Cette rupture historique qui émerge derrière l’orgie d’images de violence du Hamas<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats israéliens fouillent le site de l'attaque menée par le Hamas contre le festival de musique du désert Supernova, près du kibboutz Reim, dans le désert du Néguev, dans le sud d'Israël, le 12 octobre 2023.
Des soldats israéliens fouillent le site de l'attaque menée par le Hamas contre le festival de musique du désert Supernova, près du kibboutz Reim, dans le désert du Néguev, dans le sud d'Israël, le 12 octobre 2023.
©Menahem KAHANA / AFP

Une plongée dans l'horreur

L’attaque du Hamas contre Israël s’est accompagnée d’une orgie d’images de violence, et pire, d’images de mise en scène sadiques.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : L’attaque du Hamas contre Israël s’est accompagnée d’une orgie d’images de violence, et pire, d’images de mise en scène sadiques. Beaucoup ont évoqué Daesh et ses vidéos. A quelles autres filiations peut-on penser ? Cartels ? Rap US ? Wagner ? Daesh ?

Xavier Raufer : Dans le monde de YouTube et des réseaux sociaux, toute vidéo reçoit sa charge de violence en fonction du public souhaité - et de l'effet de menace ou de terreur recherché. Il y a une dimen­sion vantardise, un peu puérile chez les rappers, morbide pour les cartels du Mexique. Wagner a réussi l'exploit médiatique de ressusciter la "guerre fraîche et joyeuse". Viens avec nous combattre ! C'est plus drôle que le bureau de 9h à 17h et les soirées télé avec sa copine ! Courte mais bonne. Sur le T-shirt d'un gangster "Blood" de South-Central Los Angeles, qui n'avait pas 20 ans, j'ai lu ceci : "Here today, gone tomorrow", qu'il est inutile de traduire. On trouve toujours les mêmes composantes : fascination pour la mort, pouvoir la donner, savoir l'accepter. Ajoutons la drogue : combattants du front russo-ukrainien, moujahidine de Hamas, gangsters juvéniles ou sicarios du Mexique, tous soutenus-poussés par des stupéfiants-exci­tants cocaïne, le captagon, le meth', etc.

Que nous apprennent ces autres « filières » de vidéos violentes que vous évoquez ? Ces vi­déos sont-elles efficaces « militairement » ou en matière de gestion des rapports de force ? Ef­ficaces politiquement ?

Xavier Raufer : Dans le fond du tableau, ces vidéos créent une exaltation qui rend le reste possible. Elles ou­vrent la voie aux pires transgressions (tu ne tueras pas, etc.). L'excitation passée, la poussée d'adrénaline par la drogue dissipée, nombre de terroristes en gardent des cauchemars du­rables. Le rôle de ces vidéos, comme des discours violents ou des musiques excitantes, est de libérer l'adrénaline de jeunes hommes, de provoquer leur violence, de stimuler leur agressi­vité. Résumons : de regarder la mort dans les yeux.

Que savons-nous de l’impact relatif des images sur notre cerveau - et notamment des images choquantes voire traumatisantes - si on le compare à celui des mots et des discours ?

Xavier Raufer : Le cerveau humain est vite lassé. Livré à une activité fréquente, il exige toujours plus : c'est vrai pour le porno, pour les pratiques sadomasochistes - comme pour les vidéos violentes. Il y a une addiction aux tortures, aux égorgements et comme pour les stupéfiants, la logique est celle du toujours plus. Certains, hypnotisés par les décapitations de Daesh, face caméra, ont dû être désintoxiqués, ni plus ni moins que pour l'alcoolisme. Mais attention : la fascination pour la violence n'induit pas forcément un passage à l'acte, de même que le porno ne conduit pas fatalement au viol. Disons pudiquement, qu'en pareil cas, il y a autant d'individus que ça excite, que d'autres que ça soulage. Dernier point : la maladie mentale est FORCÉMENT indivi­duelle ; un être humain est seul avec sa schizophrénie, etc. Si donc ensuite passage à l'acte il doit y avoir, il sera individuel - d'où, risque limité.

