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Comment l’affaire des emails d’Hillary Clinton pourrait finir par lui barrer la route de la Maison Blanche (voire l’en déloger)
©Reuters

"Impeachment" en vue ?

Depuis plus d'un an, l'affaire des e-mails embarrasse Hillary Clinton, celle-ci ayant révélé que l'ancienne Secrétaire d'Etat utilisait une adresse de messagerie privée pour sa correspondance diplomatique. Mais ceci ne constitue pas le seul risque qui pourrait l'empêcher d'accéder à la présidence.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Dans le cadre notamment de l'affaire des e-mails, Hillary Clinton encourt-elle un risque judiciaire qui pourrait l'empêcher d'accéder à la présidence ? 

Jean-Eric BranaaL’affaire des e-mails empoisonne la campagne depuis le mois d’avril 2015, c’est-à-dire depuis l’entrée en course officielle d’Hillary Clinton. Derrière cette affaire en apparence destinée aux technophiles se cache une polémique entretenue par les adversaires républicains de la candidate.Ils sous-entendent que l’ancienne Secrétaire d’Etat a pu cacher des informations relatives à l’affaire Benghazi.

La démocrate assure en tout cas que les seuls e-mails effacés étaient d’ordre personnel : le mariage de sa fille, l’enterrement de sa mère, ses cours de yoga, ses vacances… Par ailleurs, beaucoup jugent le "scandale" artificiel. Le Parti démocrate a ainsi rappelé que Jeb Bush utilisait aussi un compte personnel (jeb&jeb.org) lorsqu’il était gouverneur de Floride. A poste égal, c’était également le cas avec plusieurs des prédécesseurs d’Hillary dans la même fonction, dont Madeleine Albright ou Colin Powell.

Si l’affaire suit son cours sur le plan judiciaire avec une enquête menée par le FBI, il s’agit surtout, pour les Républicains, de semer le doute sur la confiance que l’on peut accorder à Hillary Clinton et, donc, de mettre en question ses capacités à gouverner. Il y a au fond peu de chances que cela aboutisse sur le plan judiciaire mais on peut cependant imaginer que sorte au final un rapport très défavorable à la candidate, voire même qu’un Grand Jury soit convoqué (note : aux Etats-Unis, le rôle du Grand Jury correspond à celui de notre juge d’instruction et c’est un passage obligé pour une mise en examen). Toutefois, il est très improbable que la mise en examen soit prononcée. Un tel scénario serait cependant une catastrophe pour la campagne d’Hillary Clinton car cela l’obligerait à entrer en négociation avec le procureur (ce qu’on appelle plea bargain aux Etats-Unis) en vue de faire cesser les poursuites. 

Quels sont les autres risques auxquels Hillary Clinton fait actuellement face et qui la menacent sérieusement ?

Cette affaire pourrait en revanche avoir un impact politique réel si un grand nombre de délégués remettaient en question la probité d’Hillary Clinton : pas besoin d’une mise en examen pour cela. En cas de suspicion forte et d’une campagne bien menée dans les médias, et qui ne manquerait pas d’être suralimentée par Donald Trump et l’ensemble du camp républicain, alors peut-être que des délégués démocrates pourraient hésiter à lui donner l’investiture. Bien sûr, elle a gagné sur le papier et les super-délégués ont déclaré en masse qu’ils voteront pour elle. Les règles des primaires font que les délégués vont généralement dans le sens qui a été exprimé lors du vote dans leur Etat. Mais, comme dans toutes les règles, quelques mots peuvent faire la différence. Ici, il faut retenir que le choix doit se faire "en bonne conscience." Cela signifie clairement  que s’il survient un doute sur l’honnêteté du candidat, le délégué doit ou peut l’écarter, ou ne pas voter pour ce candidat-là. Ce "en bonne conscience" n’est toutefois pas à prendre à la lettre d’une moralité trop marquée : en politique, il signifie le plus souvent "qui peut gagner en novembre", et cela suffit à une écrasante majorité de délégués, qui n’iront se poser aucune autre question. Il faut aussi comprendre que le calendrier devrait véritablement s’emballer car, pour que l’impact politique soit probant, tout cela devrait intervenir avant la convention qui est prévue à la fin du mois de juillet.

Le risque qui menace la candidature d’Hillary Clinton n’est donc pas réellement de cette nature. En réalité, elle est confrontée au même casse-tête que les seize candidats qui se sont attaqués à Donald Trump : les attaques frontales entrainent une escalade dans la violence des propos qui ne bénéficient au final… qu’à Donald Trump. Son positionnement en tant que «"andidat hors-système" a fonctionné jusqu’à présent et les attaques contre lui ne portent quasiment jamais ou, pire, sont ressenties comme des attaques contre ses électeurs, qui se soudent alors encore davantage autour de lui. On sort à peine des primaires, sans être réellement entrés dans la campagne générale et on constate les effets engendrés par ce problème de taille : la côte d’Hillary Clinton ne cesse de s’effriter alors que celle de son challenger se consolide jour après jour, semaine après semaine. Si elle ne trouve pas l’antidote, la victoire sera vraisemblablement pour le Républicain.

A-t-elle encore une chance de rétablir la situation en vue de son élection ? 

L’élection n’a lieu que dans cinq mois. C’est une éternité en politique !

Donald Trump rencontre également d’énormes difficultés de son côté : le Parti républicain est en miette et un grand nombre de caciques de son parti ont préféré se mettre au vert pour le reste de la campagne. On peut imaginer que la campagne se fera quand même sans eux, certes, mais ce sont souvent des piliers de l’organisation, avec leurs relais, leurs financeurs, et possédant une influence réelle auprès de différents groupes d’électeurs. Par ailleurs, Donald Trump a plusieurs équations à résoudre également de son côté : comment séduire les femmes après une campagne taxée à juste titre de misogyne ? Comment rattraper l’effet désastreux de ses outrances envers les hispaniques ou les musulmans ? Et surtout, comment faire le grand écart entre un abandon de ses principes au profit du Parti en acceptant de se faire imposer un programme purement républicain, sans décevoir cette frange de l’électorat qui l’a porté jusqu’à la victoire et qui lui demande de ne pas céder aux pressions et de maintenir le cap d’une indépendance clairement affichée et anti-système ?

Le vote de femmes et celui des hispaniques pèseront lourds dans la balance et Hillary Clinton est véritablement mieux placée pour l’emporter auprès de ces deux populations. Restent l’inconnue des ouvriers, que Trump a largement su séduire dans les primaires avec un discours anti-mondialisation, et surtout celle des jeunes, qui se sont détournés en masse d’Hillary Clinton pour se jeter dans les bras de Bernie Sanders. Aucun des deux candidats ne pourra faire la différence seul : la solution dépendra du choix du vice-président qui sera proposé aux Américains. Voilà une énième équation à résoudre. Hillary a un avantage énorme : c’est elle qui choisira en dernier, en connaissant déjà le choix de son concurrent. Ce n’est pas rien !

(Note : la convention des Républicains a lieu du 18 au 21 juillet ; celle des Démocrates la semaine d’après).

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