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Cette volonté impérialiste chinoise qui se dissimule mal derrière le projet de la route de la soie
©WANG ZHAO / AFP

Quand c’est flou…

Dans un article publié ce 12 mars par Foreign Policy, deux auteurs dévoilent le projet chinois de la route de la soie sous un jour moins "favorable" qu'un simple projet d'infrastructures comme il est présenté le plus souvent, mais comme une réelle ambition impérialiste.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque est chercheur associé à l'Institut Thomas More et co-rédacteur en chef de la revue Monde chinois nouvelle Asie.

 
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Dans un article publié ce 12 mars par Foreign Policy, Robert Daly (directeur de l'Institut Kissinger sur la Chine et les Etats Unis) et Matthew Rojansky (directeur du Wilson Center's Kennan Institute), dévoilent le projet chinois de la route de la soie sous un jour moins "favorable" qu'un simple projet d'infrastructures comme il est présenté le plus souvent, mais comme une réelle ambition impérialiste, notamment vers l'Asie centrale, tout en élaborant des stratégies d'intégration aussi bien avec l' Amérique latine que pour l'arctique. Dans quelle mesure le projet "One Belt One Road - OBOR" pourrait-il être trop naïvement perçu en dehors des frontières chinoises, et dans quelle mesure une stratégie impérialiste -ici décrite- est-elle réellement à l'oeuvre ? Quelles sont les zones directement concernées par une telle stratégie ? 

Emmanuel Dubois de Prisque : Sur un plan strictement économique, la logique des nouvelles routes de la soie est avant tout interne à la Chine. Pékin tente de reproduire à l’étranger ce qui a été fait à l’intérieur du pays quand il s’est agi de relancer l’économie en 2008-2009: dépenser de l’argent dans de nouvelles infrastructures pour trouver un emploi aux surcapacités de production des entreprises chinoises, alors même que la croissance chinoise ralentit. Il n’est pas possible d’étendre à l’infini les lignes à grande vitesse et de multiplier les villes nouvelles en Chine, alors que la population stagne. Il faut donc se tourner vers l’étranger. Le soutien par un nombre toujours plus grand de pays de la politique économique de fuite en avant du gouvernement chinois viendra le conforter dans ses choix. C’est un peu étrange, mais tout se passe comme si la fierté de leur réussite des Chinois augmentait parallèlement à leur inquiétude quant à l’avenir du monstre géopolitique qu’ils sont en train de faire émerger.

D’un point de vue géopolitique justement, les nouvelles routes de la soie sont en effet pour Pékin une façon de lier son destin à celui du reste du monde. « Nous sommes tous dans le même bateau » nous répètent à l’envi les Chinois, ce qui pour nous veut dire, au-delà de la rhétorique sympa et « inclusive », que si la Chine coule, nous coulerons avec elle, il faut donc qu’elle continue d’émerger. Espérons que ce bateau, aussi massif soit-il, ne se révèle pas être un Titanic avec des caractéristiques chinoises.

Cependant, le Parti n’est pas tout puissant à l’étranger. Il lui faut faire face à des gouvernements souverains qui ne se sentent nullement obligés par les injonctions du Parti, contrairement aux provinces chinoises. Cela fait des décennies que la Chine prévoit par exemple de construire un tunnel ferroviaire sous le bras de mer de 120 km qui sépare la Chine de Taïwan, un projet encore inclus dans le dernier plan quinquennal chinois (2016-2020). Tout est prêt aujourd’hui du côté continental pour réunir enfin « les compatriotes » des deux côtés du détroit, séparés par la méchanceté conjuguée de l’Histoire et de la géographie, tout…sauf les Taïwanais qui ignorent souverainement, c’est le cas de le dire, un des projets phares du plan quinquennal. La preuve que les provinces chinoises ne sont pas toutes logées à la même enseigne de Pékin. Qu’en sera-t-il de pays dont la souveraineté n’est contrairement à celle de Taïwan, nullement disputée par Pékin ?

De fait, toutes les zones géographiques semblent être concernées par les nouvelles routes de la soie. « L’initiative une ceinture, une route » selon son appellation officielle peut englober n’importe quelle unité géographique, n’importe quel pays, au gré des circonstances. Ce qui importe, c’est de manifester son soutien, et de montrer son enthousiasme. Bien sûr, il y a des zones plus particulièrement ciblées car le but reste de créer des infrastructures particulièrement adaptées à la structure du commerce chinois ; ce qui signifierait pour la Chine mieux contrôler ses approvisionnements et améliorer l’accès à ses marchés. L’enjeu monétaire, c’est-à-dire l’internationalisation du Yuan est important, comme le signale l’article que vous citez. Moins cependant que l’enjeu juridique (dont parle aussi l’article) car Pékin veut maintenant que les différends entre les acteurs de ces nouvelles routes de la soie soient jugés ou arbitrés par des cours et par des lois chinoises. Si la Chine parvient à devenir via les nouvelles routes de la soie un producteur de normes et de règles juridiques internationales, cela constituerait une réussite éclatante pour le « pouvoir discursif » de la Chine (Huayuquan, 话语权) un concept foucaldien que la Chine a mobilisé dans son combat pour la prééminence mondiale (la preuve que les exportations françaises ne sont pas tout à fait en panne). Si la Chine parvient vraiment à imposer de nouvelles pratiques dans ces différents domaines, cela représenterait en effet un bouleversement inédit dans la structure de la mondialisation économique et dans l’organisation du droit international. Mais nous en sommes loin et les obstacles restent nombreux. Très prosaïquement, les coûts du rail restent encore très supérieurs à ceux du fret maritime, et on voit toujours mal avec quoi remplir les trains qui repartent vers Chengdu ou Xi’an depuis l’Europe, après avoir rempli leur tâche, c’est-à-dire avoir livré les marchandises chinoises…