Bertrand Vergely : Rien n’est plus prenant que l’image. Pour une raison simple. Elle ne permet pas de recul. Une parole, un discours permettent d’avoir du recul. Comme avec eux on entend sans voir, on n’est pas prisonnier de ce que l’on voit. Certes, les mots capturent et l’on a du mal à s’en défaire quand ils le font. Mais ils n’ont pas le pouvoir que possède l’image. Quand on voit, on est la réalité que l’on voit. Quand on parle, on ne l’est pas.

On dit à juste titre qu’il y a des choses qu’il ne faut pas montrer. On a raison. On sait que si on les voit, il va y avoir un phénomène d’emprise. L’érotisme en est l’illustration. Une chose est de parler d’une scène érotique. Une autre de la voir. Quand on la voit, on est non seulement pris mais sous emprise. Avec la violence, il en va de même.

Celle-ci fascine, surtout quand elle est repoussante. Il est toujours tentant de voir ce que l’on ne devrait pas voit. Ce qui révulse fascine. Quand on le voit, une bascule s’opère. On avait peur. On voulait fuir. On voulait se protéger de la violence qui fait mal. En ne fuyant pas, en osant regarder l’irregardable, on éprouve un sentiment de force et de supériorité. On domine ce qui auparavant nous dominait.

Les pervers le savent. C’est la raison pour laquelle ils ont l’art de tenter en donnant à voir le hideux. Ils savent que si tout le monde ne va pas regarder, certains regarderont et, quand ils regarderont, éprouvant un sentiment de supériorité, ils deviendront des pervers comme eux. 

Dans 1984, George Orwell montre que la société totalitaire qu’il décrit a l’art de lancer des formules paradoxales du style « La paix, c’est la guerre » ou bien encore « La liberté, c’est l’esclavage ». Ces formules agissent exactement comme les images que l’on ne devrait pas voir et que l’on voit quand même. En les écoutant alors qu’on ne devrait pas, éprouvant un sentiment de supériorité, on devient un pervers. Il s’agit là d’un phénomène de contagion que l’on retrouve dans les injonctions paradoxales. Créant un phénomène de sidération en court-circuitant la logique, elles provoquent un phénomène épidémique de sidération. Comme on est sidéré, on va sidérer. La sidération devenant générale, le pouvoir avec ses logiques d’emprise va devenir absolu. Avec les horreurs qui sont montrées, c’est bien à ce à quoi on a affaire. Le Hamas a pris le pouvoir du mental planétaire en sidérant celui-ci.

Lorsque l’on a affaire à des images hideuses, il est dit qu’il est aussi grave de les regarder que de les montrer. On pourrait penser que celui qui regarde n’est pas responsable de ce qu’il voit. Il l’est. Sans un voyeur, un exhibitionniste n’est rien.

La glorification graphique de la violence avait disparu dans le monde et a fortiori en Occi­dent depuis la Première Guerre mondiale et les images de soldats la fleur au fusil. Que révèle ce re­tour fracassant sur le Hamas d’une part, et sur la manière dont le monde arabe s’en est em­paré d’une autre ? Que dire enfin sur ceux qui en Occident les regardent et s’en réjouissent, ou les minimisent ?

Xavier Raufer : Seul l'humanisme bêlant croit que l'homme s'améliore au fil du temps. La société limite tant qu'elle peut l'accès de l'homme aux voies et moyens de la vio­lence - mais dès que l'occasion existe, il retrouve avec joie (parfois, soulagement) les pratiques ancestrales. Plus on veut l'adoucir, plus l'effet de rebond est brutal. La sagesse ancienne dit "Qui veut faire l'ange, fait la bête". La société actuelle fait tout pour amadouer l'être humain ; son discours et sa pratique va dans ce sens depuis au moins huit décennies mais tout cela peut éclater en une seconde. Fin juin dernier, une semaine d'émeutes en France, le pays à feu et à sang, un milliard d'euros de dégâts - nul n'a prévu, nul n'y a rien pu.

