Cette gigantesque lâcheté politique que masque la volonté de réformes affichée par le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Elisabeth Borne assistent à une cérémonie marquant le 82e anniversaire de l'appel à la résistance lancé par le général de Gaulle le 18 juin 1940. Mémorial du Mont Valérien, 18 juin 2022
Emmanuel Macron et Elisabeth Borne assistent à une cérémonie marquant le 82e anniversaire de l'appel à la résistance lancé par le général de Gaulle le 18 juin 1940. Mémorial du Mont Valérien, 18 juin 2022
©©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Manque de courage

Réforme des retraites, de l’assurance chômage ... Plutôt que de se lancer dans de nouveaux chantiers ambitieux, le gouvernement préfère mettre en place des réformes afin de libérer des marges de manœuvre budgétaire pour mieux faire face aux engagements de l’État.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Le gouvernement a admis que la réforme des retraites n’a pas uniquement vocation à viser l’équilibre ou la soutenabilité du système par répartition mais à libérer des marges de manœuvre budgétaires pour faire face aux engagements de l’État. Dans quelle mesure le gouvernement utilise-t-il ce genre de réformes pour ne pas avoir à se lancer dans de vrais chantiers d’économies ?

Jean-Yves Archer : La réforme des retraites est une nécessité maintes fois repoussée. D'autant que le système par points était totalement illusoire dans un pays qui compte plus de 40 caisses de retraite. Dans les joutes oratoires de la campagne présidentielle, seul François Fillon avait démontré posément mais de manière implacable que le système par points était irréaliste en France. Au plan budgétaire, il serait intéressant de savoir combien ont coûté les deux ans de consultation, à table ouverte, de Jean-Paul Delevoye. Deux ans pour aucun aboutissement sauf une pile de factures pour le contribuable. Décidément, l'équipe Macron ne sait pas tenir la situation à rênes courtes. Avec les millions d'Euros des consultations plus ou moins erratiques de Delevoye, il aurait été possible de procéder à la rénovation intégrale de plusieurs SAMU.

Si l’on regarde les ordres de grandeur, combien va faire gagner la réforme des retraites, de l’assurance chômage, et autres réformes au budget de l’État ? A quel point est-ce limité en comparaison des sommes identifiées par les rapports de la Cour des comptes comme source de gaspillages ?

Votre question est essentielle et mérite une séquence de réponses. Tout d'abord, la réforme des retraites – qui, pour l'heure, serait insérée via des articles habilement glissés dans le futur PLFSS – est un chiffon rouge dont il n'est pas établi qu'il sera voté dans la sérénité mais bien plutôt au moyen du recours à l'article 49-3. De plus, une telle réforme s'étale dans le temps et ne garantit donc des recettes conséquentes qu'à moyen terme. Pour l'heure, la France se singularise ( par rapport à ses partenaires de la zone Euro ) par un système qui pèse 14,5% de son PIB. Et encore, il y aurait matière à discussion technique sur les tables de mortalité retenues dans la détermination des pensions des fonctionnaires et des régimes spéciaux qui sont inscrits en engagements hors-bilan, cette fameuse dette implicite de plus de 4.000 Mds  ( quatre mille ) où la discrétion devient chaque année plus suspecte par-delà le rapport sénatorial de Nathalie Goulet en 2019.

L'hypothèse de travail de certains experts qui entourent le gouvernement est que deux voire 3% de PIB ( soit environ 40 Mds ) pourraient provenir d'une réforme des retraites qui serait fracassante : allongement des annuités pour les cotisants et tassements non négligeables des retraites servies.

En matière de retraites, une règle simple s'impose à l'État voire à la Nation. Tout gain significatif est un jerrican de produits inflammables à destination du corps social. Et par ricochet à l'endroit du pouvoir exécutif. Certains oseraient parler de jurisprudence de la rue en pensant au talent de 1995 d'Alain Juppé.

Si le président Macron avait su maîtriser ce dossier, il aurait alourdi la réforme Touraine qui, au fil des ans, est un nœud coulissant finalement assez crédible.

La réforme de l'assurance-chômage relève d'un autre régime juridique et ne s'inscrit pas au budget de l'État. Trois points : en premier lieu, la dette de l'Unedic qui a dépassé 60 Mds fait l'objet d'un refinancement bancaire sous caution de l'État qui inscrit cela dans …. ses engagements hors-bilan et non dans la dette dite de Maastricht. En second lieu, il faut savoir que 10% du budget total de Pôle emploi est répercuté dans les comptes de l'Unedic. Voilà un bel exemple de tour de passe-passe. Alors que l'Unedic est un système assurantiel, on lui flanque une charge publique que les partenaires sociaux ne peuvent maîtriser pas plus que le travailleur qui paye chaque mois ses cotisations chômage. Nous vivons décidément dans une économie administrée où l'État alimente le déficit d'une structure dont il cautionne après la dette. Il suffisait d'y penser et puis ainsi, c'est encore une dette à exigibilité différée ! Troisième point, la création de France Travail ne devrait rien modifier ce qui démontre, une fois encore, la désinvolture de la gestion publique depuis 2017 qui s'inscrit dans la droite ligne des erreurs des précédents quinquennats. La réforme de l'assurance-chômage sera peut être incitatrice en matière de retour à l'emploi mais ce n'est pas ses gains financiers prévisionnels qui sont en haut de la pile. La volonté de réformes affichée est donc, hic et nunc,  trompeuse.


