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Charlotte Corday, la meurtrière de la “bouche de la Révolution”
©OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP

Bonnes feuilles

Olivier Coquard publie "Tuer le pouvoir" (First éditions). L'assassinat politique est avant tout un acte public, spectaculaire, presque théâtral. Pourtant, la plupart des assassinats politiques furent, au fond, des échecs. Dans cet ouvrage passionnant, Olivier Coquard revient sur les plus grands complots et actes de folie isolés qui ont littéralement "tué le pouvoir". Extrait 2/2.

Olivier Coquard

Olivier Coquard

Ancien élève de l'ENS de Saint-Cloud-Fontenay-aux-Roses, docteur en histoire, Olivier Coquard est professeur de chaire supérieure en classes préparatoires littéraires au lycée Henri-IV à Paris. Spécialiste de la Révolution française, il est l'auteur de plusieurs ouvrages – on lui doit notamment Quand le monde a basculé, une nouvelle histoire de la Révolution française aux éditions Tallandier (2015) – et collabore à des revues spécialisées.

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« Ne pouvant le corrompre, ils l’ont assassiné. » Ainsi Jacques-Louis David résume-t-il le meurtre de l’Ami du peuple, dans une légende placée sur l’une des versions de son Marat assassiné, œuvre parmi les plus célèbres de la Révolution française. Il accepta de réaliser ce tableau sur demande de la Convention nationale, le jour même de la mort de Marat. Il y était député, comme son défunt ami, parmi les élus de la Montagne. Après Le Peletier de Saint Fargeau, tué le 20 janvier précédent, Marat était le second député assassiné. La proposition de David fut acceptée : le tableau représentant Marat trôna à la Convention, symétrique au tableau qu’il avait déjà réalisé à la mémoire de Le Peletier et qui, aujourd’hui, est perdu. L’écho de cette deuxième œuvre fut cependant très différent : des centaines de gravures la reproduisant furent imprimées et David lui-même en peignit au moins trois versions.

Le tableau de David devint immédiatement l’une des toiles majeures de la période révolutionnaire : incontestable réussite esthétique, elle répondait aussi en profondeur à l’émotion suscitée par l’assassinat du député.

Charlotte Corday, figure de la résistance  à la Terreur 

Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armans, « l’ange de l’assassinat », pensait avoir tué « un monstre » qui tyrannisait la France et la baignait dans le sang : c’est en tout cas ce qu’elle l’affirma avec constance durant les interrogatoires qu’elle subit avant d’être condamnée et exécutée le 17 juillet 1793, quatre jours après le meurtre. Elle pensait tuer un tyran sanguinaire dont le pouvoir faisait de la Patrie un enfer. Son geste exceptionnel a fait l’objet d’une littérature pléthorique dont elle est régulièrement l’héroïne, cornélienne et biblique à la fois. Le théâtre, le cinéma, les fictions et les documentaires télévisés se sont emparés d’un personnage aujourd’hui encore élevé au rang d’icône de la résistance à la Terreur et à la cruauté des jacobins. 

Cet ensemble repose sur un dossier tout à fait complet : les minutes du procès ont été conservées, de même que les comptes rendus des interrogatoires subis par la coupable. De nombreux témoignages ont été publiés. La baignoire de Marat trône aujourd’hui au musée Grévin. Le lieu même du drame, 30, rue des Cordeliers, a disparu lors du Second Empire mais les descriptions et les plans sont suffisamment nombreux pour qu’on en ait une connaissance exacte.

L’assassinat de Marat : d’abord un symbole 

Intégrer cet épisode dans un recueil consacré aux meurtres politiques, aux meurtres des hommes de pouvoir, nécessite qu’on accepte le point de vue de la seule meurtrière : pour Charlotte Corday, Marat était le chef de la Révolution, le guide des jacobins et des montagnards. Or, au moment où elle plongea son couteau dans le corps nu de l’Ami du peuple, celui-ci n’exerçait aucun pouvoir particulier. Cela faisait un mois qu’il n’assistait plus aux séances de la Convention, épuisé par une maladie dont il pensait qu’elle allait avoir bientôt raison de lui. Son seul magistère, tout relatif, était celui de la plume : il continuait de publier son journal, Le Publiciste de la République française, successeur lointain de L’Ami du peuple. 

Comme conventionnel, il n’avait joué un rôle significatif que lors des « journées de juin » 1793 où il avait à la fois entraîné et limité le décret proscrivant un certain nombre de députés girondins de la Convention. En avril précédent, ceux-ci lui avaient fourni l’occasion d’une immense publicité : ils avaient décrété sa mise en accusation à la Convention, à la suite d’un appel nominal motivé (seul Louis Capet avait eu ce traitement). Le tribunal révolutionnaire, réuni le 24 avril, acquitta le député qui fut ramené en triomphe par le peuple à la Convention. Dans cette opération, Marat n’avait pas vraiment eu d’initiative même s’il en était le principal bénéficiaire. Ni pendant le procès du roi en décembre 1792-janvier 1793, ni par son activité législatrice, Marat ne s’illustra comme meneur de groupe ou porteur de projet. 

Un parlementaire actif, mais pas un meneur d’hommes 

Même ses collègues montagnards (les montagnards étaient la faction la plus radicale de l’Assemblée) le considéraient avec méfiance, Maximilien Robespierre en particulier. Il n’avait été élu dans aucun des comités de la Convention (l’équivalent de nos commissions des lois à l’Assemblée nationale) et surtout pas dans le Comité de salut public créé le 6 avril 1793. Il n’avait pas non plus été envoyé dans un département ou à l’armée comme « représentant en mission » investi d’un immense pouvoir. 

