Changer de système : A défis immenses, réponses d’exception<!-- --> | Atlantico.fr
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Un citoyen s'apprête à voter, muni de sa carte électorale.
Un citoyen s'apprête à voter, muni de sa carte électorale.
©Ludovic MARIN / AFP

Tribune

Aujourd’hui, il faut redonner la parole au peuple. Notre dette, nos niveaux de déficits et de prélèvements l’exigent.

Stéphane  Sautarel

Stéphane Sautarel

Stéphane Sautarel est sénateur du Cantal et co-rapporteur d’un rapport au Sénat "Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir". 

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Aujourd’hui, l’espérance a bien souvent laissé la place à la fatigue, la responsabilité à l’infantilisation, la fierté à la résignation, l’humanisme au repli. Chacun perçoit que nous vivons une situation de « cul par-dessus tête » :

- une pandémie qui nous a paralysé et a montré toutes nos fragilités (mais aussi notre résilience).

- une guerre aux portes de l’Europe qui avait été construite pour être d’abord un vecteur de paix.

- une Europe cacophonique où la voix allemande est de plus en plus dissonante de la nôtre sur la défense, l’énergie, la démographie, la puissance budgétaire… Une Europe où la France est si faible qu’elle ne parvient même pas à obtenir la sortie du mode de calcul européen du prix de l’électricité qui reste indexé sur celui du gaz, en déconnexion totale des coûts de production. Nos entreprises sont au bord du gouffre de part ce seul phénomène, et la réindustrialisation promise est en train de se muer en délocalisation. Ce sont ceux qui se font les chantres de l’Europe, en oubliant les intérêts nationaux, qui condamnent cette même Europe qui nous serait pourtant si précieuse si elle était démocratique, réaliste et au service des européens.

- un pays, le nôtre, qui s’apparente à de nombreux égards au « tiers monde » ou presque : des services de santé et d’éducation en souffrance, une pauvreté accrue, un accès au logement difficile, la nécessité pour chacun de limiter son confort (alimentation, chauffage, éclairage, mobilité…), la brutalité d’une transition énergétique et climatique qui accroît les coûts et la pénurie, un déclassement croissant qui fait que chacun a de plus en plus de mal à vivre de son travail …

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- un pays, le nôtre, qui est pourtant encore la cinquième puissance mondiale et qui voit son industrie, son agriculture, se déliter, ses transferts sociaux parmi les plus importants du monde ne pas suffire ni à endiguer les difficultés économiques et sociales de nombre de nos concitoyens, ni à remonter le moral de chacun (nous restons les champions européens du pessimisme).

- un pays, le nôtre, qui vit une crise démocratique, et peut-être bientôt institutionnelle, il suffit pour s’en convaincre de voir le spectacle que livre aujourd’hui à l’Assemblée nationale la Nupes ou le RN, qui n’est pourtant que la traduction du vote des français, mais aussi le symptôme d’un profond malaise nous faisant osciller entre la passion tyrannique des minorités aux préoccupations qui relèvent de la crise civilisationnelle, et un risque populiste qui frappe à nos portes. 

Nous sommes entrés dans une ère de vulnérabilité systématique.

Nous allons revenir à des économies de la raréfaction, entrer dans des modes récurrents dits « dégradés ». Nous allons les vivre dans notre vie quotidienne. Or collectivement, notre génération a une inexpérience de l’économie de la contrainte. La crise pandémique a « permis » ce passage de la théorie, du savoir au vécu, à l’intégration émotionnelle d’une nouvelle réalité. En 2023, nous allons poursuivre l’intégration de la contrainte au quotidien et dans nos modes de production.

Nous nous sentons tous « dépossédés ». Nous touchons désormais à l’existentiel qui concerne au moins autant notre niveau de vie que notre cadre de vie, autant le matériel que l’immatériel. Nous semblons être sur un volcan qu’une étincelle pourrait suffire à embraser... Je ne sais pas si ce sera la réforme des retraites qui le fera. Je ne l’espère pas car il s’agit là que d’une simple mesure d’ajustement encore une fois qui ne réinterroge pas notre système et qui ne mérite ni adhésion, ni rejet. Elle n’est qu’un « totem » que Paris se doit d’envoyer à Bruxelles. Elle n’est surtout que le symbole de notre impuissance à réformer en donnant du sens et de notre propension à ne proposer que des mesures paramétriques qui ne peuvent plus suffire. Mais cela pourrait pourtant être un déclencheur.

