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Cette Europe en manque d'inflation qui fonctionne à plein contre sa jeunesse : quand Mario Draghi dénonce ce que les autres ont tant de peine à voir (à commencer par les représentants des jeunes...)
©Reuters

Seul contre tous

Alors que la BCE annonçait la mise en place de nouveaux outils afin de soutenir la croissance économique en Europe, Mario Draghi donnait une interview au "Guardian", en dénonçant une politique de faible inflation profondément inégalitaire, favorisant les personnes âgées au détriment de la jeunesse européenne.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Dans une interview publiée par TheGuardian ce 11 mars, Mario Draghi, président de la BCE, indiquait que le contexte actuel, marquée par une trop faible inflation, conduisait l’Europe à un système de redistribution au profit des personnes âgées et au détriment des jeunes ménages. Comment justifier une telle déclaration ? En quoi l’Europe peut-elle être désignée comme responsable de cette situation ?

Nicolas GoetzmannMario Draghi pointe une problématique qui ne semble pas beaucoup préoccuper les différents gouvernements, à savoir, cette question de la très faible inflation qui touche la zone euro depuis maintenant plusieurs années. Depuis les années 1970, la population a été habituée à un discours très alarmiste au sujet de l’inflation qui a abouti à la situation que nous connaissons actuellement. A force de se battre contre la hausse des prix, ce qui correspond à la période de désinflation entre 1983 et aujourd’hui, nous en sommes arrivés à un contexte déflationniste. A cette époque, le discours consistait à pointer l’inflation comme le mal absolu, et qu’il suffisait de lutter contre l’inflation pour retrouver la croissance. Mais cela n’était qu’un discours politique qui permettait de cacher le fait qu’en luttant contre l’inflation, on allait frapper l’ensemble de l’activité économique. Cependant, au regard des excès passés, cette politique était justifiée. Mais l’erreur fondamentale de cette analyse anti-inflation a été de laisser croire qu’il n’existe aucun lien entre croissance et hausse des prix. Or, ces deux variables sont les deux faces de la même pièce. Une inflation proche de 0%, comme nous la connaissons depuis plusieurs années au sein de la zone euro, n’est rien d’autre que le symptôme de la très faible croissance.

Les dirigeants européens semblent incrédules devant un phénomène dont on aurait l’impression qu’il n’a aucune cause, comme s’il s’agissait d’une licorne. Pourtant, les phénomènes de hausse et de baisse des prix sont le b.a.ba de la macroéconomie. Lorsque l’activité économique est soutenue, la pression sur les prix des biens et services est forte, ce qui conduit à l’inflation. Inversement, lorsque l’activité économique est atone, la pression sur les prix est faible, voire inexistante, et les prix s’orientent à la baisse. Une faible inflation est donc le résultat logique d’une trop faible croissance. La conséquence de cela, que Mario Draghi dénonce justement, est que nous en sommes arrivés à un système économique qui privilégie de manière excessive une part de la population : les personnes qui dépendent de pensions et de retraites, c’est-à-dire, pour grossir le trait, les retraités. Parce que ces personnes ont, à priori, tout à gagner d’une faiblesse de l’inflation, car les pensions, les retraites, les rentes etc…ne subissent plus l’érosion de la hausse des prix. Mais cette protection a un coût ; en luttant contre l’inflation, on a fait disparaître la croissance, qui est pourtant le seul espoir de la jeunesse.

Car sans croissance, la jeunesse se retrouve dans l’incapacité de s’insérer dans la société, le système se retrouve figé. Si une inflation excessive détruit la croissance, il en est de même concernant l’absence d’inflation. L’objectif est donc de trouver un compromis acceptable entre croissance et inflation. Equilibre qui n’a pas été trouvé en Europe depuis 8 ans. Mais l’Europe en tant que telle ne peut être désignée directement comme responsable de cette situation, il s’agit bien plus de l’incapacité des gouvernements à se rendre compte des dégâts causés par le modèle économique européen, car ceux-ci se sont affranchis de toute réflexion sur ce thème. Comme si la remise en cause des principes fondateurs de la zone euro était impossible, et qu’il suffisait simplement de détourner les yeux pour effacer le problème. Cette interview de Mario Draghi est un pavé dans la marre de ce qui peut être qualifié de "Munich social européen", pour reprendre le terme de Philippe Séguin ; un immobilisme confortable des dirigeants européens face à une tragédie.

Cette logique se résume aisément. En protégeant la rente, les créanciers, ou le capital, de l’inflation, nous avons créé un monde où il est devenu extrêmement périlleux de trouver un emploi. Or, c’est cet emploi qui permettrait au débiteur d’honorer sa dette. Le résultat est que le chômeur va devenir durablement insolvable et que la dette ne sera plus que virtuelle avec le temps, faute de remboursement possible. Personne, vraiment personne, n’a, à terme, à y gagner. 

Dans cette même interview, Mario Draghi indique que les jeunes ménages (16-34 ans) ont perdu 5% de revenus en termes réels depuis le début de la grande récession (2008). Quelles sont les causes d’un tel résultat ? Comment la stratégie économique européenne en est arrivée à faire payer le prix de cette crise à la jeunesse ?