Valérie Niquet : Le projet de route de la soie, annoncé en 2013 par Xi Jinping a toujours possédé plusieurs dimensions. La dimension économique n’est pas négligeable. En période de ralentissement économique, il s’agit de relancer la croissance chinoise fondée sur les investissements et la construction en exportant ces capacités. En tirent partie aussi des besoins réels en infrastructures non pris en compte par d’autres partenaires des régions délaissées en Asie centrale, en Asie du Sud-Est et au-delà. Par ailleurs ces projets servent aussi les intérêts des entreprises, institutions, autorités locales qui s’y rattachent en Chine, en facilitant les subventions et les crédits au nom du « rêve chinois » de routes de la soie.

La deuxième dimension est stratégique et elle est essentielle. Il s’agissait dans un premier temps, notamment en Asie du Sud-est, de rassurer les partenaires de Pékin, inquiet de l’attitude agressive de la Chine en mer de Chine, en relançant les opportunités économiques. Il s’agissait aussi d’accroître les divisions entre les Etats les plus dépendants de Pékin et ceux qui conservent une attitude plus prudente.

Enfin, au-delà de la réalité des projets, il s’agit aussi d’imposer l’image d’une Chine toute puissante, dont l’émergence s’impose sans conteste, et cette image est l’un des éléments majeurs de la légitimité& du modèle chinois et d'un parti communiste que Xi Jinping veut revitaliser pour éloigner tout risque de changement de régime.

Toutefois, derrière le voile des déclarations impressionnantes, qui annoncent plus de 1000 milliards d’investissements et des centaines de projets, la réalité est moins simples, et les réalisations annoncées ne sont souvent que la « labélisation" de projets beaucoup plus anciens. Par ailleurs, après une période d’enthousiasme initial, et la volonté de certains pays de profiter des opportunités offertes par la Chine, la méfiance est également très présente. Notamment face aux risques d’endettement massif et à la volonté chinoise de prendre le contrôle totale de certaines réalisations stratégiques dans les pays cibles comme au Pakistan ou à Ceylan. Enfin, pour la Chine elle-même, les pays les plus intéressés sont en général les moins solvables, qui n’ont pas accès aux grandes agences d’aide internationale, et les risques de défaut  sont très élevés.

Les auteurs évoquent un contexte actuel présentant une "période d'opportunité stratégique pour la Chine". Quelles sont les causes qui ont pu aboutir à un tel contexte d'opportunité pour Pékin ? 

Emmanuel Dubois de Prisque : Les auteurs citent un éditorial du Quotidien du Peuple qui en janvier 2018 a fait grand bruit. Cet éditorial affirmait que le capitalisme était en crise et que le monde avait un besoin urgent de la Chine et de ses solutions miracles. Rien de nouveau en somme sous le soleil rouge du communisme nationaliste chinois : souvenons-nous de Mao dont la propagande chinoise nous affirmait qu’il faisait l’objet d’un culte fervent aux quatre coins de la planète. C’était d’ailleurs parfois vrai. Aujourd’hui, l’élection de Donald Trump, et plus généralement les doutes occidentaux quant aux bienfaits de la mondialisation, favorisent le sentiment de Pékin que son heure est enfin arrivée. C’est la conclusion du discours-fleuve de Xi Jinping lors du XIXème Congrès en octobre dernier. Mais ce n’est pas la première fois que cela se produit. Un même sentiment s’était déjà fait jour après la crise financière de 2008. Les déclarations à l’emporte-pièce de certains militaires et politiques chinois avaient entrainé une réaction des pays voisins de la Chine qui se concrétisent aujourd’hui dans des stratégies d’alliance de plus en plus solides, entre l’Inde et le Japon par exemple. Mais que les doutes occidentaux nourrissent la fierté chinoise n’est guère une nouveauté.

