CGT : les véritables enjeux de l’affaire Lepaon<!-- --> | Atlantico.fr
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Thierry Lepaon.
Thierry Lepaon.
©Reuters

Un dialogue social en restructuration

Alors que la CGT avait refusé de poser sa signature sur l'accord qui créait la rupture conventionnelle en 2008, Thierry Lepaon y aurait eu recours pour se séparer de son employeur. Une situation qui, au-delà de l'anecdote, révèle une réorganisation complète du paysage syndical français, du patronat aux représentants de salariés.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Lepaon dans le 1.000 sur la rupture conventionnelle

L’information de la semaine fut incontestablement la nouvelle révélation, distillée cette fois dans l’Express, selon laquelle Thierry Lepaon aurait bénéficié d’une rupture conventionnelle de son employeur: la CGT! lors de sa prise de fonction à la tête de… la CGT! Le chèque de sortie-rentrée se serait élevé à 32.000 euros.

Après l’affaire de ses travaux dans son appartement en location, puis celle des travaux dans son bureau, le secrétaire général se trouve croqué dans la presse pour la troisième fois en un mois. Cette fois, c’est bien une forme d’enrichissement personnel qui est visée, selon un mode qui ne peut que choquer les militants. La CGT a en effet refusé de poser sa signature sur l’accord de 2008 qui créait la rupture conventionnelle… et voilà son secrétaire général qui l’utilise à titre personnel avec le syndicat dont il est le leader. Voilà qui s’appelle Lepaon dans le mille!

Le plus fascinant est que le principal intéressé ne semble pas avoir mesuré l’ampleur des dégâts : non seulement il n’a pas jugé nécessaire de communiquer sur le sujet, mais il semble bien décidé à s’accrocher à son poste.

Lepaon rattrapé par ses ennemis

Ce petit croche-pattes dont Lepaon est victime fait suite à une longue série de maladresses, dont certaines devraient lui revenir à la mémoire. Par exemple, en octobre, Thierry Lepaon avait refusé l’accès de sa conférence de presse à une journaliste des Echos, Leila de Comarmond, jugée trop critique à son encontre. La même journaliste boit aujourd’hui du petit lait: après un article publié mardi 2 décembre où elle annonçait que Thierry Lepaon se trouvait désormais sur un siège éjectable, elle annonçait deux jours plus tard que "les grandes manoeuvres ont commencé" pour préparer la succession du secrétaire général.

Thierry Lepaon peut se mordre les doigts de ne pas avoir léché les mains qui peuvent caresser!

Les journalistes influents de la presse sociale ne semblent pas être les seuls ennemis de Thierry Lepaon, qui en tire profit pour crier au complot interne. Le seul problème dans cette théorie vient du peu de soutien dont Lepaon bénéficie de la part de ses propres amis: ses groupies Agnès Naton et Agnès Le Bot semblent peu pressées de le défendre, et se font tirer l’oreille pour figurer sur les photos où Lepaon apparaît.

Les vrais enjeux de l’affaire Lepaon

Au-delà de l’anecdote, une rupture sismique bien plus grave se joue au sein de la CGT, et bien plus inquiétante pour l’équilibre social du pays. Dans la partie d’échec qui se déroule porte de Montreuil, il commence à se dire que Philippe Martinez, secrétaire de la fédération de la métallurgie, pousserait ses pions. Si son nom n’apparaît jamais dans la fronde qui a commencé mercredi avec une réunion exceptionnelle du bureau confédéral à l’issue de laquelle une autre réunion a été décidée pour le vendredi, c’est bien avec lui que Thierry Lepaon a commencé à dealer son maintien en poste. Il lui aurait en effet proposé de le faire élire en 2016, au prochain congrès, comme secrétaire de la confédération, à condition de ne pas être destitué d’ici là.

