70 ans de la destruction de Dresde par les Alliés : serions nous capables du même type de bombardements aveugles (et militairement discutables) aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dresde après les bombardements
Dresde après les bombardements
©Reuters

Année zéro

Il y a soixante-dix ans, plus de 20.000 Allemands périssaient sous les bombes à Dresde, alors que les raids aériens menés par les Alliés anéantissaient l'une des plus belles villes d'Allemagne, surnommée "la Venise de l'Elbe". Un bombardement dont la violence a laissé des traces en Allemagne, et dont l'utilité est toujours discutée par les historiens. Une presque-crime de guerre qui serait difficilement envisageable aujourd'hui.

Atlantico : Entre le 13 et le 15 février 1945, les forces alliées bombardaient la ville de Dresde, la rasant au sol. Il s'agit du bombardement le plus violent de la guerre (Japon mis à part), mais son utilité stratégique est aujourd'hui très discutée parmi les historiens. Y avait-il véritablement une raison de raser la "Venise de l'Elbe" ?

Walter Bruyère-Ostells : On peut, bien entendu, s’interroger sur la pertinence de réduire en cendres une ville de cette importance. En revanche, le bombardement des grandes villes allemandes s’inscrit dans une stratégie définie lors de la conférence de Casablanca en 1943. L’objectif est la destruction des centres industriels et des nœuds de communication allemands. A l’échelle du temps plus court, de la bataille d’Allemagne en 1945, bombarder Dresde est cohérent à un moment où l’armée soviétique progresse et où l’armée allemande se réorganise en position défensive. Comme toutes les grandes villes sur ce front de l’Est, Dresde fait figure de carrefour ferroviaire par lequel doivent transiter les soldats de la Wehrmacht. Bombarder la ville, c’est donc empêcher cette réorganisation allemande, élément décisif pour appuyer l’offensive soviétique.

Le bilan humain et la violence du bombardement étaient tels que même Winston Churchill s'en est désolidarisé. Il semble qu'on ait voulu marquer au fer rouge la conscience des Allemands. Y avait-il une volonté de détruire la "résilience communautaire" du ce peuple ?

Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une volonté de "marquer au fer rouge" les Allemands. En revanche, réduire la résilience de la société qu’on combat est à la base des théories du bombardement aérien depuis la fin de la Première guerre mondiale. Depuis l’ouvrage fondateur du général italien Douhet Il dominio dell'aria publié en 1921, l’idée de briser le moral des populations civiles ennemies est l’un des éléments-clés de la doctrine du bombardement stratégique. La montée en puissance progressive de cette stratégie chez les Alliés aboutit en 1945 aux raids de Dresde : les bombardiers américano-britanniques procèdent par tapis de bombes en volant en formation serrée puis en larguant des bombes en même temps et indistinctement, afin d'aplatir la ville.

Le bombardement a eu lieu quelques jours après la clôture de la conférence de Yalta, dans un contexte de pré-guerre froide. Il a donc pu jouer un rôle dissuasif face à l'URSS de Staline. Anglais et Américains voulaient-ils impressionner les russes ?

Cette théorie a été avancée par certains historiens, notamment le Canadien Jacques R. Pauwels. On ne peut pas complètement écarter l’hypothèse.

Sur le plan technique et stratégique, pensez-vous qu'un tel évènement puisse se reproduire aujourd'hui ? Ou s'agit-il d'une pratique d'un autre temps ?

Techniquement, rien n’empêche de le reproduire mais le bilan de la seconde guerre mondiale notamment amène à conclure à la résilience des sociétés face aux bombardements stratégiques. Son efficacité militaire est donc discutable, surtout si on la met en balance avec le bilan humain exploité par la propagande ennemie. Dès février 1945, le bilan (très exagéré) des pertes est au cœur de la propagande nazie. La même démarche sera ensuite reprise par le régime communiste de RDA. A partir des années 1970, avec l’avènement des armes guidées avec précision et tirées à grande distance, la conception quantitative du bombardement fait place à une conception qualitative. Dorénavant, la possibilité de frapper des cibles avec une quasi-certitude de succès et de faibles risques permet de concevoir des opérations aériennes continues, de la zone de combat aux centres vitaux de l’adversaire. Cette nouvelle doctrine est notamment théorisée par le colonel américain John Warden lors de la guerre du Golfe (1991). On est effectivement dans une nouvelle époque.

L'évènement a durablement marqué l'histoire et l'éthique militaires. Sur le plan moral, une armée pourrait-elle aujourd'hui agir de la même façon ? Une puissance en guerre serait-elle aujourd'hui plus armée philosophiquement pour résoudre ce dilemme ?

L’aspect éthique est évidemment le second aspect qui explique qu’on ne peut pas imaginer revenir à des bombardements de ce type. La période post-guerre froide fait entrer le militaire dans l’instantanéité de l’information : la guerre est vécue quasi en direct avec la présence des médias et l’opinion publique (effet pervers du bombardement ciblé) tend à croire que la guerre avec "zéro mort" est possible. Les "effets collatéraux" des frappes sont mal tolérés et donc les procédures de frappe de plus en plus verrouillées. Les armées occidentales, et même non-occidentales, ne peuvent plus agir ainsi. Elles s’exposeraient d’ailleurs sûrement à des condamnations pour crimes de guerre avec les progrès du droit international humanitaire depuis 1945.

Il est sans doute plus difficile aujourd’hui de prendre une telle décision puisque, les contraintes éthiques, sociales et juridiques sont plus fortes. Cela n’empêche qu’il faut davantage réfléchir en termes d’individus qu’en termes de puissance en guerre. Les pilotes de chasse ne doivent pas avoir d’hésitation (notamment compte tenu de la vitesse) mais aussi à un autre stade de la chaîne de décision, le choix est individuel. Pensons au président de la République française par exemple qui doit faire un choix en conscience pour une entrée en opération. 

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