaine augmente très nettement, du fait de l’excellent rapport prix/calorie de cet aliment (le maximum de protéines végétales pour le minimum de prix), c’est beaucoup moins le cas dès qu’on sort des grandes villes, où l’on retrouve des dynamiques internes plus traditionnelles, avec une alimentation à base de mil ou de tubercules et même de maïs. 

Cependant, il faut noter un véritable développement de l’agriculture dans ces zones rurales, même s’il est insuffisant et n’a pas endigué le recours à un import de plus en plus important de céréales et tout particulièrement le blé depuis quelques temps. Deux facteurs l’expliquent : les hydrocarbures comme expliqué précédemment, et bien sûr les nombreuses guerres que connaissent certaines régions, où l’aide alimentaire d’urgence se fait essentiellement à partir de blé importé, installant des réseaux d’importation dont on ne peut encore dire s’ils sont pérennes ou non. 

Mais il ne faut pas surestimer pour autant ce phénomène, tout comme cette tendance pour la baguette : la plus grande partie de l’alimentation des Africains reste avant tout traditionnelle. 

Les politiques de subventions sur les céréales comme la PAC de l’Union Européenne rendent plus facile la pénétration du marché africain, d’autant plus qu’à part en Afrique du Nord, il n’est pas possible de développer une agriculture céréalière. Le pain, qui est un produit bon marché peut concurrencer les autres aliments à forte teneur en féculent, même si ce phénomène n’est réellement effectif en zone urbaine et dans les deux cas présentés précédemment, c’est-à-dire la guerre et la production de pétrole.

La FAO déclarait déjà dans son rapport de 2009 que le développement agricole local était freiné par les guerres ou les drames sanitaires comme le VIH. La France étant intervenue massivement depuis cette date, doit-on voir dans l'essor de la baguette un phénomène comparable au plan Marshall qui a aussi permis l'importation du Coca Cola ou du chewing-gum en France après-guerre ?

Evidemment il y a des stratégies, notamment en ce qui concerne l’aide américaine, qui favorisent leur position sur les produits céréaliers. De la même manière, on peut parler de stratégie européenne, et souvent française visant à conquérir des marchés pour écouler nos surplus agricoles. Ceci étant, on n’observe pas une “cocacolonisation” de l’Afrique, ce qui ne veut pas dire que le blé, comme le Coca Cola, ne se développent pas, mais bien qu’on observe dans les faits que les régimes alimentaires restent très diversifiés et dans l’ensemble assez perméables à une consommation alimentaire globalisée. Selon les régions, les habitudes alimentaires restent très variées : de plus, il y a des tendances inverses importantes, avec le développement du maraichage en Afrique, d’un élevage un peu plus intensif où la viande locale – le poulet principalement – résiste bel et bien à la pénétration des productions diverses européennes. Le rendement local est de plus en plus élevé et permet la mise en place d’économie locale autour des marchés plus importantes, encouragées par une hausse du pouvoir d’achat des ménages. Les études sérieuses sur le sujet comme celle du Cirad, de l’AFP ou comme le travail remarquable de Nicolas Bricas montrent bien le développement de ces marchés agricoles aujourd’hui. Alors si en effet quelques groupes étrangers pénètrent certains marchés, avec l’apparition de supermarchés comme Carrefour ou d’autres établissements, ce phénomène touche surtout les populations à revenus élevés, et donc principalement urbaines. 

Vendue entre 20 et 50 centimes d’euros (150/300 francs CFA), la baguette semble indiquer un enrichissement relatif de la classe moyenne africaine : si cette tendance est avérée, est-ce le fait d’une dynamique interne, d'investisseurs émergents (on parle beaucoup de la Chine) ou pour le coup l’influence positive des puissances européennes ?

Comme pour la baguette et surtout le pain, le cas du riz est significatif : le riz thaï bon marché est importé alors que l’Afrique pourrait le cultiver. L’Europe n’est pas concernée dans ce cas-là, et ce marché est très influent ne serait-ce que dans certains pays comme le Sénégal où la consommation et l’importation de riz est très forte et traditionnelle. Un autre cas est celui de Madagascar qui est passé d’exportateur à importateur. Pour ce qui est du blé et donc du pain, il est de plus en plus populaire dans les endroits où il est distribué, donc surtout en ville : les pauvres des bidonvilles mangent du pain certes, du fait de sa forte valeur calorique et de son faible prix proportionnellement. Mais le pain ne remplace en aucun cas les régimes alimentaires, mais est consommé en tant que complément, et ce à 95% des cas africains.

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