Pour le pays, l’élection de Martinez sonnerait définitivement le glas de la réforme à la CGT, et annoncerait un retour au vieux fonds marxiste de la lutte des classes intégrale. Si l’arrivée de Martinez devait être précipitée, on en mesure les conséquences pour la modernisation du pays…

Une autre sortie de crise plausible consisterait à désigner une direction collégiale, dont la division idéologique constitue là aussi un risque puissant: alors que le gouvernement doit resserrer les boulons budgétaires pour répondre aux injonctions bruxelloises et allemandes… une CGT mal arrimée risque de perturber gravement l’ambiance politique et sociale. Là encore, le gouvernement a du souci à se faire.

Dernière hypothèse: Thierry Lepaon sauve sa tête grâce aux résultats de la CGT aux élections professionnelles dans la fonction publique…

Les fonctionnaires, arbitres de la paix sociale?

C’est évidemment la grande inconnue de la semaine: quel sera le score de la CGT aux élections dans la fonction publique?

Les résultats définitifs ne seront connus que cette semaine, mais déjà les rumeurs vont bon train. A l’Education Nationale, la FSU a cédé du terrain au profit d’un côté des réformistes (l’UNSA a gagné un point) et de l’autre côté des radicaux (SNALC et FO) opposés à la réforme des rythmes scolaires. La CGT a perdu un point. En soi, ce résultat ne suffit pas à préfigurer les résultats dans les autres ministères et ne modifie pas les équilibres internes à la CGT, traditionnellement peu présente chez les enseignants. En revanche, ils illustrent bien l’érosion des syndicats traditionnels et la polarisation du champ social entre réformistes et radicaux. La voie moyenne suivie par la CGT pourrait bien souffrir.

Un phénomène analogue s’était produit peu avant chez EDF, où la majorité traditionnelle de la CGT s’est érodée, au profit essentiel de la CGC. Le syndicat des cadres a mené une campagne très tournée vers la remise en cause de la gestion monopolistique du CCAS par la CGT, en envoyant notamment aux salariés des copies des chèques-vacances qu’ils pourraient recevoir en lieu et place des centres de vacances… La CGT ne tient plus sa majorité dans l’industrie gazière et électrique que grâce aux retraités.

Si l’on ajoute à cette tendance de fond la contestation que l’on retrouve de-ci de-là dans le secteur privé sur les règles du jeu en vigueur dans la maison CGT, par exemple dans le commerce, on comprend que celle-ci avance sur un chemin de crête dont personne ne peut prédire l’issue.

Le patronat en voie de radicalisation?

Si toutes les aventures sont désormais possibles à la CGT, le patronat est lui-même sur un chemin sinueux dont les prochains mois devraient permettre un décryptage attentif.

L’actualité de la semaine a été très occupée par la mobilisation du patron, qui n’a pas forcément brillé par son ampleur (10.000 manifestants à Paris selon les organisateurs), mais qui a frappé l’opinion. Certains, comme dans les Bouches-du-Rhône, n’ont d’ailleurs pas hésité à durcir le ton auprès des entreprises pour galvaniser leurs troupes en créant un site Internet appelé: "Entrepreneur en colère". Ce bouillonnement semble avoir plutôt plu aux Français, même si le gouvernement a dénoncé une mobilisation organisée par des mouvements non représentatifs du vrai patronat.

Dans la pratique, la mobilisation patronale a surtout servi à mesurer le poids réel de la CGPME et du MEDEF dans les PME et les TPE. A cet exercice, la CGPME semble avoir marqué des points, ce qui offre une sortie en beauté pour son président Jean-François Roubaud. Pendant ce temps, Gattaz proposait un complexe Agenda 2020, beaucoup moins mobilisateur, même si la démarche a paru plus crédible que les coups de sifflets lancés à Lyon.

Gattaz aura-t-il le même destin que Lepaon?

Pour Pierre Gattaz, la semaine s’est en fait révélée à haut risque. Le gouvernement a en effet commencé à tirer à boulets rouges sur le président du MEDEF, jugé peu fiable.

Une charge en bonne et due forme est venue d’Emmanuel Macron qui a attribué à Pierre Gattaz l’échec du pacte de responsabilité.

