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Les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont fortement impacté la jeunesse.
Les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont fortement impacté la jeunesse.
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Malaise chez les jeunes

Selon la DREES, les taux de syndromes dépressifs ont connu une hausse au printemps 2021, en particulier chez les jeunes. Ces hausses sont notamment liées aux conséquences de l’épidémie de Covid-19.

Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico : Aux États-Unis, selon le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies,  la part des lycéens américains qui déclarent éprouver des « sentiments persistants de tristesse ou de désespoir » est passée de 26 % à 44 % entre 2009 et 2021. La situation est-elle identique en France ? Quels sont les chiffres dont nous disposons sur ces évolutions de long terme ? 

Xavier Briffault : Il est assez difficile d’interpréter de tels chiffres sur une période aussi longue. On sait qu’avant la crise, les taux de dépression étaient relativement stables, que ce soit chez les adultes, les adolescents ou les enfants. En revanche, entre 2019 et 2021, suite à la pandémie de Covid-19, le pourcentage d’adultes souffrant d’un épisode dépressif chaque année est passé en France de 6% à 13%. Cette proportion est sans doute plus élevée chez les sujets les plus jeunes car l’adolescence est une période de construction de la personnalité et les stresseurs ont un impact bien plus fort. Pour les jeunes, l’incompréhension de la nécessité d’un confinement et l’impact majeur que cela a eu sur eux peut donner lieu à des troubles internalisés comme l’anxiété et la dépression, mais aussi des affects comme la rage, la colère et l’agressivité. 

Atlantico : Selon la DREES, les taux de syndromes dépressifs ont baissé entre mai et novembre 2020 pour retrouver des niveaux proches de ceux de 2019, sauf chez les jeunes et les demandes de soins liés à la santé mentale restent plus fréquentes au printemps 2021, en particulier chez les jeunes.La DREES évoque différents facteurs. Comment peuvent-ils expliquer cette augmentation de cas de dépression chez les adolescents

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1. L’utilisation des réseaux sociaux

Xavier Briffault : On entend souvent parler de l’utilisation des réseaux sociaux, qui sont accusés de tous les maux. Selon moi, il s’agit en réalité d’un gimmick. Certes les écrans peuvent avoir un impact physique. La lumière bleue affecte le noyau suprachiasmatique, modifie le fonctionnement du rythme circadien, ce qui provoque de nombreux troubles du sommeil. Associé au fait que la consommation d’écran diminue le temps passé à faire de l’activité physique, celapeut engendrer des problèmes. Pourtant, les réseaux sociaux ont selon moi de nombreux avantages pour les jeunes. S’ils peuvent aggraver certains problèmes pour les personnes fragiles ils sont aussi une source d’information, de distraction, permettent de se socialiser … 

2. La socialisation est en baisse

On entend également régulièrement que la socialisation est en baisse. Je pense qu’elle est en fait en transformation. Je ne pense pas que les jeunes soient moins sociables, je pense qu’ils le sont juste différemment. Il ne faut pas y voir une pathologie ou quelque chose de massivement délétère. Ils ont en particulier des capacités de socialiser et de se soutenir à distance, ce que de nombreux adultes rêveraient d’avoir, en particulier dans des contextes où la socialité présentielle est empêchée. 

3. Le monde est de plus en plus stressant

Il est difficile d’aller à l’encontre de cette idée, surtout depuis le début de la pandémie de Covid-19. Je ne pense pas pour autant qu’il faille psychiatriser en permanence la relation au monde. Quand on parle de l’inquiétude environnementale et qu’on en fait un phénomène psychiatrique, on « maladise » simplement une inquiétude légitime, une difficulté mobilisatrice ou une simple anxiété. Pourtant, on aperçoit beaucoup de récupération médicalisante avec des traitements psychiatriques de l’éco-anxiété des jeunes. Les générations nées dans les années 1960 avaient peur de la guerre froide, de la guerre nucléaire, du Sida dans une moindre mesure … Aujourd’hui, il y a peut-être des choses plus angoissantes comme la pandémie ou la guerre sur le territoire européen. C’est anxiogène certes, mais le monde était infiniment plus dangereux au siècle dernier. De plus, quand on regarde les études sur la violence, on remarque qu’elle baisse continument dans nos sociétés contemporaines.Mais la tolérance à la violence baisse elle aussi et nous sommes beaucoup moins tolérants au stress, à la peur, à la maladie … Le vécu est donc de plus en plus terrible alors que les phénomènes ne le sont pas nécessairement. 