Si l’on regarde à l’international, quels sont les postes budgétaires où la France dépense, de manière injustifiée, plus que ses voisins ? 

Le mammouth !  Oui, pour reprendre le célèbre mot du ministre Claude Allègre, le ministère de l'Éducation coûte beaucoup pour un rendement pédagogique de plus en plus déceptif et pour un bilan social sinistre, il suffit de voir combien sont payés les enseignants.

Premier poste du budget de l'État, l'Éducation nationale représente un total de 55,2 milliards d'euros, loin devant le ratio dépenses sur PIB de nos voisins. D'autant qu'il faut ici noter la notion de dépense publique éducative qui alourdit la barque.

L'efficacité de cette structure ministérielle qui demeure encore trop centralisée est un défi pour notre pays. J'ai une certaine méfiance pour les comparaisons internationales mais je sais qu'il y a une crise éducative et que le contribuable paye des heures de délégation excessives au regard de la piètre qualité du dialogue social.

Mammouth était un terme péjoratif mais force est de constater qu'il recouvre un pan de la réalité de cette dépense.

A l'inverse, là où votre question mérite attention, c'est lorsque l'on songe aux nombreux secteurs qui sont dans une paupérisation croissante : les policiers, les militaires, les magistrats. Autant de corps qui souffrent du niveau de leurs traitements et qui se demandent, sur un ton présidentiel : mais où passe le " pognon de dingue ? "

Oui, la France souffre d'une opacité budgétaire et le cas de la fraude sociale ( voir travaux de Charles Prats ) qui flirte avec les 30 Milliards ( voir rapport de la Cour des Comptes ) est un sujet non dérisoire ce qui ne dispense pas de traiter la question de l'optimisation fiscale conduite par les entités commerciales.

Quels sont les chantiers, notamment dans l’administration, qui permettraient de véritablement dégager des marges de manœuvre budgétaire ? 

La France a le don des fausses économies. Anecdote vécue : le cas des locations de voitures.

Il a été décidé, à Bercy et dans d'autres ministères de faire la chasse aux voitures de fonction. Résultat, les fonctionnaires ont recours, pour leurs déplacements, à des véhicules de location.

Participant à une convention interministérielle – sur les deniers de ma structure ( profession libérale ) – je loue un véhicule et je croise une administrateur civil qui loue au nom de l'État.

A la restitution de mon automobile, surprise : la collaboratrice de Bercy ne rend pas son véhicule et a négocié de le conserver durant tout le week-end aux frais des contribuables.

Sur le papier d'un auditeur ?  Introuvable.

Sur votre feuille d'impôt, si 10 personnes agissent ainsi dans l'année, cela paye la moyenne de vos taxes foncières dont nul ne saurait nier l'évolution haussière. Ce qui est vrai ici est aussi vrai pour les collectivités territoriales au sein desquelles des abus prolifèrent, d'où l'essor de la TF.

Le chantier à ouvrir dans la Fonction publique, c'est celui de la rectitude et de ce que Jean-Paul Bailly ( alors président de la RATP ) appelait " le juste niveau de dépenses ". Au sein de notre État, il existe peu de Bailly, de Louis Gallois ou de Francis Mer, remarquable ministre des Finances qui n'avait pas pour pratique finalement usuelle d'élaborer des usines à gaz , des boucliers à finalité factice car miroirs d'une dette sans cesse alourdie mais fort habilement différé.

Tant que des ordres de mission seront émis par collusion d'intérêts, il y aura des millions indûment perçus. Et l'exemple de la désinvolture budgétaire ira bon train.

Pourquoi les Français se retrouvent-ils à être la variable d’ajustement là où l'État ou les collectivités territoriales ne se mettent jamais vraiment en situation de l’être ? Est-ce qualifiable de lâcheté politique ?

Le terme lâcheté suppose la désertion face à l'ennemi ou la lassitude face aux nécessaires efforts de gestion budgétaire.

Sous peine de risque d'éventuelles poursuites judiciaires, je ne peux citer que l'anecdote de la location de voitures qui n'est pas négligeable.

Je rappelle que si un dirigeant de sociétés avait commis les mêmes faits, il aurait été passible d'un abus de bien social. Une voiture de location ne doit pas servir des intérêts privés le week-end.

Pour conclure, j'ai été choqué d'apprendre que l'hôtel de résidence de la fonctionnaire avait été offert par la mairie du coin ( qui cherche le sourire de Bercy ) et remboursé par son ministère d'appartenance.

La France du doublon juteux existe.  Je l'ai croisé à " plusieurs " reprises.

Que le lecteur curieux fasse une recherche sur la notion de " dispense de peine " : article 132-59 du Code pénal.  Et qu'il cherche alors les élus qui en ont bénéficié en toute discrétion.

Sans sanction des déviances, point de salut et de finances bien tenues.

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