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Clash sur l’assurance chômage : faut-il encore espérer sauver le paritarisme à la française… ou étatiser la protection sociale ?
©ALAIN JOCARD / AFP

L’entre-deux qui tue

Emmanuel Macron a tancé le manque de "responsabilité" des corps intermédiaires après l'échec des négociations entre les partenaires sociaux sur la réforme de l'assurance chômage.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Suite à la rupture des négociations entre les partenaires sociaux, Emmanuel Macron a critiqué leur "manque de responsabilité".  Face aux difficultés rencontrées par le paritarisme en l'espèce, et au regard d'une certaine culture de l'affrontement, ne pourrait-on pas en conclure que l'étatisation serait préférable au paritarisme ? Que peut nous apprendre le cas des retraites sur cette question ?

Jacques Bichot : Le paritarisme permet à la négociation entre syndicats et organisations patronales de créer et de faire fonctionner des structures utiles. Mais il n’a pas forcément que de bons effets : comme chacun peut le constater avec l’échec des négociations concernant l’assurance-chômage, des négociations interminables se terminent parfois sur une absence d’accord, après une gestion calamiteuse ayant provoqué une accumulation de dettes insoutenable si les pouvoirs publics ne se chargent pas de garantir ces dettes.

Le premier grand succès de l’idée paritaire a été l’accord de cogestion de la fonction publique du 19 octobre 1946. Cet accord permet aux syndicats (qui ont, dans ce cas, comme partenaires non le patronat, mais les membres du gouvernement et la haute administration) de mettre leur grain de sel dans le recrutement, la titularisation et l’avancement des fonctionnaires. Au vu de la sous-productivité chronique de l’administration, il est difficile de dire que la France a été gagnante du fait de cette décision.

Par ailleurs, en matière de sécurité sociale, le paritarisme introduit par l’ordonnance Jeanneney du 21 août 1967 a consolidé une manière de faire qui rend totalement incompréhensible la rémunération des salariés. Pour faire participer les employeurs aux instances telles que les conseils d’administration et de surveillance des caisses de sécurité sociale, on a maintenu le mythe des cotisations patronales, qui empêche de comprendre que le salarié paye non seulement la cotisation dite salariale, mais aussi la cotisation dite patronale. En fait, l’employeur débourse le salaire super-brut, somme du salaire net et des cotisations sociales, qui constitue la rémunération du salarié, et celui-ci paie (par retenue à la source) la totalité des cotisations sociales, à deux exceptions près : - La cotisation accidents et maladie du travail, qui permet à l’employeur de faire prendre en charge par les assurances sociales les sinistres dont sont victimes ses salariés parce qu’on leur fait manipuler des produits toxiques ou utiliser du matériel qui peut couper, écraser, etc.

- Et la cotisation chômage, qui est à l’origine dela déception du président de la République face à l’échec des négociations sur l’assurance chômage. En effetle licenciement d’un salarié en CDI ou le non renouvellement d’un CDD peut provenir soit de l’insuffisance professionnelle du salarié (il convient que celui-ci se couvre contre le risque de ne pas « faire l’affaire » au poste qu’il a accepté d’occuper), soit du manque de dynamisme de l’entreprise, qui n’a pas trouvé assez de clients pour donner du travail à tout son personnel (et, dans ce cas, c’est à elle de dédommager son employé licencié, ce qui donne un sens à la notion de cotisation patronale, finançant la couverture du risque de n’être pas capable de donner du travail à la personne embauchée).

Voilà donc deux domaines de risque pour lesquels le paritarisme correspond à une responsabilité patronale. En revanche, les employeurs n’ont rien à voir avec les autres « risques », vocabulaire impropre en ce qui concerne la vieillesse, mais traditionnel.Rien ne justifie que l’assurance maladie, l’assurance vieillesse et les prestations familiales soient financées pour une bonne partie par des cotisations dites patronales. Cela fausse complètement l’appréciation que nous faisons de la rémunération du travail en la limitant au salaire brut et en prenant celui-ci comme objet du contrat de travail. La rémunération réelle du salarié, c’est à peu de choses près le salaire super-brut, incluant les cotisations patronales ; il faut seulement en exclure les cotisations qui financent l’assurance accidents et maladies du travail.

Telle est la situation ubuesque dans laquelle nous nous trouvons, et qui est encore compliquée par l’affectation à la sécurité sociale de ressources fiscales (la CSG principalement) et de subventions budgétaires (particulièrement à différents régimes de retraite lourdement déficitaires, y compris celui des fonctionnaires de l’Etat).

Le paritarisme n’est donc pas une solution qui coule de source, mais si l’on se dirige vers une forme d’étatisation, encore faut-il bien la choisir ! Il ne faut surtout pas persévérer dans la ligne instaurée par la création d’une loi de financement de la sécurité sociale votée chaque année par le Parlement selon une procédure copiée sur celle qui s’applique aux lois de finances. La gestion doit être confiés à des gestionnaires, responsables de leurs décisions, et licenciables si d’aventure ils géraient mal. Ni les partenaires sociaux ni l’Etat ne peuvent être mis à la porte pour mauvaise gestion, c’est ça le drame ! Pour qu’une entreprise ou une administration soit bien gouvernée, il est indispensable que son responsable puisse être changé s’il ne remplit pas correctement sa mission.