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Atlantico : Y aurait-il d’autres facteurs ? 

Xavier Briffault : Il est connu que les situations stressantes, l’anxiété ou la dépression sont des promoteurs du recours à des substances psychotropes. Cela peut-être de l’alcool, du tabac, du cannabis ou d’autres drogues comme des médicaments. La propension à recourir à de telles substances est un véritable problème mais ce n’est pas l’usage de drogues en lui-même qui rend la santé mentale des jeunes déficiente. C’est parce que la santé mentale est impactée par des facteurs exogènes qu’ils ont recours à des substances psychotropes. 

Atlantico : Selon une étude du gouvernement américain, plus d'une fille sur quatre a déclaré avoir sérieusement envisagé de faire une tentative de suicide pendant la pandémie, soit deux fois plus que les garçons. Pour les individus qui se réclament proches du mouvement LGBTQ, ce chiffre monte à près de 50%, contre 14 % pour les individus hétérosexuels. Comment expliquer cette vulnérabilité accrue et est-elle similaire en France ? 

Xavier Briffault : Les tentatives de suicide et le suicide sont des phénomènes très genrés, c'est à dire qui dépendent du sexe des individus et de la construction sociale des rôles et identités sexuées. De très nombreux travaux ont été effectués sur le sujet. Les tentatives sont essentiellement réalisées par des jeunes femmes, alors que les morts sont généralement des hommes âgés. Il faut également rappeler que le suicide est assez rare chez les jeunes.

En ce qui concerne les difficultés liées à l’identité de genre, ce qu’on appelle en psychiatrie la dysphorie de genre, on peut expliquer ces chiffres plus élevés par une stigmatisation, par un rejet social, une remise en cause personnelle, la difficulté à se construire un système relationnel stable à une époque où c’est le moment de le faire, des difficultés à avoir une sexualité satisfaisante, des rejets au sein de la famille … Tous ces éléments contribuent à la dépression et donc parfois à des tentatives de suicide. On peut cependant s’attendre à une plus grande normativité des orientations sexuelles plurielles et donc à une diminution des cas de dépression pour ces personnes dans l’avenir. 

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Atlantico : Faut-il s'attendre à ce que la tendance à la dégradation de la santé mentale des jeunes se poursuive ?

Xavier Briffault : Je pense malheureusement que cette tendance va se poursuivre. Les troubles mentaux ont une grosse latence. Ils mettent beaucoup de temps à se développer avant de devenir chroniques. De plus, il faut savoir que les traitements sont généralement peu efficaces. Comme ces jeunes n’ont pas la trajectoire de vie qu’ils sont en droit d’avoir et qu’ils vont rencontrer des problèmes d’apprentissage et de socialisation, on peut craindre que les inégalités sociales s’accroissent, renforçant le phénomène de dépression. De nombreux choix des politiques anti-covid ont été faits au détriment des jeunes, en considérant qu’engendrer des problèmes de santé mentale en masse dans cette population n’était pas si grave en regard de la diminution de la circulation virale que cela engendrait, et de la protection supposée des populations à risque que cela permettait. Il faut absolument mettre un terme à cette consternante erreur de raisonnement. D’une part les troubles mentaux peuvent être extrêmement graves, et constitueront un problème critique de santé publique à l’avenir si les jeunes continuent d’être aussi sévèrement impactés. D’autre part, il ne faut pas faire porter à la partie de la population la moins concernée par le risque Covid la charge de protéger la frange marginale la plus à risque, dans la mesure où celle-ci dispose aujourd’hui de toutes les connaissances et moyens matériels pour se protéger elle-même (vaccins, masques FFP, gestes barrières…).

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