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Une enquête a été ouverte sur les meurtres de trois enfants par leur mère.
Une enquête a été ouverte sur les meurtres de trois enfants par leur mère.
©Reuters

Infanticide

Dimanche soir, près de Niort, une femme a étranglé ses trois enfants âgés de 3 ans, 2 ans et quinze jours avant de se donner la mort par pendaison.

Michel Bénézech

Michel Bénézech

Michel Bénézech est psychiatre, légiste et criminologue. Il est chargé du service médico-psychologique régional des prisons, à Bordeaux.

Il a co-écrit avec Christiane de Beaurepaire et Christian Kottler, en 2007, Les dangerosités : De la criminologie à la psychopathologie, entre justice et psychiatrie (John Libbey Eurotext).

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Atlantico : Dimanche soir, près de Niort, une femme a étranglé ses trois enfants de 3 ans, 2 ans et quinze jours avant de mettre, elle-même, fin à ses jours par pendaison. Son acte serait justifié par des problèmes pécuniaires et le suicide de son mari en janvier dernier. Le cas n'est pas exceptionnel. D'autres affaires de meurtres en famille viennent régulièrement ponctuer l'actualité. Comment en vient-on à tuer ses enfants ?

Michel Bénézech : Dans ce cas, on parle de filicide car les enfants ne sont pas nouveaux-nés (infanticide). De nombreux facteurs peuvent expliquer un tel acte. Le filicide peut résulter d’un phénomène psychotique, en particulier des femmes schizophrènes qui, dans leur délire, tuent au moins l’un de leurs enfants qu’elles croient ensorcelé. La principale cause est la dépression, qui est sans doute l’explication la plus fréquente, et plus précisément la dépression par « perte d’objet » au sens psychologique du terme. L’Autre (les enfants) est considéré comme un objet.

Pour ce fait divers, on peut dire que la maman a dû faire face à un choc majeur : la perte de son mari, qui plus est par suicide, et peut-être parce que celui-ci ne se sentait plus apte à gérer sa situation familiale. C’est une hypothèse, certes, mais dans le contexte, on peut l’avancer. De plus, cette femme était en retour de couche, période que l’on appelle post-partum, c’est-à-dire une période difficile au plan psychologique pendant laquelle les dépressions sont fréquentes, et certains troubles mentaux peuvent même apparaître.

On peut supposer qu’elle s’est sentie subitement seule, abandonnée. Ce n’est pas un épisode mélancolique (au sens psychiatrique du terme) mais un moment de dépression de niveau mélancolique. Ce cas de perte d’objet est banal. La perte de ses proches lui renvoie une image de solitude, d’anéantissement, et, dans au moins un tiers des cas, cela se termine par le suicide de l’agresseur. C’est un processus homicide-suicide de nature passionnel.

Comment expliquer la fréquence de ces faits-divers ? Sont-ils propres à notre société ?

L’infanticide est un cas très particulier, ce sont souvent des femmes célibataires, ou abandonnées par un conjoint qui les a quittées ou qui est décédé. Leur épisode dépressif grave peut disparaître assez rapidement, parfois en quelques heures. Celles qui ne mettent pas fin à leur jour après avoir tué leur enfant sont soumises à un test psychiatrique et l’on découvre parfois que leur comportement dépressif a disparu. Elles sont soulagées de leur mal. Ces crimes sont évidemment difficiles à prévenir car les personnes ne demandent pas d’aide. Le cas le plus typique est celui de l’homme qui tue sa femme et ses enfants puis qui se suicide, pour les mêmes raisons.

Dans les ruptures familiales, il peut choisir de ne tuer que les enfants. Son raisonnement vis-à-vis de sa femme est le suivant : tu m’abandonnes, je ne te tue pas, mais je tue ce que nous avons créé ensemble. Puisque tu ne veux plus de notre famille, je fais disparaître ce que nous devrions partager. La majorité des homicides sont familiaux. Il suffit de lire les journaux. Suivant les sociétés, il y a plus ou moins de drames. Certaines sociétés sont beaucoup plus collectivistes que chez nous, les familles ne sont pas majoritairement constituées du père et de la mère. Les proches, la tribu,... prennent en charge collectivement les personnes et les événements de ce genre sont plus rares car il y a une prise en charge collective. C'est le cas des sociétés africaines, des sociétés de l'océan indien. Les sociétés traditionalistes au sens anthropologiques du terme sont mois sujettes à ce genre de drame du fait de la structure sociale différente.


Nous avons de sociétés basées sur la famille nucléaire, papa maman et les enfants.
Les risques de drames liés à la souffrance de la rupture et de la séparation sont plus grands. C'est dans ces familles qu'il y a le plus de danger pour les enfants et même les parents, car il arrive que les enfants tuent leurs parents, ce qui est loin d'être rare chez les adolescents ou enfants psychotiques.

Y a-t-il un profil de "parent-tueur" ? Peut-on prévenir ce type de comportement ?

Cela peut être des gens sans profession, qui ont eux-mêmes connu des souffrances existentielles graves et des souffrances narcissiques graves dans l'enfance. Comme toujours, les parents agressifs ont été parfois agressés à un âge relativement jeune. Le célibat, le manque de moyens, la dépression peuvent aussi être des facteurs. On retombe sur les mêmes éléments à des degrés plus ou moins divers.

Ce type d'évènement est-il rare chez les familles qui n'ont aucun problème particulier ?

C'est beaucoup plus rare, mais cela peut arriver. La fragilité psychologique des parents entre en compte ainsi que les antécédents psychiatriques. Parfois la toxicomanie et les addictions jouent aussi un rôle. Il faut voir comment le père et la mère ont fondé leur famille, comment ils ont évolué dans leur enfance, s'ils ont été soignés pour des antécédents psychiatriques et s'ils ont été pris en charge, et s'ils ont abandonné des traitements. Ce sont des facteurs collectifs.

Les femmes tuent en général des enfants assez jeunes (après il devient plus difficile pour elle de les maîtriser) par l'étranglement, l'intoxication (médicaments) ou la noyade. Ce sont des moyens bien plus utilisés que le couteau. Les hommes assassinent souvent des enfants plus âgés, des adolescents.

Peut-on prévenir ce genre de drame ?  

On pourrait prédire, mais encore faut-il que les gens aillent voir des professionnels de la santé mentale. S'ils sont enfermés chez eux dans leurs valeurs, s'ils n'ont pas de proches (amis ou familles) susceptibles de les aider et de stopper la problématique homicide et suicidaire. Les meurtres des enfants sont des équivalents suicidaires. C'est souvent l'isolement social qui fait que ces drames se terminent mal. S'il y avait une famille proche, on pourrait les éviter, comme dans le cas des crimes passionnels entre adultes, ou dans le cas du conjoint tueur des enfants et de sa femme. Ces drames-là seraient évitables, à condition qu'on puisse les connaître et intervenir.

C'est toujours le même problème. Il peut y avoir de motivations délirantes dans certains cas, mais dans l'exemple de la femme de Niort,  on parle de "meurtre suicide altruiste" : la personne n'est plus en état de faire face à ses obligations, elle ne veut pas abandonner ses enfants et préfère les tuer plutôt que de les abandonner puisque tout est fini. L'individu préfère exterminer sa famille plutôt que de la laisser souffrir et la laisser en vie dans des conditions pénibles. Il veut que lui et ses proches disparaissent tous ensemble. Ce côté altruiste fait partie de la dimension mélancolique, il ne s'observe pas toujours, et n'est pas systématique dans ce type d'homicide. Ce sont des drames de la souffrance. Tuer ses enfants, c'est quelque chose de terrible…

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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