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Comment Internet agit sur notre cerveau
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Le grand méchant Internet

Internet modifie-t-il notre cerveau ? Et de quelle manière ? Daphné Bavelier, professeur au sein du département « cerveau et sciences cognitives » de l’Université de Rochester, à New-York (Etats-Unis), s’intéresse depuis longtemps aux rapports entre les nouvelles technologies et notre esprit. Elle revient, pour Atlantico, sur les dernières recherches scientifiques en la matière.

Daphné Bavelier

Daphné Bavelier

Daphne Bavelier est professeure de neurosciences à l’université de Rochester (New York) et directrice associée du Rochester Center for Brain Imaging.

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Atlantico : Où en est la recherche aujourd’hui dans l’étude de l'impact sur notre cerveau d'une utilisation d'Internet ?

Daphné Bavelier : On n’en est qu’au tout début. Pour tout vous dire, il y a un plus grand engouement des médias sur ce thème qu’il n’existe de recherches sur le sujet ! En réalité, tout dépend de ce que l’on entend par Internet : parle-t-on des moteurs de recherche ? Des réseaux sociaux ? Chaque activité sur le net à des implications propres sur le cerveau.

Dans son article Google nous rend-t-il stupide ? et dans son dernier livre The Shallows: What the Internet is Doing to Our Brains, l’écrivain américain Nicholas Carr évoque ses difficultés personnelles à se concentrer longuement sur un texte. La recherche confirme-t-elle son intuition ?

C’est une idée qui est dans l’air. Mais il existe peu de données précises relatives aux effets d’Internet sur les capacités d’attention. La meilleure étude qui ait été faite reste sans doute celle menée par Anthony Wagner et Clifford Nass de l’Université de Standford : ils ont interrogé plusieurs centaines d’étudiants sur leur utilisation d’Internet, en s’intéressant essentiellement au « multitasking », c’est-à-dire à la faculté de jongler entre différentes activités en même temps (écouter de la musique, consulter Google, Facebook, Twitter, etc). Ils se sont aperçus que ceux qui avouaient procéder à plusieurs tâches en même temps étaient d’un moins bon niveau que ceux qui prétendaient l’inverse, car la somme d’informations qu’ils devaient gérer les distrayait des tâches principales à accomplir. Mais cette étude présentait un problème majeur : elle n’établissait pas de rapport de cause à effet entre cette dispersion et le « multitasking ».  Il se peut que ces individus aient naturellement une personnalité sujette à faire plusieurs choses à la fois et qu’ils exploitent donc la technologie de cette manière là.

A titre personnel, vous n’avez jamais ressenti comme Nicholas Carr qu’Internet faisait décliner vos capacités d’attention ?

Je comprends Nicholas Carr, mais je suis plus humble que lui vis-à-vis des changements. Vous savez, le cerveau adulte n’aime pas trop les changements. Les adultes ont tendance à considérer que la façon dont ils ont agi jusqu’à présent correspond à la « bonne » manière de fonctionner. Je pense que c’est un peu le syndrome dont souffre Nicholas Carr : il regarde la société avec sa propre vue sur ce qu’est pour lui l’intelligence, la réussite sociale, la façon dont le monde académique devrait fonctionner et pas forcément avec une ouverture d’esprit qui lui permette d’accepter qu’il existe d’autres modes de fonctionnement.

Qu’en est-il du rapport entre Internet et mémoire ? Puisqu’on peut aujourd’hui tout trouver sur la toile, ce n’est peut-être plus la peine de mémoriser autant de choses que par le passé…

Ce ne sera peut-être plus nécessaire de se souvenir des différentes guerres menées par Napoléon, mais nous aurons besoin d’une autre sorte de mémoire. Comment chercher ? Quelles sont les bonnes façons de chercher ? Quelles sont les bonnes manières de filtrer l’information ? Voilà de nouvelles questions à se poser aujourd’hui. Il s’agira donc sans doute de développer sa mémoire pour retrouver les informations le plus vite possible et pour s’assurer qu’elles soient légitimes : la légitimité de l’information est l’une des questions majeures posées par Internet.

Vous pensez qu’Internet nécessite un apprentissage ?

