Charles de Gaulle, le catholique qui a sauvé la République<!-- --> | Atlantico.fr
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Charles De Gaulle, et sa femme Yvonne, sortent de l'église de Sneem en mai 1969, après avoir assisté à la messe, durant un voyage en Irlande. Bernard Lecomte publie « Ces chrétiens qui ont changé le monde » aux éditions Tallandier.
Charles De Gaulle, et sa femme Yvonne, sortent de l'église de Sneem en mai 1969, après avoir assisté à la messe, durant un voyage en Irlande. Bernard Lecomte publie « Ces chrétiens qui ont changé le monde » aux éditions Tallandier.
©AFP

Bonnes feuilles

Bernard Lecomte publie « Ces chrétiens qui ont changé le monde » aux éditions Tallandier. Comment mieux parler du christianisme qu'en faisant revivre l'existence de ceux qui l'ont incarné dans notre histoire récente et dont la trace est toujours profonde ? Bernard Lecomte retrace la vie de douze figures chrétiennes, des trois confessions catholique, protestante, orthodoxe, qui ont joué un rôle dans l'évolution politique et sociale du monde et dont la personnalité a marqué leurs contemporains. Extrait 1/2.

Bernard Lecomte

Bernard Lecomte

Ancien grand reporter à La Croix et à L'Express, ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Bernard Lecomte est un des meilleurs spécialistes du Vatican. Ses livres sur le sujet font autorité, notamment sa biographie de Jean-Paul II qui fut un succès mondial. Il a publié Tous les secrets du Vatican chez Perrin. 

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Janvier 1959. Quand il s’installe à l’Élysée après son retour au sommet de l’État, le général de Gaulle surprend le personnel du palais présidentiel par son étonnant souci de rigueur, voire d’austérité. Cet homme-là n’aime ni l’argent, ni la richesse. Foin des ors de la République ! Et il a des principes : le nouvel hôte des lieux équipe ses appartements privés d’un compteur électrique, afin de payer de sa poche ses frais personnels ! Mais le nouveau président stupéfie ses collaborateurs quand il décide, en toute discrétion, de transformer en chapelle privée une petite pièce qui, au temps de son prédécesseur Vincent Auriol, servait de bar pour les chauffeurs. Un autel de fortune, un minimum d’ornements sacerdotaux, quelques objets de culte et quatre chaises avec prie-Dieu. Le tout à ses frais, bien entendu. Lorsque le Général et son épouse seront à Paris le dimanche, ils pourront ainsi assister à la messe – servie par leur neveu François de Gaulle – sans se donner en spectacle à l’église de la paroisse, qui n’est autre que la Madeleine.

La chapelle de l’Élysée disparaîtra dès le départ du Général en 1969. Aujourd’hui, l’anecdote paraît incongrue, voire extravagante. Elle rappelle que la République française a eu un président, et non des moindres, pour qui la religion et sa pratique allaient de soi.

La religion, comme une évidence

Chez les de Gaulle, la foi est affaire de famille. Du côté paternel, une lignée de petits aristocrates ruinés par la Révolution, de grands serviteurs du roi et d’intellectuels érudits engagés dans le catholicisme social. Le grand-père de Charles, historien, publie une Vie de Saint Louis – et sa femme Joséphine, une cinquantaine de romans pieux que ses petits-enfants liront tous respectueusement. Le père, Henri, fut élève des jésuites au collège de l’Immaculée Conception, rue de Vaugirard, à Paris, alors dirigé par le père Olivaint –  qui sera assassiné par les communards en mai  1871. Il y sera lui-même professeur puis préfet des études. Grand défenseur de l’enseignement libre, il trahira son milieu social en se prononçant, non sans courage, pour l’innocence de Dreyfus en 1894. Mais lorsque Pie XI condamnera l’Action française en 1926, il cessera de lire ce journal par obéissance au pape. Catholique fervent, Henri de Gaulle appartient à la mouvance nationaliste et contre-révolutionnaire – celle des François-René de La Tour du Pin, Albert de Mun, Maurice Barrès – qui  a accepté de « rallier » la République, tout en restant farouchement libre de ses choix.

Du côté maternel, de Gaulle hérite de ces grands patrons du Nord de tradition profondément catholique, à la morale intransigeante mais très engagés dans le catholicisme social –  c’est un oncle de sa mère qui a fondé à Lille la Société Saint-Vincent de Paul. Dans l’appartement de la rue Princesse où le jeune Charles naît le 22  novembre  1890, il y a des crucifix dans toutes les chambres et des statues de la Vierge à chaque étage. Jeanne, sa mère, qui a deux sœurs religieuses, pratique un catholicisme rigoriste, imposant à ses enfants la messe quotidienne, la prière en passant à table et, dès qu’ils en ont l’âge, l’édifiante lecture de Vies de saints…

Dans ce creuset familial, la religion est une sorte d’évidence. Le jour où naquit le petit Charles, à quatre heures du matin, il fut baptisé l’après-midi même à l’église Saint-André, la paroisse voisine, là où ses parents s’étaient mariés. À Paris, rue de Grenelle, Charles fréquente l’école Saint-Thomas d’Aquin tenue par les frères des Écoles chrétiennes. Mettre son enfant chez les jésuites, c’est un acte de résistance contre la République laïque. Rien d’étonnant à ce que ses parents l’inscrivent ensuite au collège jésuite de l’Immaculée Conception. Sept années dans cet établissement, c’est l’assurance d’une formation religieuse solide.