Il siégeait régulièrement à la Convention et y intervenait assez souvent ; cependant, ses interventions étaient fréquemment abrégées par le président qui demandait « qu’on passe à l’ordre du jour ». Il avait présidé le très influent Club des jacobins pendant une semaine, comme beaucoup des députés montagnards mais ce poste éphémère n’impliquait aucun pouvoir particulier. Il était surtout une marque de prestige, attestant un engagement patriotique vigoureux salué par les membres du Club. Il avait siégé quelques jours, en septembre 1792, à la Commune de Paris (l’équivalent d’un conseil municipal révolutionnaire) et il avait pu avoir quelque influence pendant l’épisode des « massacres de septembre », sans en être aucunement un meneur. Il n’était pas considéré, de toute façon, comme un élu de premier plan par les montagnards et se désolait souvent dans son journal qu’il en soit ainsi.

Le pouvoir de la presse : dénonciation et radicalité 

Ce journal faisait cependant de lui un homme d’influence. Le Publiciste était la continuation du Journal de la République française, lui-même héritier direct, en septembre 1792, de L’Ami du peuple fondé en 1789. Unique rédacteur de cette publication, Jean-Paul Marat était devenu lui-même l’Ami du peuple, surnom glorieux qu’il s’était attribué et qui lui était reconnu par la quasi-totalité de ses contemporains, amis ou ennemis. Très rapidement, les publications de Marat (en plus de son journal, il multipliait les pamphlets et les placards affichés sur les murs de Paris) lui avaient valu les foudres des pouvoirs successifs. Il défendait une révolution populaire, radicale, démocratique dans le cadre d’une guerre sans merci menée contre les aristocrates et les contre-révolutionnaires. Marat dénonçait collectivement les traîtres à la liberté et à la Patrie.

Comme beaucoup de ses compagnons de plume (Hébert et son Père Duchesne est le plus connu), il réclamait l’élimination des aristocrates, affirmant qu’il était nécessaire de faire disparaître les ennemis du peuple pour que celui-ci soit libre et appelant souvent les révolutionnaires à prendre les armes. Ses appels avaient peut-être trouvé un certain écho en septembre 1792, quand les sans-culottes avaient envahi les prisons et exécuté par milliers les suspects qui s’y trouvaient incarcérés. Il y a débat parmi les historiens au sujet de son rôle ; quoi qu’il en soit, ses adversaires le dénoncèrent dès la fin du mois comme le grand responsable des « massacres de septembre ». 

Un homme bien informé 

Souvent remarquablement informé, il avait dévoilé dès 1790 les projets de fuite royale qui se vérifièrent en juin 1791 (ce fut la « fuite à Varennes ») ; il avait aussi annoncé la trahison de Dumouriez dans l’hiver 1792, alors que celui-ci était à l’apogée de sa gloire, auréolé par la victoire de Valmy. Dumouriez passa à l’ennemi en avril 1793. Marat demandait, pour les individus qu’il jugeait coupables de trahison contre la Patrie – à vrai dire très souvent à juste raison –, la rigueur de la loi ; contre Mirabeau, contre La Fayette, contre Dumouriez, son action avait été extrêmement obstinée. Il s’attaquait véritablement aux puissants du moment et souvent avec des arguments tout à fait crédibles.

De ce fait, entre 1789 et 1792, il avait à plusieurs reprises été « décrété de prise de corps » et avait dû travailler dans la clandestinité et même fuir quelques semaines à Londres. Dans ses textes, il a multiplié les narrations qui ont fait de lui un proscrit héroïque, sacrifiant richesse, gloire et santé pour la défense du peuple.

Martyr révolutionnaire et communiquant hors pair 

Ceci avait conféré à l’Ami du peuple une sorte de palme du martyre révolutionnaire qu’il entretenait soigneusement. Il attribuait sa maladie à la vie dans les « souterrains » qu’il avait dû rejoindre pour échapper à la police des aristocrates. Sa célébrité fut rapidement acquise : dès 1790, le pamphlétaire royaliste Rivarol l’avait intégré dans son Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution. Dans les clubs révolutionnaires et les sociétés patriotiques, celles des cordeliers ou celle des jacobins, les textes et les idées de l’Ami du peuple étaient souvent évoqués, parfois de façon mystique (les termes de « prédiction » ou d’« oracle » à propos de ses dénonciations sont souvent utilisés). Il fut le sujet d’une iconographie assez importante, à partir de 1791 en particulier, qui le montrait en nouveau Diogène sortant de sa cave, lanterne à la main, pour éclairer le peuple. 

Marat était donc sans nul doute une figure connue et, très probablement, un homme qui maîtrisait vraiment l’art de la communication. C’était d’ailleurs vital pour lui : il avait besoin de cette publicité constante pour faire vivre son journal. Le Club des cordeliers (en 1791), la faction Orléans (il n’y a pas de certitude à ce sujet), ou, en 1793, le ministère de la Guerre le subventionnèrent successivement car les souscriptions des lecteurs et les revenus de la vente au numéro étaient notoirement insuffisants pour faire vivre ses publications. À la différence du Patriote français de Jacques-Pierre Brissot qui fut une bonne affaire entre 1789 et 1791, L’Ami du peuple et ses successeurs furent toujours à la limite de la faillite. L’Ami du peuple avait besoin d’être visible pour pouvoir trouver les moyens de faire exister son journal et, donc, d’exister.

Extrait du livre "Tuer le pouvoir" d'Oliver Coquard, publié chez First éditions.

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