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Chômeurs découragés ou vrais fraudeurs : ce qu’il y aurait à apprendre de l’exemple américain.
Chômeurs découragés ou vrais fraudeurs : ce qu’il y aurait à apprendre de l’exemple américain.
©Reuters

Il faut rester motivé

Pôle emploi doit dévoiler mercredi 15 octobre le bilan d'un contrôle renforcé des demandeurs d'emploi dans quatre régions françaises. D'après les équipes en charge, 20% des 2 600 chômeurs contrôlés à Toulon et à Manosque ne cherchaient pas d'emploi... Outre Atlantique, les autorités se sont emparées de la question.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le 9 octobre dernier, Les Echos dévoilaient en avant-première les résultats de l’enquête renforcée menée par Pôle Emploi sur la situation des chômeurs. Sur l’échantillon concerné, soit 2 communes et 2600 chômeurs, il est établi que 20% des personnes contrôlées ne cherchent pas de travail : "constat d’absence d’actes positifs et répétés de recherche d’emploi déclenchant un avertissement". Deux approches peuvent naître d’un tel constat. D’une part, la nécessité de sanctionner les personnes en situation de fraude, et d’autre part, l’analyse de ces résultats à travers la notion de "découragement au travail".

Fraude et découragement face au marché de l’emploi

Dans un premier temps, il reste utile de rappeler que sur l’ensemble des chômeurs de catégorie A,B,C,D et E, 46.9% sont indemnisés. 38.4% au titre de l’assurance chômage et 8.5% au titre du régime de solidarité nationale. Les chiffres officiels qui seront dévoilés ce mercredi 15 octobre permettront alors d’obtenir une approche plus précise de la fraude, en rapportant le nombre de personnes manquant à leurs obligations de recherche d’emploi tout en étant indemnisées.

Source DARES

Dans un second temps, et dans une approche plus macroéconomique, il est nécessaire de définir la part des personnes "découragées" susceptibles de sortir des statistiques officielles de la population active. Car la radiation d’une personne du Pôle Emploi aura pour conséquence de faire baisser le taux de chômage, mais la personne "découragée" disparaît alors de tous les écrans radars. Et ce, sans action de fraude. L’accentuation des contrôles effectués par Pôle Emploi va également en ce sens, car la forte progression des personnes découragées engendre une réelle distorsion des chiffres publiés par Pôle Emploi.

Un sujet qui est un enjeu majeur actuellement aux Etats-Unis. Dans une perspective de recherche de l’emploi maximum, les autorités américaines cherchent à déterminer la population en âge de travailler ayant le souhait de retrouver un emploi. Car si les personnes "découragées" sont sorties des statistiques officielles, il devient nécessaire de connaître leur nombre et d’ajuster les politiques menées afin de "sortir" ces personnes de cette zone grise.

La Situation américaine

Le 3 juin dernier, le BLS (Bureau of Labor Statistics) annonçait la baisse du taux de chômage américain à 5.9% de la population active. Malgré ces chiffres apparemment flatteurs, l’ambiance n’était pas à l’autosatisfaction du côté des autorités américaines.

En effet, d’autres facteurs sont à l’œuvre dans la baisse du taux de chômage américain. Et le plus important d’entre eux est le taux de participation de la population active, c’est-à-dire le ratio de personnes ayant un emploi ou étant à la recherche d’un emploi, rapporté au total de la population en âge de travailler, c’est-à-dire des plus de 16 ans.

Et de ce côté-là, les chiffres sont mauvais. A 62.7% de taux de participation, le ratio atteint son plus bas niveau depuis 1978.

Si ce taux avait connu une forte progression entre l’après-guerre et la fin des années 90, en raison d’une participation de plus en plus marquée des femmes dans le marché de l’emploi, la dynamique s’est inversée depuis lors.