Dès la fin des années 1960 et durant les années 1970, Américains et Européens, conservateurs et gauchistes, en plein traumatisme post-Vietnam et post-colonial, regardaient vers l’Orient et admiraient de conserve ce « phare de la pensée mondiale» qu’était paraît-il Mao Zedong. Si nous sommes revenus de ce romantisme de pacotille, la Chine continue d’exercer une fascination sur les esprits modernes qui se veulent en avance sur leur temps et sur leurs contemporains, et qui radotent depuis des lustres sur l’avènement d’un « siècle chinois ». Aujourd’hui, beaucoup d’hommes d’affaires et d’ingénieurs occidentaux admirent l’ambition chinoise qui se manifeste dans les nouvelles routes de la soie. Les projets pharaoniques chinois qui ne s’embarrassent pas de consultations locales et syndicales interminables fascinent ceux qui en Occident regrettent le bon vieux temps des trente glorieuses durant lequel l’Europe (et singulièrement la France) construisait des autoroutes somptueuses et des entrées de ville hideuses. Les nouvelles routes de la soie sont un rêve d’ingénieur des ponts et chaussées à l’échelle mondiale où il s’agit d’aller toujours plus vite et toujours plus loin, grâce à des infrastructures toujours plus performantes. Ces nouvelles routes de la soie sont les routes de l’affairement et de la vitesse, à mille lieux de l’imaginaire de la lenteur des routes de la soie « historiques ». Je conseille de jeter un œil à ce propos sur une vidéo de propagande assez distrayante de l’agence Chine nouvelle qui tente de vendre ce rêve d’ingénieur au grand public…

Valérie Niquet : Pékin décrit la période qui a suivi la crise de 2008 comme une période d’opportunités, avec la remise en cause du modèle libéral démocratique et l’affaiblissement des Etats-Unis comme une période d’opportunité dont la Chine doit profiter pour imposer son retour en tant que puissance leader incontestée en Asie. Toutefois, si les commentaires font encore référence à cette période, c’est aujourd’hui l’inquiétude qui l’emporte à Pékin. Cette période d’opportunité se réduit, la Chine fait face à des problèmes économiques graves qu’elle ne peut résoudre sans remettre en cause les fondements mêmes d’un système qu’elle ne veut pas changer. La stratégie plus agressive de la Chine en Asie suscite des inquiétudes et une volonté plus grande de voir les Etats-Unis et même le japon jouer un rôle plus important dans la région. Pour les dirigeants chinois c’est l’urgence qui un sentiment d’urgence qui l’emporte et de course en avant. Dont font partie les projets de route de la soie.


Toujours selon les auteurs, Pékin devrait être confronté à une résistance, aussi bien de la part de la Russie, du Kazakhstan, ou encore du Pakistan, pourtant proche de la Chine. Comment s'organisent ces différents pays pour faire face aux ambitions de Pékin ? 

Emmanuel Dubois de Prisque : Beaucoup de pays ne cherchent pas « à faire face aux ambitions de Pékin ». Après tout, c’est la Chine qui est demandeur. Il y a sans doute un piège dans lequel ni la Chine, ni les pays récipiendaires ne devraient se laisser enfermer. La dépendance à l’égard de la Chine de certains pays, en Afrique et ailleurs peut devenir importante. La Chine rachète la dette de certains partenaires. Il est facile d’imaginer des cas où un changement politique par exemple pourrait entraîner une montée de tension avec le partenaire chinois devenu synonyme de soumission économique, voire politique. Cela s’est déjà produit. Il est rare qu’un pays imagine à priori se lancer dans une politique coloniale, mais il est possible que Pékin se trouve un jour pris avant même de s’en rendre compte dans une politique de ce type en voulant protéger ses intérêts outre-mer, contre un partenaire devenu récalcitrant à la domination chinoise…

La Chine rêve généralement de cantonner ses partenaires à une relation bilatérale dans laquelle elle se trouve en position de force. Mais même dans ce cadre-là, on constate que de nombreux projets sont remis en cause simplement parce que les intérêts chinois et ceux des États visés ne convergent pas nécessairement. En outre, d’autres pays tentent de proposer une alternative : c’est notamment le cas du Japon et de l’Inde, ce dernier pays étant pourtant officiellement inclus dans les pays qui soutiennent l’initiative chinoise, si l’on en croit ce site officiel (déjà donné par l’article que vous citez), malgré les virulentes critiques indiennes lors du premier sommet international consacré aux nouvelles routes de la soie en mai 2017 à Pékin. Plusieurs pays et individus se sont trouvés embarqués contre leur gré par la propagande chinoise dans un soutien aux nouvelles routes de la soie. Les listes officielles des pays et organismes qui sont censés soutenir les nouvelles routes de la soie sont impressionnantes, même s’il est difficile de savoir de quelle nature et de quelle ampleur est ce soutien supposé. On a parfois l’impression que le régime chinois souffre du syndrome de Clérambault, cette maladie qui touche ceux qui se pensent aimés par des gens qui n’éprouvent qu’indifférence ou crainte à leur égard…

Valérie Niquet : Pékin fait donc face à des réticences quand elle va trop loin et les pays de la région tentent en réalité de tirer parti de toutes les opportunités en évitant de se mettre totalement en situation de dépendance à l’égard de la Chine. Pour la Russie, isolée par les sanctions, la dimension stratégique est également présente, avance la volonté de mettre en avant - face à l’occident - l’image d’un front uni autour du partenariat stratégique russo-chinois. Mais en dépit d’une coopération réelle, la méfiance existe, fondée sur des intérêts qui ne concordent pas toujours notamment dans le domaine économique. En revanche, en Asie centrale, la Chine dispose d’une "force de frappe économique », contre laquelle il est difficile de s’opposer sans solution de rechange.

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