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Alors sachons enfin écouter et répondre.

Sachons nous engager sur un chemin nouveau, fait de collectif et de participation, de courage et de vérité, d’audace et de clarté, de fin du dogme européen de la concurrence pure et entière, mais aussi du refus de la dictature des minorités. Chérissons l’ancrage au Cantal, et plus largement de notre pays, qui, en volcan éteint, nous murmure encore ses légendes, ses sagesses, ses valeurs et la vertu du temps long.

Il n’y a, dans nos territoires, ni fatalisme, ni renoncement, mais au contraire une vitalité, une envie de faire qui ne demande qu’à s’épanouir. Laissons nos territoires et ceux qui y vivent respirer, entreprendre et expérimenter. Laissons-les décider de ce qui les concernent au quotidien et pour leur avenir.

Nos îlots d’expérimentation locale peuvent nous permettre de garder l’espérance. Sur le terrain, il y a quantité d’innovations, d’initiatives intéressantes. Le Cantal et les Cantaliens savent aussi en faire preuve. Pas de « top-down » mais du « bottom-up » avec les acteurs locaux. Les individus et les élus locaux doivent se ressaisir de leur pouvoir d’agir dans les domaines qui les concernent.

Cette tendance à la re-politisation à partir des territoires n’est pas encore perceptible. C’est une des reconquêtes importantes à venir. Car le temps est un objet politique, qui, normalement, dans l’Etat social de droit, doit servir à produire de l’émancipation et accroître la dignité humaine. Or, ces vingt-cinq dernières années s’est opérée une dépolitisation du temps par deux techniques. D’abord, il s’est opéré par l’économisation du monde : on a traqué le temps en le captant au seul profit du productivisme. Aujourd’hui la productivité baisse dans notre pays, ce système est à bout. Ensuite, le temps qui restait a été capté par le loisir : télé à la demande, réseaux sociaux, spectacles... Il est aujourd’hui majoritairement individuel et distant. Or ce temps nous est nécessaire pour agir dans le monde. Si toute la journée, on produit et que le soir, on rentre sous la couette pour regarder une série, on n’agit plus, on est dépolitisé. Cette grande conquête du temps, de la repolitisation du temps pour transformer le monde, est le grand enjeu qui est devant nous.

Les autres enjeux majeurs tournent autour de la souveraineté.

L’Etat, l’industrie, la classe moyenne et l’énergie, constituent nos enjeux majeurs de souveraineté pour reprendre possession de notre destin commun.

Si trop d’État détruit la société, pas assez la met aussi en péril. L’énorme machine administrative qui continue à tourner ne sauve même plus les apparences. Quand l’État n’assure plus l’ordre, la sécurité, quand la violence s’installe à l’école et que le niveau scolaire s’effondre, quand l’hôpital ne fait plus face, quand la continuité des transports publics n’est plus assurée, quand les factures d’électricité explosent et que les prélèvements pèsent de plus en plus lourd, l’État est en question. On a réussi à en faire un monstre bureaucratique avec une inefficacité croissante de la dépense publique.

On est en droit de penser qu’à long terme le monde et l’Europe vont beaucoup changer tellement l’échec de ce que nous avons construit depuis la fin de la guerre froide est patent. Mais en attendant, il nous faut comprendre ce qui ne va pas pour stopper cette espèce d’effondrement qui est train de se produire sous nos yeux. Pour l’Europe, il n’y a pas d’autre issue que son échec, qu’on ne saurait souhaiter, ou sa transformation. Le principe de la libre circulation sans limite, qui amène autant de migrants de manière anarchique et inhumaine, n’est pas tenable. Celui de la concurrence et du libre-échange sans limite, non plus. C’est en faisant de la concurrence et du marché une véritable religion que la Commission européenne, et pas seulement les écologistes antinucléaires, a accompli le tour de force de faire sombrer l’extraordinaire réussite industrielle, économique et sociale qu’était EDF dans le naufrage que nous connaissons aujourd’hui et dont rien ne sera sauvé si nous n’en finissons pas rapidement avec le marché européen de l’électricité, une concurrence qui fait monter les prix au lieu de les faire baisser et oblige EDF à subventionner ses concurrents moins compétitifs pour qu’ils puissent lui faire concurrence. Le temps est venu de corriger ce qui dans la construction européenne nous fait marcher « cul par-dessus tête ». L’énergie est la meilleure illustration de ce dogme devenu impuissance.

