Claude Gamel : "La France est tellement allergique au libéralisme qu’elle en a oublié qu’elle en était l’une des terres d’origine"<!-- --> | Atlantico.fr
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Esquisse d'un libéralisme soutenable de Claude Gamel
Esquisse d'un libéralisme soutenable de Claude Gamel
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Entretien

Claude Gamel publie "Esquisse d'un libéralisme soutenable : Travail, capacités, revenu de base" dans la collection du think-tank GenerationLibre aux PUF. Philosophie mal connue en France, le libéralisme prend tout son sens en intégrant ses dimensions politique et économique pour traiter de la question de la justice sociale. Claude Gamel se confie sur le libéralisme dans le cadre de cet entretien.

Claude Gamel

Claude Gamel

Claude Gamel est professeur de sciences économiques à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Vous publiez « Esquisse d'un libéralisme soutenable. Travail, capacités, revenu de base » dans la collection du think-tank GenerationLibre aux éditions PUF. Vous plaidez pour un libéralisme soutenable. Pourriez-vous détailler ce concept et cette vision du libéralisme ?

Claude Gamel : Il s’agit d’une philosophie qui jongle avec les idées et ne doit pas être confondue avec les pratiques capitalistes les plus diverses que l’on observe aujourd’hui dans le monde. Le libéralisme soutenable a un principe directeur unique : la dispersion maximale du pouvoir, du pouvoir politique comme du pouvoir économique, avec comme ambition de rendre ce libéralisme socialement soutenable. Pour cela, il faut affronter la question de la justice en société, comme l’ont fait, chacun à sa manière, l’économiste F. Hayek et le philosophe J. Rawls à la fin du 20ième siècle.

Point commun avec ces deux auteurs majeurs, il s’agit de proposer une vision intégrée du libéralisme qui n’oppose pas, comme on le fait souvent en France, le libéralisme politique, tacitement accepté, parce qu’il protège l’individu de l’arbitraire de l’État et le libéralisme économique, le plus souvent rejeté, voire caricaturé sous l’expression confuse de « néo-libéralisme », parce qu’il opposerait le même individu aux foucades du marché.

De Hayek est à retenir, en toile de fond, l’idée de l’« ordre social spontané », à savoir que nous sommes tous les acteurs du système social, mais personne n’en est le pilote. D’où la dispersion du pouvoir à préserver pour, à la fois, protéger la liberté des individus et mobiliser par le marché les connaissances disséminées dans toute la société.

Chez Rawls, la  « démocratie de propriétaires » vise, elle aussi, la dispersion maximale du pouvoir, à travers notamment la dispersion de la propriété et des richesses. Mais le libéralisme soutenable tente d’aller plus loin que le triptyque de Rawls (« égales libertés », « juste égalité des chances », « principe de différence »), en passant de la philosophie à l’économie. Si la hiérarchie de ces principes est conservée, leur contenu est profondément remanié par greffe d’apports non rawlsiens : en particulier, les « capacités » au sens de l’économiste A. Sen et le « revenu de base » tel que défendu par le philosophe P. Van Parijs.

En somme, le libéralisme soutenable est une tentative de combiner des pièces de puzzles différents en ajoutant des pièces inédites. Si ces pièces finissent pas s’estomper et se fondre dans une « esquisse » d’ensemble cohérente, le pari sera réussi. Au lecteur de juger si c’est le cas.

La France est-elle une vraie terre libérale ? Quels sont les freins pour qu’un vent de libéralisme souffle pleinement sur le pays ?

La France n’est plus une vraie terre libérale mais elle l’a été, et il s’agit qu’elle le redevienne.

C’est en France que le libéralisme trouve une partie de ses racines, aussi bien dans son volet politique qu’économique (Montesquieu, Say, Tocqueville, Rueff, Aron,..). Bien entendu, hier comme aujourd’hui, le libéralisme n’est pas monolithique, et il est dommage que les débats contemporains, très animés, se déroulent ailleurs que dans notre pays, en particulier sur la distinction entre libéralisme et libertarisme, dont la valeur première est moins la liberté que la propriété.