Après une première séquence de baisse au début des années 2000, la survenance de la grande récession a provoqué une chute brutale de cette participation, celle-ci passant de 66% à 62.7% entre septembre 2008 et septembre 2014. Et une telle baisse de 3% ne relève pas uniquement de l’anecdote à l’échelle américaine, puisqu’il s’agit de 8 millions de personnes qui se sont éloignées des chiffres de la population active. Ce qui signifie, finalement, que si le taux de participation au travail avait été constant aux Etats-Unis entre 2008 et aujourd’hui, le taux de chômage américain serait actuellement de 10.8%, et non de 5.9%. 

Le vieillissement de la population

Le premier phénomène venant expliquer cette situation est le vieillissement de la population. Le ratio des plus de 65 ans a en effet progressé de 12.7% à 14% de la population totale, qui s’est elle-même accrue de près de 14 millions de personnes. Ainsi, les Etats-Unis comptent près de 6 millions de retraités supplémentaires depuis 2008.

Après ce premier ajustement, le taux de chômage "à participation constante" revient au chiffre de 6.9% de la population active. Restent à chercher ces 2 millions de personnes sorties des écrans radars statistiques. Et c’est ici que le parallèle avec la situation révélée par Pôle Emploi prend son sens, puisqu’il s’agit ici des personnes "découragées" dans leurs recherches d’un nouvel emploi.

Le traitement du découragement des chômeurs aux Etats Unis

Et c’est sur cette question que repose tout l’enjeu de la poursuite de l’action de la Réserve Fédérale américaine. En effet, à l’occasion du symposium de Jackson Hole du mois d’août dernier, la présidente de la FED, Janet Yellen, déclarait :

"Pour les autorités, la question clé est : quelle portion du déclin de la participation au travail reflète de la faiblesse cyclique du marché de l’emploi ? Si la composante cyclique est anormalement élevée, relativement au  taux de chômage, alors elle pourrait être vue comme étant une contribution supplémentaire à la 'relâche' (slack) du marché de l’emploi."

En d’autres termes, la baisse du taux de chômage ne suffit pas à convaincre Janet Yellen. Son objectif est le plein emploi "réel" et elle ne se contentera pas des arrangements chiffrés permis par la faiblesse de la participation au travail, c’est-à-dire de la sortie des découragés de la population active. Le taux de chômage classique ne suffit plus, il faut aller débusquer les faiblesses du marché de l’emploi dans les interstices statistiques.

Car les 2 millions de personnes concernées ici sont celles qui se sont découragées face au chômage et à la récession.  Pour la Présidente de la FED, une telle situation justifie de soutenir encore l’économie américaine afin d’inciter ces personnes à réintégrer  le marché de l’emploi.

Cette question est primordiale pour la Réserve Fédérale. Car aussi longtemps que le plein emploi réel ne sera pas atteint, le risque inflationniste sera contenu. Inversement, si le plein emploi est atteint et que la FED continue de soutenir l’économie sur le même rythme, un dérapage de l’inflation pourrait voir le jour. Ce dont elle ne veut pas. Ainsi, le travail de précision de la FED consiste à atteindre le point de tension existant entre une situation "d’emploi maximum" et la "stabilité des prix", comme le lui impose son mandat dual.

Mais la baisse significative du taux de chômage aux Etats-Unis depuis 2010 (une baisse d’un taux de 9.9% en décembre 2009 à un niveau de 5.9% aujourd’hui) ne doit pas tout aux arrangements des chiffres de la population active. En effet, le soutien apporté par la FED à l’économie a tout de même permis la création de près de 10 millions d’emplois sur la période considérée.

Une claque pour la Banque centrale européenne et son mandat unique de stabilité des prix qui lui empêche une telle approche. Une claque pour la France également. Car si la traque aux fraudeurs est nécessaire afin de garantir le soutien populaire à un système de redistribution (Aux Etats Unis, la Fraude atteint environ 3% du montant total versé au titre des indemnités chômages), elle ne suffira pas à expliquer l’intégralité du phénomène du découragement face à l’emploi.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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