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Comandantes en survet' : en politique, l'habit continue de faire le moine
©Reuters

Style academy

Hugo Chavez nous a quitté mais son survêtement douteux a survécu avec son successeur. Peut-être n'est-il donc pas si surprenant que la classe politique française fasse preuve d'une telle uniformité vestimentaire.

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Atlantico : Alors que le leader au célèbre survêtement Hugo Chavez vient de mourir, son successeur est apparu avec une tenue presque identique. En France, nos hommes politiques portent également un uniforme qui est commun à tous les partis. De quoi ce dernier est-il le signe ?

Jean-Luc Mano : Il est d’abord le signe d’un grand conformisme de la société française et d’une partie des sociétés occidentales. Pour autant, ce n’est pas le cas partout, dans les sociétés scandinaves ou encore au sein de la Knesset israélienne, nous sommes toujours surpris de voir les tenues décontractées de certains élus, les chemisettes ou les couleurs qu’ils portent. Les politiques s’habillent donc comme les cadres supérieurs et envoient ainsi le message d’être dans une mission de travail et non pas en vacances. Il y a eu des cas dans l’histoire récente de notre pays dans lesquels la tenue vestimentaire a joué un rôle non négligeable. Quand Jean-François Mattei était apparu sur France 3 en polo Lacoste en pleine canicule, cela aggrave le sentiment qu’il n’est pas aux affaires alors que se déroule quelque chose de très grave en France. A l’inverse, on tolère très bien qu’un élu se promène le weekend dans sa circonscription avec une tenue décontractée car cela n’est pas perçu comme une situation complètement professionnelle. La tenue stricte, pour les hommes comme pour les femmes, est en quelque sorte un équivalent ou un remplaçant à la fameuse écharpe tricolore que l’on porte de moins en moins de nos jours.

Celui-ci est-il totalement obligatoire en France ? Les Français voudraient-ils vraiment d’un élu de haut niveau habillé "normalement" ?

Cet "uniforme social" n’est pas complètement obligatoire mais ne pas s’en vêtir signifie que l’on veut dire quelque chose car la tenue vestimentaire produit du sens. Les écologistes n’évitent bien évidement pas la cravate par manque de gout ou par absence de moyens mais parce qu’ils veulent se placer en marge, certains diront en rébellion bien que ce soit excessif. Ils marquent ainsi leur différence.

Au-delà du vêtement lui-même, il y a un code couleur qui tend en général vers le sombre. Tout le monde se souvient de la pluie de quolibets qui a suivi les apparitions de Manuel Valls avec son costume clair. Cela a tout de même fait l’objet d’un bon mois et demi de franche rigolade aux Guignols de l’info autour de ce curieux code chemise foncée/costume clair. Il ne s’agit pas là d’une question de gout mais simplement d’une représentation vestimentaire que l’on attribut en général aux mafiosi. Il faut savoir aussi que les codes couleurs sont culturels. La télévision occidentale est essentiellement basée sur des fonds et des décors qui oscillent entre le bleu, le beige et le gris alors que ce n’est pas le cas en Afrique ou en Asie. Il est donc très difficile de porter des couleurs vives quand vous êtres filmés car il y a des problèmes de rapport aux décors qui imposent une règle générale de sobriété. Dans le cas de la politique, on considère que c’est le contenu du discours qui  doit primer sur la qualité de la tenue et pas l’inverse.

Les Français n’ont rien contre les tenues "casual" à condition que celles-ci correspondent au moment choisi et à l’occasion. Au-delà des moments de vacances, il faut aussi se méfier de la tenue stricte en toute circonstance car il serait encore plus ridicule de se rendre sur une plage pour une marée noire avec des souliers vernis. Ainsi, quand l’occasion le justifie, une tenue adaptée ne choque personne. De la même façon, on accepte très bien qu’un élu aille voir un match de foot ou de rugby avec un col ouvert ou un polo. Mais quand on est dans l’exercice même des fonctions politiques et que rien ne justifie de briser le code, les Français ne laissent rien passer. Il y a une vingtaine d’années, un élu communiste du nom de Pierre Zarka a décidé d’aller à une émission télévisée récurrente sans cravate afin d’envoyer le signal qu’il représentait des gens dont la tenue de travail normale n’est pas le costume-cravate notamment des ouvriers. La réaction de la population a été assez massive et la mairie communiste de Saint-Denis a reçu plus de 150 cravates accompagnées de commentaires expliquant que si le député n’a pas les moyens de s’acheter une cravate, les gens pouvaient l’aider. L’histoire n’est pas neuve mais elle est très représentative du fait que les Français considèrent la tenue vestimentaire comme une marque de respect. C’est la même chose lorsque nous sortons que ce soit pour un enterrement ou pour une fête, nous n’acceptons donc pas que nos représentants s’en passent.

Malgré l’affaire du jeans que portait Cécile Duflot au Conseil des ministres, les femmes sont-elles plus épargnées par cette uniformité vestimentaire ?

Il y a effectivement une plus grande tolérance mais celle-ci n’est que le reflet de la plus grande tolérance pour la tenue vestimentaire des femmes dans la société en général. Sur un plan purement technique, être bien habillé pour un homme est une notion limitée qui ne comprend que le costume ou le complet alors que les femmes peuvent déjà faire le choix du pantalon, de la jupe ou de la robe. Bien que le jeans soit aujourd’hui un objet de mode extrêmement sophistiqué dont se sont emparés les plus grands créateurs de mode, les populations les plus traditionnelles voire traditionalistes de notre pays peuvent s’en émouvoir dans un cadre officiel. Il y a donc plus de liberté pour les femmes mais elles sont également soumises à des codes notamment au niveau des couleurs. Madame Bachelot en sait quelque chose, une trop grande profusion de couleurs ne manque jamais de susciter des commentaires.

Dans une société où l’autorité et les structures sociales classiques tombent en morceau, les codes vestimentaires sont-ils la dernière barrière d’identification sociale ou la base d’un nouvel ordre ?

Dans une société en crise de repères, je crois que la tenue vestimentaire reste plutôt une façon de conserver certaines valeurs. Cela se retrouve notamment dans la lutte assez courageuse que mènent certains chefs d’établissements pour imposer des tenues correctes dans les établissements scolaires. Ce n’est pas un hasard, si en français on "porte une tenue" et on "a de la tenue", les concepts sont liés. Il est bien évident que le classicisme absolu n’a aucun sens mais l’idée que certains lieux où certains moments de la vie correspondent à des tenues aident à donner des repères à des gens qui n’en ont pas forcément. Ce n’est pas uniquement l’apanage de la politique ou de l’école, il y a aussi des restaurants ou d’autres endroits de vie sociale dans lesquels il est agréable que tout le monde soit habillé correctement. Quoi de plus désagréable qu’un restaurant d’été dans lequel vos voisins de table déjeunent torse nu. Une fois encore, une tenue correcte est un signe de respect, de la considération que nous témoignons aux autres. C’est un des éléments essentiel d’une société basée sur le respect de l’autre et de l’équilibre d’un certain nombre de rituels sociaux.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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