Bertrand Vergely : Il est vrai que, depuis la guerre de 14, les nations ont cherché à cacher leur violence. Dans la guerre en Ukraine, les Russes commettent des crimes de guerre. Ils ne s’en enorgueillissent pas. Au contraire. Ils cherchent à masquer leur violence et quand il en est question, ils nient la réalité des faits en criant à la fausse information. Les Russes font encore partie du monde d’hier.

Le monde a changé quand le terrorisme islamiste est apparu sur la scène internationale avec Al Qaïda et Daech. La mise en scène de la violence et de la cruauté sur un mode hollywoodien est devenue un ressort essentiel de celles-ci. Ainsi, dans les attentats qui ont eu lieu à New York en 2001 et à Paris en 2015, le principe a été le même. Déclencher une violence inouïe à travers des attentats phares particulièrement meurtriers tout en commettant plusieurs attentats en même temps de façon à apparaître non seulement comme des terroristes cruels et sanguinaires mais comme des terroristes en série. Dans cette logique, avec les atrocités qui ont été commises par le Hamas en Israël, un élément nouveau est apparu : la violence, qui était énorme et en série, est devenue pornographique, le Hamas se mettant à faire circuler des images de corps décapités comme les réseaux pornographiques font circuler des images pornographiques. Depuis une semaine que ces images circulent, tout en s’indignant de ce qu’il voit, le monde ne peut pas s’empêcher de se rincer l’œil face à des images insoutenables. Nous vivons à l’heure de la communication mondiale, de l’image, du voyeurisme et de l’exhibitionnisme mondialisés. Le Hamas, qui a parfaitement compris les ressorts de notre époque, en joue. 

Quel impact peut-on imaginer que ces images laisseront sur la perception du conflit israélo-palestinien ? Comme sur les fractures culturelles, religieuses ou ethniques spécifiques aux so­ciétés occidentales ?

Xavier Raufer : Comme toujours dans la vie en société, l'impact d'images ou de situations, vues ou vécues, est collectif et les dégâts sur l'esprit humain, individuels. Certains absorberont et oublieront très vite, d'autres en seront hantés à vie. Et la violence est un phénomène culturel : pour les reli­gions monothéistes apparues dans la péninsule arabe, l'égorgement a un effet cathartique, le massacre, tribal ou autre, est vu comme manifestation de la colère divine. Et bien sûr, la vengeance est un devoir sacré. Certes, il s'agit d'un substrat culturel, mais il transparaît par­fois. Dans la "feuille de route" des terroristes du 11 septembre 2001, l'égorgement des pi­lotes des avions n'était pas rendu par le mot "tuer" mais par celui de l'immolation rituelle (Abraham, rêvant d'égorger son fils). Bref : tout cela remonte fort loin.

Bertrand Vergely : Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. On ne pourra y répondre que quand la riposte israélienne se sera déclenchée et achevée, que les armes se tairont et que les Israéliens et les Palestiniens essaieront de cohabiter à nouveau. Là et seulement là, il sera possible de mesurer les effets de ce qui se passe actuellement. Si la guerre dure, si des massacres sont perpétrés, si la situation dans la région devient inextricable, on pourra dire que ce qui se passe actuellement aura eu un effet, en l’occurrence installer durablement une impossibilité de non-agression dans la région. Si tout revient à une pseudo normalité, on pourra minimiser cet impact. Les pays arabes se gardent actuellement d’intervenir. S’ils décident de mettre le Hamas à la raison en voyant en lui un danger pour leur stabilité, on pourra dire que les choses ont vraiment changé. On n’y songe pas assez, mais ce que vont faire les pays arabes est un élément déterminant dont il faut tenir compte.