Que les partenaires sociaux et l’Etat soient représentés dans un conseil d’administration ayant le pouvoir de révoquer le directeur général de l’assurance maladie ou du régime unique de retraites par répartition qui se mettra en place si Delevoye remplit sa mission, rien de plus normal. Mais que l’Etat assume les fonctions de direction générale de la sécurité sociale, comme il le fait largement depuis des décennies avec des résultats calamiteux, n’est certainement pas la bonne solution ! Ce raisonnement vaut également pour l’assurance chômage et Pôle emploi : les partenaires sociaux devraient même y tenir une place plus importante qu’à la sécurité sociale stricto sensu – sans pour autant faire de l’ombre à une direction générale pleinement responsable, et donc révocable.

Les retraites complémentaires par répartition, ARRCO-AGIRC mais aussi caisses de professions libérales et autres travailleurs indépendants, n’ont pas été gérées plus mal que la CNAVTS. Ce simple fait doit nous immuniser contre la tentation d’une étatisation de la sécurité sociale. Pour que ses différentes branches soient bien gérées, il faut qu’elles aient à leur tête une direction strictement professionnelle disposant de pouvoirs très conséquents, mais il est bon que des hommes et des femmes expérimentées siègent dans les conseils d’administration ; il serait dommage que les partenaires sociaux, représentants des salariés, des employeurs et des travailleurs indépendants, n’en soient pas une composante importante.

Quels seraientles avantages et lesinconvénients d’une étatisation ? Que perdrait-on en abandonnant le paritarisme ? 

L’étatisation de la sécurité sociale, ou de certaines de ses branches, existe dans certains pays. Les Etats-Unis, qui ne sont pas réputés pour être adversaires des solutions privées, ont néanmoins un système de retraites par répartition, dite Social Security, qui dépend de l’Etat fédéral. Sa gestion, assez correcte, est celle d’un grand service public ; les grandes décisions, comme le programme d’augmentation régulière de l’âge pivot (dans ce système plus ancien – 1935 – que le nôtre, mais moins archaïque, la notion obsolète d’âge légal de départ à la retraite n’existe pas) font l’objet de lois. Mais ils ne légifèrent pas à tour de bras, comme on aime à le faire en France : le programme en question a été voté sous Reagan, et il lui reste encore quelques années avant d’être achevé.

Le risque d’une étatisation, en France, serait de déboucher sur une politisation encore plus accentuée qu’aujourd’hui, alors qu’elle a déjà atteint un niveau dramatique. Il nous faut une sécurité sociale nationale raisonnablement à l’abri des foucades politiques comme des gamineries auxquelles se livrent assez souvent les partenaires sociaux. Une dose raisonnable de paritarisme peut diminuer le risque de voir le système de protection sociale confié à une poignée de petits marquis ignares et prétentieux : il faut savoir combattre le mal par le mal ! Il serait bon de réfléchir à une gestion effectuée par des techniciens choisis non par le Parlement ou le gouvernement, mais par les partenaires sociaux

En quoi la présence en dernier recours de l'Etat a-t-elle pu "gêner" les négociations concernant l'assurance chômage ? 

Quand les partenaires sociaux savent qu’il existe un filet de sécurité, que s’ils ne s’accordent pas ce sont les pouvoirs publics qui prendront soin du bébé ASSEDIC, ils peuvent donner libre cours aux démons dont nous avons hérités des anciens Grecs : se diviser, se disputer et se combattre au lieu de coopérer. Leur comportement est bien différent quand ils sont véritablement aux commandes.La comparaison avec l’unification de l’AGIRC-ARRCOest superbe : irresponsabilité pour l’assurance chômage, parce que Papa Macron et Maman Philippe sont là pour recoller le vase cassé par les enfants bagarreurs ; ténacité et sens élevé des responsabilités dans le cas ARRCO-AGIRC.

Les anciens Grecs, peuple divisé en cités concurrentes et souvent ennemies, se sont unis face au péril perse avec des résultats surprenants.Les partenaires sociaux ont fait en matière de retraites un travail, certes critiquable par certains côtés, mais admirable à bien des égards ; en particulier ils ont, avec patience, avec continuité pendant plusieurs décennies, réalisé l’unification des multiples régimes ARRCO qui existaient à l’origine ; puis ils viennent de réussir l’intégration de l’ARRCO et de l’AGIRC : comment ne pas applaudir !Pourtant les mêmes organisations, les mêmes hommes, capables de prendre des décisions courageuses quand ils sont seuls aux manettes, deviennent des enfants gâtés quand l’Etat est là, prêt à prendre le relais ; il faut prendre les hommes tels qu’ils sont !

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