Chère Marianne, les néo-libéraux auraient tué le goût du travail chez les Français... mais alors comment expliquer que les Américains s'entendent mieux avec leurs patrons que nous ?<!-- --> | Atlantico.fr
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D'après Marianne, les Français seraient "dégoutés" du travail.
D'après Marianne, les Français seraient "dégoutés" du travail.
©Reuters

Paradoxe

L'hebdomadaire Marianne a accusé les néo-libéraux d'avoir tué le goût du travail. Pourtant, les classements sur la qualité des relations employeurs-employés placent les pays anglo-saxons loin devant la France.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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D’après un long article publié dans le dernier numéro de Marianne, les Français seraient « dégoutés » du travail. Dépressions, névroses, déprimes et même suicides seraient le lot commun de l’activité salariée dans la France de 2013. La faute au « néo-libéraux » titre le journal, les traitant de « criminels » - et il faut bien comprendre assassins.

Le lien logique est implicite mais rapidement établi : néo-libéral = promoteur de l’argent à tous prix, y compris celui des vies humaines = pression tyrannique sur les salariés usés jusqu’au désespoir = promotion à peine déguisée des suicides des plus faibles et des plus fragiles. Difficile de faire plus caricatural.

Le fond de l’article -  si l’on exclut quelques citations presque drôles de Jean-Pierre Le Goff  (sur la « barbarie » de l’entreprise) et de Daniel Cohen (sur l’absence de moralité de l’économie) – est plus modéré : il relève que le travail est en partie "désenchanté". Il dresse une série de constats, certainement partiaux et partiels, mais concrets. C’est vrai qu’il y a des patrons salauds, qui n’assument pas les risques qu’ils font prendre à leurs entreprises (ce qui est profondément anti-libéral, le libéralisme reposant sur une valeur de responsabilité). C’est vrai aussi que certaines entreprises pressent leurs salariés. Mais l’article ne fait jamais la démonstration d’un lien entre le « libéralisme » (néo ou archéo) et la déprime des Français. Et pour cause ! S’il y a une raison à la dépression française, il faut plutôt la chercher dans le socialisme ambiant depuis 40 ans !

D’abord, faisons un sort au soit disant règne du néo-libéralisme en France. Il suffit d’avoir un jour vu la taille du code du travail pour s’apercevoir que le marché de l’emploi est loin, mais alors vraiment très loin, d’une dérégulation. Il suffit aussi d’avoir un jour tenté de salarier un employé, pour s’apercevoir : 1) que le niveau de difficulté exige au minimum un double doctorat de droit du travail et de droit fiscal ; 2) que le coût d’un salarié est exorbitant. Pour raréfier l’emploi, on ne peut imaginer mieux. Surtout quand le tout est alimenté par une administration aux pratiques ubuesques. Expérience vécue : désemparé face à la complexité du droit fiscal et social, j’ai appelé l’URSSAF pour un renseignement et relevé, avec un peu d’agacement, qu’en raison du montant astronomique des charges, j’aurais mieux fait de le payer de la main à la main. Réponse de l’agent : « je ne sais pas, attendez, je me renseigne » (sic).

La première façon par laquelle l’hyper régulation et l’hyper fiscalité (et non le libéralisme) tuent les relations de travail, c’est qu’elles mettent une pression énorme sur les entreprises. L’emploi est tellement coûteux qu’il doit être absolument rentable : le salarié doit impérativement délivré. Cette pression est telle qu’elle suscite une course à l’innovation : la France est championne de l’automatisation, qui permet de remplacer des salariés trop chers par des machines...

Une autre conséquence néfaste du socialisme (de gauche comme de droite), c’est que pour survivre en France, il faut avoir emprunté les voies très rares des parcours d’excellences qui conduisent de la maternelle réputée directement au CDI dans un grand groupe (ou dans la fonction publique, ce qui se ressemble parfois) en passant par la case Grandes Ecoles. Les « élus » se battent pour garder ce qu’ils ont, bien conscients que s’ils le perdent ils tomberont dans la frange de la société exclue de tous les bénéfices. Ces rigidités, ce n’est pas le libéralisme qui les a créées : c’est la « machine à trier » qu’entretient un régime de formation qui refuse de se réformer au nom d’une idéologie rétrograde, centralisatrice et égalitariste. « Tous, partout, pareils ». Le problème c’est que c’est un mensonge, dont seuls les privilégiés (fils de profs et gosses de riches) peuvent se sortir.

La perte de sens que déplore Marianne vient elle aussi de l’omniprésence de l’Etat. Quand il était divinisé comme incarnant la « Providence », l’Etat a remplacé toutes les solidarités traditionnelles (églises, syndicats, associations) et les a toutes assumées directement ou en achetant les acteurs existants. Ce faisant, il a aussi déresponsabilisé les citoyens : pourquoi se soucier de quoique ce soit, puisque le Léviathan vous prend en charge de la naissance à la mort (voire avant et après). Si les Français se retrouvent seuls face à eux-mêmes, ce n’est pas de la faute au marché, mais à l’Etat qui a fait disparaitre la société. On voit même qu’aujourd’hui, c’est la mondialisation, par internet, qui leur permet de créer à nouveau des liens, par des réseaux sociaux divers…

Comme le relève justement Marianne, l’idéologie socialiste a savonné la planche des salariés en entretenant le mythe de la fin du travail. En vantant sa disparition et chantant les louanges d’une activité professionnelle dédiée à l’épanouissement, elle a leurré les travailleurs (au demeurant une étude coréenne vient de montrer que réduire le temps de travail ne rend pas les gens plus heureux). On en a oublié que le but de l’entreprise ce n’est pas que Madame Michu se sente mieux dans ses baskets, c’est de faire de l’argent. Même les adeptes du management fleur bleue savent bien que lorsque l’entreprise prend en compte le confort des salariés, c’est parce qu’elle sait que cela lui rapportera plus. Il n’y a rien de choquant à cela : c’est son rôle. Comme le dirait Ayn Rand, chacun à sa place et le monde s’en portera d’autant mieux !

Enfin, le contexte macro-économique déplorable, avec un chômage record, n’est pas pour rien dans l’aggravation des tensions sociales. Si la croissance française était de 3 %, le chômage de 4 %, les salariés seraient certainement moins angoissés par l’obsession de garder leur emploi à tout prix. Une nouvelle fois, on aura dû mal à accuser l’ultra-libéralisme d’avoir été la pierre angulaire des politiques économiques des dernières décennies…

Marianne se trompe en dénonçant le néo-ultra-hyper-libéralisme. Ce qui ruine les relations sociales en France, c’est le socialisme. L’article rappelle avec indignation que selon le classement de Davos, la France est 137ème sur 144 pour la qualité des relations employeurs-salariés. Mais ce qu’il oublie de préciser, c’est que les Etats-Unis sont 42ème, le Royaume-Uni 27ème et la Nouvelle-Zélande 11ème !

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