La lutte contre l’inflation comme pierre angulaire de toute politique économique a conduit la zone euro à une explosion de son niveau de dettes, parce que les déficits ont servi à compenser le manque de croissance. A partir de ce constat, et au lieu de traiter la cause, c’est-à-dire le manque de croissance, les dirigeants européens n’ont rien trouvé de plus malin que de s’attaquer aux symptômes, c’est-à-dire à la dette et aux déficits. Ce qui a donné naissance aux politiques d’austérité dont l’implacable logique rappelle une phrase de Churchill à propos des politiques de hausses d’impôts : " un homme debout dans un sceau qui essaye de se soulever par la poignée ". Le résultat se symbolise avec le cas grec ; après être parvenu à atteindre un taux de chômage des jeunes proche de 50%, il a fallu passer à l’étape suivante, c’est-à-dire de tailler de façon massive dans les retraites. Ce qui signifie que cette stratégie de préservation du capital conduit, au bout de la chaîne, à la destruction des retraites, donc à la destruction du capital lui-même. S’il s’agit là encore d’un cas extrême, il permet de se faire une idée de ce qui attend l’Europe demain en cas de persévérance dans cette voie sans issue. La déflation ramassera tout sur son passage : elle commence par les jeunes, mais elle finira par emporter les retraites avec elle. Il ne s’agit donc pas d’opposer les différentes catégories de population entre elles, ce qui n’aboutirait à rien, mais de comprendre, enfin, la nature, l’origine, et la cause de la crise en Europe : un manque de croissance qui n’est que la conséquence de cette inflation-phobie générale. Il n’est évidemment pas nécessaire d’en arriver à une situation extrême de forte inflation, mais simplement à un résultat cohérent avec le potentiel de l’économie européenne : 2% de croissance et 2% d’inflation. Mais cela fait maintenant 8 ans que le continent n’a pas connu un tel résultat.  

Quelles sont les conséquences, à plus long terme, d’une telle situation ? Les dégâts causés par la grande récession, sur la jeunesse européenne, sont-ils réversibles ?

De nombreux effets ne sont pas réversibles. Les jeunes qui ne parviennent pas à s’insérer, qui ne trouvent pas de travail, perdent sur tous les tableaux : en revenus et en capital humain, c’est-à-dire en formation. Parce que les salaires dépendent aussi de l’expérience, il en résulte que ce retard ne sera jamais rattrapé avec le temps. D’autres conséquences sociales peuvent être mises en avant, dont une moindre propension à se marier ou à faire un premier enfant, ce qui aura également des répercussions sur l’ensemble d’un pays. L’université de Princeton avait ainsi publié une étude consacrée à la corrélation entre crise et la fertilité : "Leurs calculs démontrent qu’une hausse d’un point du taux de chômage entre 20 et 24 ans réduit la fertilité à court terme de 6 naissances pour 1 000 femmes. Lorsque l’on suit ces femmes jusqu’à l’âge de 40 ans, une même hausse du taux de chômage provoque une perte de 14.2 naissances pour 1 000 femmes.(…). Ces femmes ne font pas que renoncer aux premières naissances, elles renoncent également aux naissances ultérieures". Cela se traduit aussi par un phénomène migratoire intra-européen, ou de jeunes Espagnols formés dans leur pays natal, se rendent en Allemagne pour trouver un emploi. En d’autres termes, ce qui est perdu est perdu, une génération d’Européens a bien été sacrifiée sur l’autel de cette négation de crise européenne. Il serait par contre opportun d’éviter de faire de ce modèle un projet d’avenir pour l’Europe, car celle-ci n’y résistera pas. 

Au travers d’une telle déclaration, quel peut être l’objectif réel de Mario Draghi ? S’agit-il d’une accusation directe contre ses opposants ? Comment l’Europe peut-elle parvenir à se transformer pour en arriver à un système plus inclusif au profit de sa jeunesse ?

Mario Draghi vise assez clairement l’Allemagne. Il ne s’agit pas de germanophobie primaire, mais d’une simple réponse aux accusations dont le président de la BCE est l’objet outre-Rhin. Il y est désigné comme l’ennemi des épargnants, l’homme qui détruit les économies des honnêtes gens. Mais il s’agit là de pure ignorance économique, de démagogie primaire de certains tabloïds, ou de pressions des lobbys bancaires. L’objectif est donc de convaincre que l’Allemagne, la population allemande, ses retraités et ses salariés auraient tout à gagner d’une politique de relance européenne. Une telle politique se traduirait en hausse de salaires, en un puissant moyen de lutter contre les inégalités, et en soutien à la croissance, ce qui sécuriserait les retraites sur le long terme. Cela permettrait également au contribuable local de ne pas payer les errements du secteur financier allemand en Grèce ou en Espagne, car ces pays retrouveraient alors aussi le chemin de la croissance. Encore une fois, il s’agit de convaincre la population allemande du bienfondé d’une telle politique dans le sens de l’intérêt général européen. Ce qui ne passe pas forcément par une attaque frontale.

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