La France affronte en effet une crise énergétique sans précédent depuis les chocs pétroliers des années 1970. Cinquante ans après, elle est confrontée à l’effondrement de son système électrique et à un risque majeur de black-out. Au cœur de l’hiver, les pics de consommation pourraient atteindre 150% de notre capacité de production. Ce déséquilibre s’explique par la chute de la production nucléaire au moment où les capacités des installations solaires, éoliennes et hydrauliques sont réduites et ne répondront jamais à elles seules aux enjeux qui sont les nôtres.

Les conséquences du krach de la filière électrique sont dévastatrices, pour les ménages et les collectivités bien-sûr, mais plus encore pour les entreprises, avec des pertes de production et de revenus, qui ne laissent à nombre d’entre elles, notamment dans l’industrie, d’autre choix que celui de la faillite ou de la délocalisation. La responsabilité première revient aux dirigeants politiques de notre pays qui, depuis plusieurs décennies, ont entrepris de détruire méthodiquement la filière d’excellence et le facteur de compétitivité décisif que représentait le secteur nucléaire. La politique de l’énergie a perdu toute cohérence depuis 2012 pour être livrée à l’idéologie de la décroissance et à la démagogie. L’autre échec est celui du marché européen de l’électricité qui a été conçu pour faire baisser les prix pour le consommateur en faisant l’impasse sur la production et l’impératif de sécurité. D’où l’indexation des prix sur le gaz russe, qui a fait de l’Union l’otage énergétique de Vladimir Poutine. Comment peut-on accepter encore le dictat allemand qui nous empêche d’en sortir !?

L'incapacité des Vingt-Sept à répondre poussent tous les industriels européens à repenser entièrement leurs politiques d'investissement : au lieu de relocaliser les usines comme ils en avaient envie pour devenir plus local et aussi pour créer de l'emploi en bons citoyens, ils sont aujourd'hui très fortement incités à délocaliser massivement, cette fois non plus en Chine mais en Amérique. L'interrogation des états-majors n'est pas circonstancielle. Les deux continents, Amérique et Europe, ont adopté des stratégies fondamentalement différentes sur les deux transformations fondamentales de notre temps : le réchauffement climatique et l'atrophie de la classe moyenne.

Les Etats-Unis abordent la question environnementale avec l'idée qu'il n'y a de bonne réponse que technologique. Washington et la finance s'allient pour subventionner et financer la cleantech et pour prendre le leadership mondial de l'industrie de la décarbonation. Les normes et contraintes pour forcer les acteurs vers les usages « propres » ne sont que secondaires, voire négligeables. L'Europe a fait le choix inverse. Elle joue sur les interdictions (l'automobile à moteur thermique au-delà de 2035) et, comme l'y incitent les économistes européens, sur le prix : l'énergie fossile doit être chère puis progressivement très chère pour en raréfier l'usage. La conséquence pour l'industrie est de nature opposée : elle est choyée outre-Atlantique, elle est, ici, condamnée à s'adapter.

Prenons garde en outre, car notre agriculture est en train de prendre le même chemin que notre industrie… Ce serait une catastrophe plus grande encore puisqu’il en va de notre souveraineté alimentaire et de la capacité pour notre pays à nourrir chacun.

La politique industrielle américaine a un autre objectif : rétablir la classe moyenne et lui éviter de tomber dans un populisme menaçant la démocratie. Toutes ses décisions sont passées au crible du bénéfice pour la classe moyenne. L'axe économique est de reconstruire l'industrie pourvoyeuse d'emplois qualifiés et de relancer la recherche-développement pour s'assurer la puissance technologique face à la Chine et relocaliser. Les Européens se sont mobilisés contre le protectionnisme de l'IRA (Inflation Reduction Act), mais sans trouver aucune écoute.

L'Europe devrait plutôt s'en inspirer. La crise énergétique devrait conduire à mettre fin à la politique du chacun pour soi et le marché pour tous, qui a conduit là où nous sommes. La crise industrielle qui vient devrait, elle, provoquer un pacte de long terme et de grande ampleur indispensable pour lutter, ici aussi, contre le populisme. Mais l'industrie n'est pas la priorité à la Commission de Bruxelles où l'idéologie libérale survit au départ des Anglais et où elle est considérée comme « sale » sous l'influence des écologistes. L'autre obstacle est l'Allemagne qui met des freins à la stratégie de « souveraineté européenne » et négocie en parallèle sa survie propre à Pékin (où Olaf Scholz s'est rendu seul) et à Washington. « L'Allemagne, nous dit un banquier français, a la stratégie du dernier survivant. » L'Europe doit vite lui donner tort.

