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25 ans après Coluche, on ne peut plus rire de tout !
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Deuil

Il y a 25 ans mourait Coluche et la France perdait l'un de ses plus grands humoristes. Si elle célèbre quasi-unanimement l'humour transgressif d'un précurseur qui osait tout, c'est précisément parce qu'en 2011, le terme transgressif a été vidé de son sens. Si Coluche se moquait de tout le monde avec la même verve, il est aujourd'hui impossible de rire de tout.

Martin Leprince

Martin Leprince

Martin Leprince est journaliste et écrivain. Il est l'auteur de Fini de rigoler : peut-on encore se marrer quand on est de gauche ? (Editions Jacob-Duvernet, 2010)

Fini de rigoler : peut-on encore se marrer quand on est de gauche ?

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Atlantico : Quelle évolution l'humour a-t-il connue depuis la mort de Coluche, en 1986 ?

Martin Leprince : Depuis les années 1970 et 1980, les curseurs de l'humour ont beaucoup évolué. A l'époque de Coluche ou de Desproges, il était difficile d'aborder les sujets relatifs aux institutions : police, justice, armée. Les humoristes qui s'y risquaient s'exposaient à la censure ou à l'interdiction de publication, pour le cas d'Hara Kiri par exemple.

Au fil des années, il y a eu une évolution des mœurs dans ce domaine, et les institutions ont baissé leur garde. Mais dans le même temps, il y a eu une baisse de tolérance de la sphère publique sur les sujets liés aux personnes considérées comme "victimes" de la société : les religions autres que le catholicisme, les handicapés, les homosexuels, les femmes, les personnes âgées...

Aujourd'hui, rire de la police ou de la justice est devenu un lieu commun, mais la religion est redevenue sacrée en dehors du catholicisme.

Le renvoi d'humoristes ayant dépassé les limites (Stéphane Guillon, Didier Porte...) relève-t-il de la censure ?

Ce sont des cas très particuliers. Les deux chroniqueurs étant à Radio France, dont le président est nommé par l'exécutif, soupçonner une intervention politique peut être légitime. Mais il n'est pas interdit de se moquer des hommes politiques, et beaucoup d'humoristes continuent à aller assez loin : Gaspard Proust a par exemple récemment dit sur scène : "Sarkozy est un beauf à gourmette marié à une pute à frange", et il ne s'est pas pris de procès. Même si des plaintes sont déposées contre des comiques, la judiciarisation de l'humour est un fantasme : même Dieudonné n'a jamais été condamné pour ses sketches. Aujourd'hui, la justice a plutôt tendance à défendre l'humour.

La tendance, c'est que les humoristes aiment bien s'afficher comme sans limites, politiquement incorrects et transgressifs : Stéphane Guillon et Laurent Gerra font leur carrière là-dessus. Mais ont-ils réellement un humour dérangeant ? Abordent-ils des thématiques « interdites » ? Non. Ils vont un petit peu plus loin que les autres, mais sur des thématiques plutôt consensuelles. Le terme transgressif est aujourd'hui vidé de son sens.

La vraie transgression, ce serait quelqu'un qui ferait un sketch sur l'obscurantisme religieux, le communautarisme, le Moyen-orient, les positions victimaires parfois hors de propos, les postures morales ridicules ou les comportements moutonniers... Ceux qui parlent vraiment des sujets de notre époque sont complètement absents du monde du rire.

Il est vrai qu'au vu de l'hystérie qui entoure ces sujets, avec l'opposition virulente entre les "néoréac'" et ceux qui les qualifient de pétainistes, il est difficile pour un humoriste d'arriver avec un grand sourire et de faire des blagues. Mais le rôle de l'humour transgressif, c'est précisément de décortiquer les poncifs d'une époque et de dénoncer les lieux communs. Si on lui enlève cela, on retombe dans des attaques de bas niveau et des clichés comme "Sarkozy est le président des riches", "Le FN est parti nazi", "Les grands patrons sont des esclavagistes", que tout le monde répète.

Assiste-t-on à une dépolitisation de l'humour ?

Il y a deux tendances. D'un côté, il y a une floraison de comiques du "quotidien", qui abordent des sujets très consensuels sans prendre de risques. De l'autre, un certain nombre d'entre eux continuent d'aborder la vie politique, comme Sophia Aram ou Nicolas Canteloup, mais ils restent plutôt soft.

Même Guillon, que l'on présentait souvent comme la quintessence de la liberté d'expression, se cantonne quand même à des sujets de café du commerce, en s'attaquant à la personnalité des politiques. Il n'y a pas de réflexion dans cet humour : la politique devient un sujet comme un autre.

La grande différence entre Coluche et les humoristes "transgressifs" actuels, c'est que Coluche riait de tout et se moquait des puissants comme des faibles avec une verve identique. Les comiques actuels vont très loin avec les sujets autorisés sans risques, mais acceptent pleinement les règles du jeu et les tabous. Nicolas Canteloup, par exemple, a déclaré dans une interview que la limite, aujourd'hui, c'est la religion : on peut se moquer de la sienne, mais pas de celle des autres. Autre exemple : sur des sujets sérieux comme Fukushima ou les faits divers, qui suscitent des grands mouvements d'empathie, on attend un peu avant d'en rire : même Guillon l'a reconnu.

Aujourd'hui, la nostalgie par rapport à Coluche est ridicule : on a une image liturgique du Saint Coluche, un grand homme à la jeunesse difficile... Cela ressemble au portrait de Staline dans les films de propagande soviétiques ! Il y a une sorte de schizophrénie : on adore Coluche parce qu'il osait tout alors qu'aujourd'hui on n'ose plus !

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