Les nazis savaient que malgré l’antisémitisme, l’extermination des Juifs choquait, et encore plus en Europe de l’Ouest. Ils avaient gardé une forme de notion du Mal. Ils ont tout fait pour euphémiser et effacer les traces de la Shoah. Les Hamas, Hezbollah & consorts l’assument au grand jour. Et trouvent partout en Occident des militants auto-proclamés du Bien pour leur en donner quitus. S’agit-il d’une rupture anthropologique ?

Xavier Raufer : En pleine conscience de l'horreur de tels propos, pour les nationaux-socialistes allemands, le "Judenvernichtung" était un acte d'hygiène : il s'agissait "d'éliminer des nuisibles humains". Pas de quoi s'en vanter, ni besoin d'une publicité spéciale. Les islamistes se vantent de retrou­ver la grandeur de la conquête de l'Islam, où ceux qui résistaient à l'appel de Dieu passaient au fil du cimeterre. En Europe, ceux qui appellent ça de leurs vœux sont des imbéciles, égarés par des lubies idéologiques leur ôtant même le moindre bon sens. Ce sont un peu des Lemmings humains. Laissons-les courir vers la falaise ! Et par gentillesse, espérons qu'ils se recevront en bas, sans trop de mal.

Bertrand Vergely : Élie Wiesel, qui a été déporté, a effectivement constaté que les nazis avaient un sens du bien et du mal. Il importe de préciser lequel. Les nazis n’avaient pas un sens du mal, sinon ils n’auraient pas exterminé les juifs comme ils l’ont fait. En revanche, ils avaient un sens de l’ordre et de l’obéissance. Ayant un tel sens, ils ont interdit que l’on joue avec la cruauté comme le fait le Hamas afin de garder le contrôle de leur pouvoir. Quand on joue avec la violence, c’est l’épidémie de cruauté qui a le pouvoir. Ce ne sont plus les chefs en place. Pour les nazis, il fallait que les chefs gardent le pouvoir. Ainsi, concrètement, ils ont gardé le contrôle de la cruauté en industrialisant la mort. Rober Merle l’a bien compris en résumant la vie d’un directeur de camp de concentration par cette formule : « La mort est mon métier ». Hannah Arendt l’a bien compris, elle aussi. Lors du procès d’Eichmann à Jérusalem, la médiocrité de celui-ci l’a frappée. Eichmann a pu déchaîner le mal comme il l’a fait parce qu’il l’a banalisé en en faisant le rouage d’une logique administrative. Quand il tuait, ce n’était pas par appétit sanguinaire mais par souci de respecter administrativement les quantités quotidiennes de déportés à gazer et à brûler. Quand le Hamas extermine, il n’industrialise pas la mort. Il en fait un mélange de série télévisuelle et de selfie pour réseaux sociaux.

Le monde démocratique postmoderne étant un monde qui passe son temps à jouer, le Hamas a appliqué ce principe du jeu avec la mort en exhibant des images particulièrement atroces de façon à fasciner un monde de joueurs. Cette attitude faisant exploser le politique, en agissant ainsi, il est juste de dire qu’il s’agit là d’une rupture anthropologique. Quand on est politique, on est cohérent. On a un projet. On ne tue pas pour tuer. Quand on tue pour tuer, n’ayant aucun projet à part celui de tuer, on est dans ce que Jean Baudrillard a appelé une logique de stratégie fatale. Le terroriste qui fait tout exploser en se suicidant est dans une telle logique. Le Hamas est dans cette logique. Appelant à exterminer sans autre but, il signe la mort du politique et son remplacement par une plongée dans l’archaïque le plus obscur sur un mode apocalyptique.

Quand l’extrême gauche abuse du terme nazi pour discréditer ses adversaires, quand elle soutient le terrorisme palestinien soit du bout des lèvres soit ouvertement, elle agit de même. Elle fait régresser le discours politique et son intelligence à une plongé dans l’obscurité archaïque sur un mode apocalyptique. Le terrorisme intellectuel existait, mais il n’était pas devenu une épidémie. Explosant de partout du fait de la communication mondialisée, il est désormais une épidémie.

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