Il nous faut, pour relever ces défis de la souveraineté en fait, retrouver le sens de l’État, et qu’il soit admis qu’il y a une raison d’État même si chacun s’en fait sa propre idée et que cette raison d’État est une raison nationale.

Refaire du commun pour changer notre système.

Une part croissante des Français a pris ses distances avec le monde politique. L’abstention a été colossale lors des dernières élections régionales et départementales (près de 65 %) et a nettement franchi le seuil des 50 % aux législatives de juin dernier. Même l’élection présidentielle attire et mobilise de moins en moins, avec un taux d’abstention de plus de 26% au premier tour de 2022. La réélection d’Emmanuel Macron n’a pas suscité d’engouement et d’élan, et le soufflé est très vite retombé. Du coup, l’apathie civique domine et le pays est entré dans une phase de léthargie politique. La tendance à la re-politisation évoquée plus haut n’est pas encore perceptible. Au moins deux causes expliquent la moindre participation :

-Un manque d’intérêt des jeunes en particulier pour les élections qui ont des causes diverses : perte de civisme, offre inadaptée, mode d’élection qui peut paraitre désuet, mauvaise identification des enjeux…

-Un sentiment diffus que le vote, quel qu’il soit, ne change rien.

Le processus de décomposition-recomposition politique initié en 2017 se poursuit. Les deux anciens grands partis de gouvernement Les Républicains et le PS ont été relégués en seconde division. Emmanuel Macron a certes été réélu pour un second mandat, ce qui est un tour de force hors période de cohabitation, mais il n’a pas obtenu de majorité à l’Assemblée, alors que la logique du « fait majoritaire » était la règle aux législatives depuis l’inversion du calendrier électoral. Cette anomalie rend le paysage politique peu lisible, avec un exécutif affaibli face à des oppositions divisées. L’absence de lisibilité est renforcée de surcroît par le caractère instable de deux des blocs politiques ayant émergé. L’offre nouvelle créée en 2017 semble aujourd’hui ne pas mieux parvenir à transformer ou à réparer la France, d’où le franchissement d’un nouveau palier dans la dépolitisation, puisque même l’approche « disruptive » a fait long feu. Seul un mouvement de re-politisation partant du terrain peut relever ce défi. Il convient de le permettre.

Aujourd’hui, il faut redonner la parole au peuple. C’est un risque bien-sûr, mais c’est aussi le rendez-vous que nous fixe l’histoire, en faisant des choix clairs qui ne peuvent plus être conjugués avec le « en même temps ». Notre dette, nos niveaux de déficits et de prélèvements l’exigent.

A ce titre, pour permettre de redonner la parole de manière constructive et à partir du local, je propose de traiter deux questions qui me semblent majeures pour :

-Donner enfin du pouvoir aux territoires par une décentralisation politique aboutie, qui pourrait concerner nos services publics de l’école et de la santé, mais aussi les capacités locales à décider de son avenir autour de l’urbanisme, de l’eau, de l’énergie et des réseaux plus largement, des infrastructures nécessaires à l’aménagement de nos territoires, ou encore définir les moyens dont doivent disposer les collectivités françaises (les collectivités territoriales ne représentent en France que 19 % du total de la dépense publique contre une moyenne européenne proche de 40 % selon le degré de décentralisation, mais assument plus de 70 % du total de l’investissement public), et enfin débureaucratiser nos process et rendre une indispensable liberté aux élus comme aux citoyens. Cela permettra à l’Etat de se recentrer sur ses missions essentiels plutôt que d’être omnipotent et inefficace.

-Amorcer une nouvelle étape de respiration démocratique par l’instauration du vote obligatoire et la reconnaissance du vote blanc, qui permettrait de réinvestir chacun dans une posture citoyenne, obligeant les futurs élus à répondre aux transformations systémiques désormais indispensables. Il s’agit bien sûr d’une composante d’une réforme institutionnelle plus large qui devra permettre un recours plus conséquent aux votations locales, permettre un meilleur équilibre des pouvoirs (notamment judiciaire) et donner au Parlement les moyens d’agir. Des propositions seront prochainement faites en ce sens au niveau du Sénat.

Il nous appartient de créer collectivement les conditions pour que ces questions soient posées à chacun de manière sincère, dans l’intérêt de tous.

Stéphane Sautarel

Sénateur du Cantal

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