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4D et triples buses ? Le cinéma en 4D n’a aucun intérêt en dehors
des parcs d'attraction
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7e art, acte 3

200 cinémas 4D devraient être construits en cinq ans aux Etats-Unis. Dans ces salles, les fauteuils bougent en rapport avec l'action. Mais l'essence du cinéma réside-t-elle dans ces dispositifs ?

Rodolphe Chabrier

Rodolphe Chabrier

Rodolphe Chabrier est superviseur des effets visuels et co-fondateur de Mac Guff.

Mac Guff est l'un des principaux studios de création d'effets visuels numériques en Europe. On lui doit notamment les effets visuels de "Moi, moche et méchant" et dernièrement de "Titeuf, le film" sorti le 6 avril. 

 

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Atlantico : Le cinéma 4D serait en voie d'expansion aux Etats-Unis, avec près de 200 salles qui pourraient être construites dans les 5 ans. En rajoutant une dimension sensorielle au cinéma, la 4D est-elle l’avenir du 7e art ?

Rodolphe Chabrier : Le cinéma 4D n’est pas un concept révolutionnaire qui débarque. C’est très vieux : c’est le cinéma de parc d’attraction. Le concept, c’est de faire de l’immersion. On regarde un film en relief, sur un fauteuil qui vibre, avec à la limite un dispositif qui nous envoie de la pluie ou des odeurs à la figure. C’est soi-disant pour gérer l’immersion, comme pour la 3D. Sauf que dans les faits, ça ne se passe pas comme cela. Il y a une grande différence entre le cinéma en relief et le cinéma de parc d’attraction. D’autant que ce système est mi-figue, mi-raisin : ce n’est pas des sièges qui basculent, comme un simulateur de vol. Ces fauteuils ne permettent que des petits mouvements, des petites vibrations.

En quoi le cinéma en 4D est-il différent de celui en 3D, au niveau de l’immersion ?

Quand on parle de 3D classique, la plupart des gens imaginent un relief de « parc d’attraction », avec du jaillissement, des objets qui vous arrivent à la figure. Sauf qu’il y a très peu de cas de figure où ça marche vraiment bien. A l’inverse, l’intérêt du relief dans le cinéma traditionnel, c’est d’avoir de la profondeur. Dans Avatar, la forêt en relief paraît plus réelle.

Il s’agit de deux visions extrêmement différentes. Dans l’une, on fait de l’immersion, dans l’autre de la sensation. Dans le premier cas de figure, qui est celui du cinéma traditionnel où il n’y a pas de jaillissement, le fait que l’écran ne soit plus plat mais en profondeur le fait disparaitre. Que cette forêt magnifique soit en profondeur implique que le spectateur ne voit plus l’écran : il est dans le film, pas dans une salle. Mais lorsqu’on fait du jaillissement, les objets sortent de l’écran. Ce que les spectateurs se disent, c’est : « c’est incroyable, les objets sortent de l’écran ». Cela veut dire que les gens qu'ils le voient, qu'ils se positionnent par rapport à l'écran. Au lieu de le faire disparaître, on le concrétise. Le spectateur n’est pas immergé dans l’histoire, c’est cette dernière qui lui donne des sensations. Le cinéma 4D, c’est pareil. Quand on regardera un film et que le fauteuil vibrera parce que le héros est dans une voiture, personne ne se dira « ouah, c’est fou, je suis dans le film », car personne ne peut croire que ça marchera. Les gens diront : « c’est rigolo, le film me vient dans la figure ». Il aura l’impression d’être sur une espèce de nacelle, ça ne va pas l’immerger dans le film. C’est un vrai problème.

Pourquoi est-ce problématique ?

Parce que c’est entre le cinéma et les parcs d’attractions. Et je pense que les gens qui vont au cinéma – les Français du moins, c’est peut-être différent pour les Américains – n’ont pas cette culture du parc d’attraction. Ce qu’ils veulent, c’est être dans une histoire, de rire, d’être porté par des comédiens, pas d’être chatouillés par des dispositifs stupides.

C’est donc une différence de philosophie dans la manière d’appréhender le cinéma ?

Tout à fait. C’est vraiment important. Et les films ne toucheront pas du tout le même public. Il y aura des films spécifiquement en 4D. Ca sera un peu un mini parc d’attraction dans chaque ville. Sauf que personne ne va au parc d’attraction toutes les semaines, alors que certains vont au cinéma régulièrement.

En plus, les gens feront vite le tour des sensations proposées, qui seront toujours les mêmes. Le nombre de sensations qui permet ce système est limité ; les spectateurs le feront une fois, deux fois, et seront vite lassés. Les gens vont réfléchir à deux fois avant d'aller voir un film en 4D, surtout quand on voit le manque d’adhésion du public au cinéma 3D.

Comment cela s’explique-t-il ?

Beaucoup de films ne sont pas fait pour la 3D. Et les lunettes sont lourdes… Et c’est plus cher ! Là, ça sera pareil. L’installation d’un de ces fauteuils (8000 euros par fauteuil, ndlr) coûtera beaucoup plus cher que celle d’un simple fauteuil à 500 euros.  Les gens râlent parce qu’ils payent leur place de cinéma 2 euros plus cher à cause de la 3D, alors imaginez avec ce genre de trucs...

N’est-on pas dans une sorte de paradoxe, où le prix du billet risque d’exploser, alors que le public visé est un public jeune ?

Je ne crois pas. Au lieu de payer 2 ou 3 euros de plus pour des lunettes 3D, les gens paieront certes 5 ou 6 euros de plus, mais le problème n’est pas le coût, c’est tout simplement qu’ils en auront rapidement fait le tour. Le relief, quand il est bien fait, rend l’image plus belle et fait oublier la salle de cinéma. On s’évade plus. Mais en plus, on s’attache à l’histoire, aux comédiens, etc. Là, le renouvellement n’est pas énorme : ça bouge plus ou moins, à gauche, à droite, et c'est tout.

L’arrivée de tels dispositifs marquerait-il un changement dans la façon de tourner ?

Bien sûr, les réalisateurs ne feront pas des films tout plats où il ne se passe rien. Ils ne feront pas un film pour l’histoire –même s’ils peuvent faire les deux – mais pour placer le plus souvent possible des effets. Un effet de pluie, une cascade en voiture, un passage dans une fromagerie pour avoir des odeurs particulières, etc. C’est la peu la même dichotomie qu’entre les frères Lumière, pour qui le cinéma était une simple technique pour enregistrer, et un Méliès qui cherchait plus à créer des sensations.

Aujourd’hui, il y a des blockbusters avec énormément d’action, qui peuvent être marrants en 4D, mais ça ne cassera pas trois pattes à un canard. Et ça ne marchera pas non plus tant que ça, car pour qu’un film marche, il faut qu’il ait un bon rapport immersion/sensation.

Savez-vous si des projets d’installation de salles 4D sont prévus en France ? Aux Etats-Unis, 200 sont prévues dans les cinq ans.

Je n’étais pas au courant de ce nombre de projets, c’est peut-être tout simplement un coup marketing de la part des fabricants de ces fauteuils. On a bien vu avec les salles Imax : il y a eu des annonces, mais très peu de salles réellement fabriquées.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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