Chute massive de la fécondité dans les pays riches : quand des calculs douteux donnent des prédictions impossibles<!-- --> | Atlantico.fr
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bébés Chine naissances
bébés Chine naissances
©Greg Baker / AFP

Sombre avenir ?

La population mondiale va décliner dès la deuxième moitié du siècle pour atteindre 8,8 milliards en 2100, soit 2 milliards de moins que les projections de l'Onu, selon une étude publiée dans The Lancet, qui prédit des bouleversements importants dans l'équilibre mondial et au sein des sociétés.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Les projections faites par The Lancet sur l'évolution de la démographie des pays riches sont-elles fiables et crédibles ?

Laurent Chalard : Par définition, toute projection démographique à une échelle lointaine, c’est-à-dire reposant sur des générations qui ne sont pas nées ne peuvent être considérées comme fiables, ce qui est le cas de ces projections à l’horizon 2100, la majorité des habitants de cette époque n’étant pas encore née et peu de gens vivant aujourd’hui le seront encore à cet horizon (l’espérance de vie moyenne d’un terrien est estimée à 72 ans en 2016 par l’OMS), sauf révolution médicale permettant un progrès considérable de l’espérance de vie. Cependant, au-delà de l’horizon temporel lointain, il faut garder en tête que parler de fiabilité n’a pas de sens pour des projections qui ne sont pas des prévisions. Les démographes ne sont pas Madame Irma ! Rappelons que l’objectif des projections est d’établir différents scénarios d’évolution future à partir des données statistiques actuelles dans l’optique d’éclairer les décideurs sur ce que pourrait être le monde de demain en fonction de plusieurs hypothèses. Concernant la crédibilité, c’est-à-dire la possibilité que ces projections se rapprochent de la réalité de la démographie des pays riches en 2100, en l’état des dynamiques démographiques actuelles, une fécondité constamment inférieure au seuil de remplacement des générations depuis plusieurs décennies, ces projections, qui annoncent un effondrement démographique des pays riches (par exemple, le Japon ou l’Espagne perdraient plus de la moitié de sa population), peuvent effectivement être considérées comme relativement crédibles en l’absence de retournement de tendance majeure ou d’immigration de masse.

Comment ces projections ont-elles été réalisées ? Ont-elles été influencées par des biais cognitifs ?

Ces projections reposent sur plusieurs hypothèses concernant les principaux facteurs d’évolution démographique, c’est-à-dire la natalité, à travers l’indice de fécondité, élément primordial de toute projection, une variation minime pouvant entraîner des différences de population considérables à long terme, la mortalité, à travers l’espérance de vie, et les migrations, à travers le solde migratoire. La principale différence de cette projection démographique par rapport à la précédente projection réalisée par l’ONU, qui annonce une population bien plus importante en 2100, concerne les hypothèses de fécondité. En effet, l’ONU adopte une position prudente sur le sujet, faisant le pari que la baisse de la fécondité dans les pays les plus pauvres se fera de manière lente au cours du XXI° siècle alors que dans les pays riches à fécondité sensiblement inférieure au seuil de remplacement, elle remontera vers ce seuil à l’horizon 2100. En gros, l’ONU fait l’hypothèse d’une convergence à long terme vers le seuil de remplacement des générations des taux de fécondité à l’échelle planétaire. La projection de The Lancet repose sur un scénario différent, de baisse plus accentuée de la fécondité dans les pays les plus pauvres au cours du siècle, en particulier en Inde, et d’absence de remontée de la fécondité dans les pays où elle est sensiblement inférieure au seuil de remplacement des générations, ce qui pour certains Etats, comme la Chine, conduit à des projections démographiques très en-dessous de celles affichées par l’ONU. 

Concernant les biais cognitifs, le principal tient aux financeurs de l’étude, la fondation Bill et Melinda Gates, connue pour ses positions malthusiennes. Le couple de milliardaire américain considère (probablement à raison, mais cela se discute) que le trop-plein d’homme est un danger pour la stabilité planétaire et qu’il faut donc atteindre l’objectif d’une réduction de la population mondiale à moyen-terme, ce qui passe essentiellement par une accélération de la baisse de la fécondité planétaire, devant descendre largement sous le seuil de remplacement des générations pendant plusieurs décennies pour atteindre cet objectif. Il s’ensuit que le choix de retenir des hypothèses basses de fécondité n’est probablement pas anodin, tout en gardant en tête que les projections de l’ONU paraissent inversement natalistes, tablant sur l’instauration à terme d’un équilibre naturel de la fécondité, peu probable. Ces projections souffrent donc d’un biais cognitif certain, mais apparaissent comme bienvenue, montrant qu’un autre futur démographique est possible si une politique malthusienne était adoptée à l’échelle planétaire.  

Comment expliquer que la France soit un des seuls pays riches à ne pas être concerné par l'effondrement de sa population ?

Tout simplement par le fait que ces projections démographiques reposent sur le maintien des tendances de fécondité constatées dans la dernière décennie. Or, la France se caractérisant par l’une des fécondités les plus élevées des pays développés, si ce n’est la plus élevée depuis la chute constatée aux Etats-Unis suite à la crise économique de 2008, notre pays verrait donc sa population peu évoluer d’ici 2100, l’insuffisante fécondité (environ 1,9 enfant par femme) étant compensée par l’immigration. En effet, selon le scénario central retenu par cette étude, la France compterait environ 1,5 million d’habitants de plus en 2100 par rapport à 2017, date de référence de la projection. Cependant, d’autres pays riches connaîtraient une croissance démographique plus soutenue du fait d’une immigration plus intense, comme la Belgique (+ 2,1 millions d’habitants), le Royaume-Uni (+ 4,8 millions d’habitants) ou les Etats-Unis (+ 11 millions d’habitants). 

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