Oui et surtout d’un changement drastique des mentalités : on est passé d’une culture très logique - où les raisonnements linéaires étaient prédominants - à un monde qui repose beaucoup plus sur des méthodes statistiques d’inférence. Prenez l’exemple de Facebook : des algorithmes vont calculer la probabilité que vous deveniez ami avec John, sachant que vous êtes déjà ami avec Suzanne et Françoise. Il ne s’agit plus du tout de la démarche linéaire qui a dominé le XXème siècle où l’on pouvait dire « si je suis ami avec Suzanne, alors… ». Non, désormais il s’agit d’un calcul de probabilité. Ce n’est pas un phénomène nouveau, des mathématiciens comme Henri Poincaré se sont penchés sur la question il y a déjà bien longtemps, mais celui-ci est désormais en train de dominer notre mode de pensée comme jamais auparavant. Notre cerveau va surement s’adapter à ce nouveau fonctionnement. Apres tout l’Internet est une création du cerveau humain. Comment cela va-t-il affecter la societe, les structures politiques et economiques du XXI siecle ? C’est une grande question dont pour l’instant personne n’a la réponse !

Face à l’immense quantité d’informations présentes sur Internet, ne risque-t-on pas de ne plus savoir où chercher ? Le web va-t-il finir par nous rendre impuissant ?

Les gens qui ont comme moi la quarantaine se sentent un peu dépassés, mais si vous parlez avec des jeunes, c’est très différent : ils ont créé sur le web leur monde, leur communauté. Ils ne vont pas forcément aller chercher leurs informations dans Le Monde ou dans Libération. Ils ont des copains qui vont filtrer les informations qui semblent devoir être importantes pour eux, étant donné ce qu’ils ont vécu jusqu’à maintenant. Ils sont donc en train de créer quelque chose qui est beaucoup plus dynamique et beaucoup plus fluide que ce dont on a l’habitude. Pour les personnes qui ne sont pas nées avec Internet, qui ne sont pas des « digital natives », c’est un peu plus dur : nous avons l’impression d’être malmenés par cette bourrasque d’informations. Les jeunes, non. Ils ont simplement créé leur petit monde où l’info est filtrée par rapport à ce qu’ils souhaitent comme information. Cela existait déjà : on choisissait en fonction de nos goûts si on allait lire plutôt Libé ou Le Figaro, mais ça ne se produisait pas au même niveau : eux la sélection se déroule au niveau des communautés d’internautes et non au sein d’institutions reconnues par la société.

Vous voulez dire qu’Internet est peut-être mal perçu dans les médias car les personnes qui évoquent le web sont souvent issues d’une génération qui peinerait à comprendre cet univers ?

Il s’agit de s’adapter, d’être ouvert d’esprit, de percevoir à la fois les inconvénients et les avantages de ce type de fonctionnement. Ce n’est pas toujours évident. Mes recherches m’ont amené à m’intéresser aux sourds et aux aveugles : beaucoup de gens ne comprennent pas qu’ils ont des capacités fantastiques. Ils se disent que ça doit être horrible d’être sourd ou aveugle. En fait, quand vous êtes né avec ça,  il y a toutes sortes d’avantages qui viennent avec et si vous récupérez l’ouïe ou la vision, c’est extrêmement perturbant ! C’est une source de confusion extrême dont vous n’avez pas forcément besoin. En réalité, notre cerveau apprend au fur et à mesure de son développement à s’adapter à son environnement et il y a plus de plasticité cérébrale quand on est jeune que lorsqu’on est vieux. Alors pour nous qui ne sommes pas nés avec ce nouveau mode de fonctionnement, tout cela fait un peu peur. Pour les jeunes, ça fait partie du décor.

Pensez-vous finalement qu’il soit possible qu’Internet n’ait en réalité aucune influence sur notre cerveau ?

C’est un peu comme si vous me demandiez s’il était possible que le feu n’ait eu aucun impact sur le cerveau. Quand le feu a été découvert par nos ancêtres, ça a eu un impact fondamental sur la société : ça nous a mené à des progrès, mais aussi à des abominations. Au final, ça a changé la manière dont nous fonctionnons aujourd’hui. Mais c’est vrai que si vous prenez un jeune enfant né il y a 2000 ans et que vous l’introduisez dans notre société actuelle, il serait parfaitement capable de s’adapter parce que les mécanismes de son cerveau sont suffisamment malléables pour s’adapter à des environnements différents. Le plus grand impact n’est donc sans doute pas sur notre cerveau, mais sur notre société qui va être extrêmement malmenée par ces nouvelles structures que crée Internet.

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