Le faible nombre d’accords de branche signés dans le cadre du pacte de responsabilité représente un "échec" pour le Medef, a estimé mardi le ministre de l’Economie Emmanuel Macron. Dans "pacte de responsabilité", il y a "responsabilité". (…) Très peu d’accords de branche ont été signés. "C’est un échec et c’est aussi le sien", a déclaré le ministre sur Radio Classique, en référence au patron du Medef Pierre Gattaz.

Auparavant, Stéphane Le Foll avait, en tant que porte-parole du gouvernement, affirmé qu’il y avait un problème Gattaz. Comme qui dirait, ça ne sent pas bon pour le fils de son père.

L’UIMM au centre du mouvement tectonique

A certains égards, l’UIMM donne le sentiment d’être la dernière force capable de tenir le MEDEF, et c’est pour cette raison que le départ de Frédéric Saint-Geours, jusqu’ici président de la métallurgie, ouvre une ère d’incertitude qui s’ajoute à celle de la CGT.

Seule l’UIMM est aujourd’hui capable d’entraîner l’adhésion de la CGT sur des accords interprofessionnels brutaux. C’est le cas sur le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) où le délégué général de l’UIMM conduit la négociation et devrait obtenir une signature large, y compris celle d’Eric Aubin pour la CGT, tout en proposant une diminution des indemnités. Ce genre d’exploit illustre bien l’importance de la tradition patronale.

Le changement de présidence à l’UIMM constitue-t-il un risque supplémentaire? Probablement surtout si l’on songe au destin de Frédéric Saint-Geours, grand rocardien devant l’éternel. Il vient d’être nommé président du conseil de surveillance de la SNCF, au grand dam du Front de Gauche. Son départ laisse un vide, en même temps qu’il rappelle l’étroite connivence entre les fédérations patronales et les grands commis de l’Etat. L’UIMM risque-t-elle désormais de basculer dans une vision beaucoup plus radicale de l’économie et de la société?

La CGPME ne lâchera rien

En tout cas, l’UIMM est de plus en plus seule dans le monde patronal à ne pas défendre des logiques de va-t’en-guerre. Du côté de la CGPME, le successeur de Jean-François Roubaud, François Asselin, a commencé à sortir du bois. Voici un florilège de ses propos:

Je veux que le fardeau des entreprises ne soit pas davantage alourdi. Prenons le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ) : il est question de le transformer en baisse de charges sociales. Encore un allégement, encore un processus complexe, encore des démarches : il serait tellement plus simple de repartir sur une base zéro au niveau des taux de charges sociales. Autre exemple avec la négociation sur les seuils : il faut éviter la représentation des salariés dans les sociétés de moins de 11 personnes. Cela compliquerait tout et à mon avis, il n’y a pas de sujet. Sur le terrain, on est loin de la lutte des classes.

Le patron de PME pousse le même chariot que son salarié au supermarché ; il va chercher ses enfants dans la même école. Je milite également pour un allégement du Code du travail, qui entrave l’emploi plus qu’il ne le soutient. Il est temps que notre pays réhabilite la valeur travail, redonne la liberté d’entreprendre et encourage le risque.

A l’Est, rien de nouveau donc. On voit mal comment cette position permettra de signer un accord satisfaisant sur la modernisation du dialogue social.

Des sujets à risque imminent

Dans ce contexte peu favorable, le gouvernement entame sa traversée des Thermopyles, avec tous les risques auxquels s’expose une antilope dans un troupeau de lions endormis.

Par exemple, l’ambiance chauffe déjà sur la prochaine loi Macron, qui devrait élargir le travail du dimanche. Sur ce sujet, la CFDT a déjà élevé le conflit auprès de Manuel Valls. Dieu seul sait quelles conséquences ce genre de loi peut avoir. Il est en tout cas évident que la conflictualité est plus proche de nous que jamais, dans un climat syndical dégradé, où, tant du côté salarial que du côté patronal, la tentation de la radicalité s’impose comme une évidence.

Cet article est tiré du blog d'Eric Verhaeghe

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