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Comment l'Europe peut-elle intervenir au Mali sans y être ?
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Aporie

Le conflit au Mali est une des questions prioritaires à l'ordre du jour du Conseil Affaires étrangères de l'Union européenne présidé ce lundi par Catherine Ashton, et regroupant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des 27.

Antonin Tisseron

Antonin Tisseron

Antonin Tisseron est chercheur associé à l’Institut Thomas More. Il est Consultant auprès de l’Office des Nations Unies  contre la Drogue et le Crime (ONUDC)  bureau pour l’Afrique de l’Ouest et centrale (ROSEN).

Il est spécialisé dans l'étude des doctrines militaires, des questions de sécurité en Afrique et des enjeux de défense européenne. Il travaille principalement sur le Maghreb et le Sahel.

 

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Atlantico : Quelles sont les capacités d'action de la force promise par la Cédéao le 11 novembre dernier ? Ces 3300 hommes sont-ils en mesure d'intervenir efficacement dans le nord du Mali ? Pouvez-vous nous expliquer la procédure en cours pour avaliser leur déploiement sur le terrain ?

Antonin Tisseron : Le président ivoirien Alassane Ouattara, président en exercice de la Cédéao a en effet annoncé que 3 300 hommes issus des armées régionales seraient dépêchés pour le Nord-Mali. D’un point de vue quantitatif et qualitatif, ces hommes constituent une réelle plus-value aux côtés des militaires maliens. De plus, ils peuvent jouer un rôle important pour limiter les débordements que l’on peut craindre dans le Nord-Mali de la part de certains militaires maliens et de miliciens. Ceci étant, l’efficacité opérationnelle des forces de la Cédéao contre des islamistes, pour certains biens équipés et très motivés, reste en suspens. Concernant la procédure en cours, le Conseil de sécurité des Nations unies doit donner son aval pour l’intervention, ce qui devra donner lieu à des tractations avec en toile de fond les affrontements au Proche-Orient, que cela soit en Syrie ou entre le Hamas et Israël.

Les pays européens font tous le constat de la menace terroriste dans le Sahel, promettent un soutien, mais se refusent à tout déploiement de troupes. Concrètement  en quoi peut consister ce soutien ? Peut-on attendre des propositions concrètes de la réunion des ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'UE qui a lieu lundi ?

Le soutien des pays européens peut prendre diverses formes : formation, renseignement, logistique, financements. Ce dernier point est essentiel car après la réunion d’Abuja le 11 novembre dernier, la question du financement de l’intervention internationale au Nord-Mali reste en suspens. Dans le contexte actuel et au regard de la prise de position de pays comme l’Allemagne, on peut attendre des propositions concrètes de la réunion de lundi, même si elles ne seront pas forcément rendues publiques. Reste cependant que pour nombre de dirigeants européens, le Sahel relève de la sphère d’influence française et ne les concerne pas au premier chef.

Une "solution politique" doit être trouvée au Mali, répétait Laurent Fabius lors de la réunion Weimar Plus jeudi, mais il lui faut un "appui militaire africain". Cédéao et UA ont-ils les moyens militaires d'une intervention dans le Sahel et ont-ils les moyens diplomatiques pour se coordonner et pour négocier une solution avec les populations du nord du Mali ?

Une intervention militaire ne peut seule répondre aux enjeux qui concernent le Nord-Mali. Derrière la lutte contre des groupes armés pour certains exogènes, à commencer par Aqmi qui vient d’Algérie même s’il s’est depuis plusieurs années progressivement sahélisé, il faut une réponse politique pour reconstruire les relations entre la capitale malienne et les populations du Nord-Mali. Ajoutons à cela que la situation dans le sud du Mali reste fragile, en raison de la persistance de la contestation à l’égard des dirigeants, à commencer au sein d’une partie de l’armée. Le défi politique concerne pour cette raison avant tout le Mali, bien plus que l’Afrique de l’Ouest ou l’Union africaine, même si ces organisations – ou plutôt des États en leur sein – peuvent jouer un rôle central dans les processus politiques accompagnant les opérations militaires.

Les groupes désignés comme terroristes peuvent-ils être isolés grâce à un dialogue avec les acteurs raisonnables ? Ces derniers peuvent-ils être considérés comme des interlocuteurs légitimes ?

Les négociations sont nécessaires, ne serait-ce que pour montrer que la logique n’est pas celle d’une guerre totale et pour préparer l’après-intervention. Tout acteur est légitime à la condition qu’il prenne ses distances avec l’Aqmi et le Mujao. La vraie question pour Ansar Dine, puisque les discussions entourant les négociations menées par le Burkina concernent en premier lieu ce mouvement, est aujourd’hui celle de la sincérité des négociateurs et de leur objectif. Dans tous les cas, il ne faut pas s’enfermer dans des négociations stériles, mais pas non plus considérer Ansar Dine comme un groupe monolithique. Les discussions permettent de mieux connaître ce groupe, d’en identifier les revendications et les mouvances, et de créer des liens qui pourront être utiles dans les mois à venir.

Comment comprendre la volonté des Européens et de leurs alliés Américains de ne pas intervenir militairement ? Est-ce une vraie volonté d'aider les autorités locales à trouver des solutions qui leurs soient propres ou faut-il y voir la peur d'assumer un trop grand risque militaire ?

La tendance actuelle est caractérisée par des réticences à intervenir directement de manière conventionnelle, pour des questions de coûts mais aussi en raison des répercussions d’interventions étrangères sur un territoire. Une intervention de pays africains n’aura pas le même impact politique qu’une intervention occidentale, et nourrira moins la rhétorique jihadiste. Concernant la volonté d’aider les autorités locales, la question ne se pose pas à mon sens en ces termes. La constitution d’un sanctuaire pour des groupes armés dans le Nord-Mali constitue une menace pour les pays de la sous-région et ceux directement visés par les groupes jihadistes, et il y va donc de l’intérêt de ces États – mais pas forcément d’autres – d’intervenir politiquement et militairement. De même, il est de leur intérêt de réduire durablement les causes de la violence au Nord-Mali et dans le Sahel en agissant aux côtés des autorités locales pour lutter contre les groupes jihadistes mais, également, en mettant fin aux crispations et tensions jamais réglées depuis l’indépendance entre une partie des habitants du nord et les élites du sud par des mesures politiques. Ce qui ne va pas forcément de soi pour les dirigeants maliens.

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