Charles de Gaulle éprouva-t-il, enfant, une vocation religieuse ? Il semble que non. Dès l’adolescence, il est attiré par l’armée – le traumatisme de la défaite de 1870 a marqué toute sa génération  – et se passionne pour l’écriture. Avant même de passer le baccalauréat, en 1905, il écrit un récit fictif où un certain « général de Gaulle » contribue, à la tête de deux cent mille hommes, à la victoire de la France sur l’Allemagne ! Quand les jésuites seront chassés de France, en 1908, il écrira un récit à leur gloire, La Congrégation, dans la revue du collège du Sacré-Cœur d’Antoing, l’établissement où il prépare Saint-Cyr, de l’autre côté de la frontière belge. Pratique religieuse intense, pèlerinage à Lourdes comme brancardier, groupe de prière et dévotion mariale  : ses études confortent sa foi, renforcée par quelques valeurs proprement militaires : abnégation, don de soi, sens du sacrifice…

(…)

Chrétien en temps de paix, c’est facile. Mais en temps de guerre ? Un disciple du Christ peut-il prendre les armes et combattre d’autres hommes ? Dans Le Fil de l’épée, publié en 1932, de Gaulle s’est expliqué là-dessus :

« Les armes remuent au fond des cœurs la fange des pires instincts. […] Elles détruisent l’ordre, saccagent l’espérance, mettent les prophètes à mort. Pourtant, si Lucifer en a fait usage, on les a vues aux mains de l’Archange. De quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes ! Par leur fait le courage, le dévouement, la grandeur d’âme atteignirent les sommets. »

L’homme se grandit dans la guerre par son courage et son sacrifice, il se dépasse pour plus grand que lui. Quand la guerre menace, de Gaulle n’a aucune peine – car il a aussi lu Mein Kampf – à justifier son total engagement contre une idéologie nazie qui se situe aux antipodes de ses convictions religieuses, notamment de sa conception de l’homme.

Pour lui, cette guerre est un enjeu de civilisation. Le  30  mai 1940, alors qu’il commande la IVe division cuirassée, il s’adresse à l’aumônier militaire qu’il place toujours à sa droite à table, le père Bourgeon  : « Priez, Monsieur l’Abbé. Votre prière est bien nécessaire : on ne fait l’histoire qu’avec ce que Dieu offre ! » Et de préciser que dans ce malheureux épisode d’un terrible affrontement entre civilisations, « le dernier mot restera à la civilisation la plus élevée et la plus désintéressée, la civilisation chrétienne ! ». Le 2  juin, avant de prendre la route de Paris où il va être nommé général de brigade, il sert la messe au père Bourgeon. Dans son PC de campagne pilonné par l’armée allemande, le futur « homme du 18 juin » propose à son hôte, humblement, de prier pour la France. L’aumônier se rappelle : « De Gaulle reste et restera toujours dans le rang, bien à sa place, comme un baptisé parmi les baptisés… »

Bien à sa place ? De Gaulle est persuadé qu’il a un rôle à jouer. La bataille de France est perdue, mais pas la guerre. Il manœuvre pour entrer le 5  juin au gouvernement de Paul Reynaud, comme sous-secrétaire d’État à la Défense nationale. Face à la débâcle, de Gaulle est inspiré des mêmes pensées que la Pucelle d’Orléans : il faut « sauver la France ». Dans la marge de son exemplaire du Jeanne d’Arc de Péguy, il écrira plus tard  : « Jeanne fut appelée. Elle vint. Elle vit la France qui allait périr. Elle écarta l’écume des intérêts, des abandons, prétentieux et bien habillés. Elle alla puiser au fond du peuple la Foi et l’Espérance secrètes, les dressa, les prit avec elle… » Rien ne peut supplanter chez lui le patriotisme et la foi chrétienne, qu’il met tout entiers au service de « Notre-Dame la France ». Il rejoint Londres le 16 juin. Il est seul.

Au matin de l’appel du 18 juin, il est rejoint par une jolie femme de 25 ans qui va taper son texte à la machine – avec deux doigts, car elle n’est pas dactylo. Qui peut imaginer qu’Élisabeth de Miribel, diplomate de métier, sera bientôt carmélite ? Très croyante, elle pense elle aussi que sauver la France est une mission sacrée, qui échappe à la raison ordinaire. Elle est fascinée par ce général qui ne doute de rien  : « Sa foi, dira-t-elle, était indéracinable ! » Mais déjà, le chef de la France libre fait la part des choses : dans l’appel qu’il prononce à la BBC, il fait attention à n’employer aucun terme proprement religieux : ni « racines chrétiennes », ni « Notre-Dame la France ».

Extrait du livre de Bernard Lecomte, « Ces chrétiens qui ont changé le monde », publié aux éditions Tallandier

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