Pour que le libéralisme retrouve toute sa place, il faut évidemment lutter contre approximations et préjugés dont il est l’objet. Il faudrait commencer par l’étudier, jusques et y compris dans le milieu politique. Peut-être conviendrait-il de développer en France les programmes de master Philosophy, Politics and Economics, par lesquels, dans nombre de pays européens, des hommes politiques, souvent de premier plan, acquièrent une culture de base très féconde.

Il faudrait aussi qu’à l’université, les philosophes s’intéressent vraiment à l’économie moderne, ce qui n’est pas fréquent, et que les économistes fassent un peu (ou beaucoup) de philosophie, alors que, le plus souvent, ils se contentent d’exploiter les outils mathématique et économétrique, ce qui est nécessaire mais pas suffisant.

Vous évoquez des pistes prometteuses comme les possibilités offertes par un revenu de base universel, la refonte de la « juste égalité des chances », la priorité au travail choisi, les futurs défis technologiques, la transition écologique La France a-t-elle les moyens de ses ambitions et la possibilité de mettre en œuvre ces idées ?  

Il s’agit moins d’une question de moyens que de réflexion stratégique pour le 21ième siècle, à mettre en débat sur la place publique. Pour le dire brièvement, depuis 60 ans s’est développé peu à peu un Etat Providence (Welfare State) orienté vers la satisfaction de besoins ciblés (famille, maladie, vieillesse,..) par des transferts sociaux sous condition de ressources, qui ne sont pas réellement financés (endettement public croissant depuis 40 ans).

Une alternative est possible, fondée sur un Etat promouvant la liberté (Freedom State) finançant à la place un revenu de base inconditionnel le plus élevé possible, et faisant pour le reste confiance à l’individu pour mener sa vie comme il l’entend. Des politiques publiques complémentaires doivent permettre à chacun de travailler s’il le souhaite (« priorité au travail choisi ») et de bifurquer, à tous les âges de la vie, par des « capacités enrichies ».

Face à l’ampleur des défis contemporains (concentration du capital, défis du numérique, transition écologique, désordre des relations entre États), notre « démocratie de propriétaires » n’a pas réponse à tout et doit être renforcée par d’autres dispositifs avec lesquels elle est compatible : propriété des données personnelles, régulation de la concurrence adaptée aux géants du numérique, marché mondial des droits à polluer, accélération de l’intégration des États européens dans un ensemble fédéral.

Alors que beaucoup de questions se posent sur la stratégie du quoi qu’il en coûte et sur le monde d’après une fois que la page de la pandémie sera tournée, quels sont les principaux atouts d’un libéralisme soutenable pour la société française ? 

Le choix du « quoi qu’il en coûte » était sans doute adapté à la gravité de la crise sanitaire que nous traversons, mais a fait passer en quelques mois l’endettement public de 100 % à 120 % du Pib. Le caractère déjà financièrement non soutenable du modèle social français a pris une nouvelle ampleur, que la stratégie accommodante de la BCE rend momentanément supportable par des taux d’intérêt anormalement bas.

Espérons néanmoins que « la politique de l’autruche » ne l’emportera pas une nouvelle fois et que la nécessité d’une refondation de notre système social finira par percer dans le débat public. Si le « libéralisme soutenable » peut y contribuer, tant mieux.

Deux extraits de l'ouvrage à retrouver sur Atlantico : 

- Le libéralisme, objet en France d’un débat très décalé

- Les bienfaits, les atouts et les pistes de réformes d’une approche libérale du monde contemporain pour l’Europe et la reconstruction de l’Etat providence

Claude Gamel publie "Esquisse d'un libéralisme soutenable : Travail, capacités, revenu de base", dans la collection du think-tank GenerationLibre aux PUF.

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